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Travail social : comment répondre aux dérives des politiques libérales ?

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P our le sociologue Raymond Curie, le récent rapport du Medef n'est que la dernière manifestation de l'influence croissante des politiques libérales dans le secteur social. Pour inverser la tendance, il juge nécessaire de privilégier les politiques d'intégration plutôt que les politiques d'insertion.

« Depuis quelques années, on a vu apparaître, dans le cadre de l'intervention sociale (politiques d'insertion et politiques de la ville), de nouveaux emplois sans qualification, des emplois-jeunes, comme les médiateurs, les correspondants de quartiers et les agents d'ambiance confrontés à des situations difficiles. Parallèlement, et par souci de rentabilité, des régies de quartier ont été contraintes, de plus en plus, de sélectionner par le haut les recrutements, empêchant ainsi de nombreuses personnes touchées par des difficultés sociales et économiques de bénéficier de ce dispositif. Au niveau des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, de plus en plus, les contrats pour les personnes hébergées sont très courts. Ce qui pénalise l'accompagnement social.

Dans le secteur social traditionnel, au niveau des centres d'aide par le travail par exemple, des dérives sont également apparues. C'est le cas de chefs de service recrutés dans le secteur commercial sans aucune connaissance du social, mais aussi vis-à-vis des personnes handicapées qui sont de plus en plus sélectionnées sur leur capacité de travail. Ceci remet en cause le fondement même de ces institutions car ce qui est privilégié ici, c'est la rentabilité économique. Enfin, en ce qui concerne les différentes formations du travail social, la mise en place d'une validation des acquis de l'expérience non maîtrisée pourrait déboucher sur des diplômes au rabais. Le but essentiel étant de combler rapidement et au moindre coût les nombreux postes vacants de la période actuelle et future, à cause des tranches d'âges concernées par les départs en retraite, mais aussi par la nécessité de création de nouveaux emplois.

Le Medef, quant à lui, remet en cause les “privilèges” du secteur social et notamment les exemptions fiscales de certaines structures, ainsi que les subventions dont bénéficient les associations. Il souhaite plutôt un désengagement de l'Etat, une logique concurrentielle, avec développement du secteur caritatif, et remet en cause l'existence même du secteur social (1).

Pour comprendre pourquoi l'influence des politiques libérales pèse énormément, il faut revenir aux explications sociologiques de Robert Castel (2) et de Michel Autès (3) concernant l'évolution du secteur social au cours de ces 20 dernières années.

En résumé, le travail social fait appel à la qualification, à l'accompagnement social qui donne une place au sujet, à la relation, aux mesures de longue durée, avec une logique de projet qui doit s'intéresser aux causes des problèmes et cible un public. Alors que l'intervention sociale développée ces 20 dernières années mise plutôt sur la compétence, le suivi des personnes et des groupes, les mesures d'urgence et transitoires, avec souvent des logiques de service qui interviennent sur les symptômes des problèmes au niveau d'un territoire. L'approche par le projet étant maintenue pour le développement social local.

Conjuguer mesures transitoires et de long terme

L'approche par la compétence n'est pas une décision neutre. C'est une orientation privilégiée par le Medef au niveau des emplois en général. Selon Michel Chauvière (4), il s'agirait d'élaborer des référentiels décrivant les aptitudes requises pour une fonction ou une profession. Mais le social n'est pas interchangeable.

Pour Robert Castel, on a privilégié les politiques d'insertion - qui s'adressent aux publics en difficulté - au détriment des politiques d'intégration - qui s'adressent à tous les publics. En conséquence, les différents dispositifs se sont empilés les uns sur les autres, entraînant, d'une part, de grandes difficultés de repérage chez les travailleurs et intervenants sociaux et, d'autre part, une faible efficacité au niveau des résultats.

Michel Autès explique que les critères de validité de l'action s'énoncent sur un registre instrumental, mais aussi sur un registre de conformité à des normes. C'est ce qui différencie la logique de service de la logique de la relation.

En retour, certaines critiques émises par le secteur de l'intervention sociale à l'égard des travailleurs sociaux a permis à ces derniers de mieux intégrer certaines techniques (partenariat, évaluations, dialogues avec les élus...). Actuellement, dans le secteur du travail social, les réactions sont de plus en plus critiques face au développement des politiques libérales. Des complémentarités et des relais sont à trouver entre mesures transitoires et mesures de long terme mais tout en revendiquant des moyens conséquents pour s'attaquer aux causes des problèmes et en argumentant que des mesures politiques doivent être prises pour s'attaquer aux inégalités sociales et au chômage.

Le rôle incontournable du travail social

Le secteur social a plus que jamais besoin de professionnels qualifiés qui doivent développer leurs compétences sur le terrain. Pour cela, les anciennes, comme les nouvelles, formations doivent avoir le sens de l'ouverture, de l'interculturel et de la transversalité. Un exemple à propos du mot médiation : il s'agit plus d'une fonction que d'un métier, c'est-à-dire que les éducateurs et les animateurs doivent réinvestir ce travail et dans les écoles de formation être formés à cette approche. D'où la nécessité, pour les emplois-jeunes qui occupent cette fonction, de poursuivre par une formation qualifiante du secteur social.

Confrontés au développement de l'Europe de Maastricht, à la logique de la concurrence économique et au développement de la mondialisation libérale, les gouvernements successifs ont choisi de faire des coupes sombres dans les budgets de la santé, du social et de l'éducation, afin de garder et de renforcer les secteurs économiques compétitifs et rentables.

Dans ce cadre-là et à la suite de l'arrivée du gouvernement Raffarin, qui ne s'oriente pas vers une rupture avec le libéralisme, bien au contraire - les dispositifs sécuritaires étant un exemple montrant les dérives de cette politique -, les travailleurs sociaux, afin d'être constructifs, peuvent rappeler un certain nombre d'orientations. Que ce soit face à des responsables d'administration, des décideurs économiques ou des élus politiques. Il est important :

 d'insister sur le rôle incontournable du travail social, avec des accompagnements de longue durée si nécessaire ;

 de trouver des complémentarités entre travail social et intervention sociale, à condition qu'un coup d'arrêt soit donné aux politiques libérales ;

 de lutter contre le chômage en créant des emplois qualifiés, y compris dans le secteur social ;

 de renforcer et développer les services publics de qualité et de proximité, notamment dans les quartiers populaires ;

 de développer des relais avec des adultes et des jeunes dans le cadre de la vie associative, notamment dans les quartiers en difficulté ;

 de créer et renforcer des dispositifs dans le cadre de la prévention spécialisée et de la prévention de la délinquance (emplois nouveaux et moyens financiers)  ;

 et, enfin, de privilégier les politiques d'intégration plutôt que les politiques d'insertion. » Raymond Curie Sociologue et formateur à l'Institut du travail social de Lyon-Caluire - Auteur de Banlieues et universités en Ile-de-France. Pouvoirs, intérêts et conflits entre institutions et habitants, Ed. L'Harmattan 2001 - 12, rue Lavoisier - 69300 Caluire -Tél. 04 72 27 44 20.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2270 du 5-07-02 et n° 2271 du 12-07-02.

(2)  Robert Castel, « Du travail social à la gestion sociale du non- travail »  - Esprit - Mars-avril 1998.

(3)  Michel Autès, « Les métamorphoses du travail social »  - Les mutations du travail social. Dynamique d'un champ professionnel - Ed Dunod - 2000.

(4)  Michel Chauvière, Didier Tronche, Qualifier le travail social - Ed. Dunod - 2002.

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