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La féminisation en question (s)

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Majoritaires dans le métier d'éducateur spécialisé depuis ses origines, les femmes sont arrivées en plus grand nombre encore au cours des années 90. Au point que l'éducateur devient un oiseau rare. Avec quelles conséquences sur la prise en charge des publics ? La question est sensible.

L'éducateur spécialisé de sexe masculin est-il une espèce en voie de disparition ? La question est moins saugrenue qu'il n'y paraît au premier abord. Les employeurs semblent en effet, selon le mot de Christian Martin, président du Groupement national des instituts régionaux de formation en travail social - et directeur de celui de Poitiers -, «  en quête désespérée d'éducateurs hommes ». « Surtout dans les services pour jeunes en difficulté et les internats pour personnes handicapées en milieu rural ou semi-rural. Les hommes ont davantage tendance à s'insérer en milieu ouvert ou dans des structures d'insertion et recherchent moins des structures institutionnelles classiques. Une tendance lourde que l'on retrouve partout. » De fait, nombreux sont les responsables d'associations à évoquer leurs difficultés non seulement à composer, dans un contexte général de pénurie de travailleurs sociaux, des équipes éducatives complètes, mais aussi à respecter une certaine mixité. Il n'est pas rare qu'à une offre d'emploi répondent seulement des éducatrices. Au point que certains, à mots couverts, s'irritent du fait que la législation anti-discrimination ne permet pas de préciser dans les petites annonces si l'on souhaite recruter un homme ou une femme...

Dans ce contexte, les éducateurs sont évidemment favorisés dans leur recher- che d'emploi : ils ont, bien plus que leurs consœurs, le choix de leur lieu d'exercice. Quant aux jeunes hommes qui débutent, ils bénéficient d'emblée de contrats plus stables. « Les établissements souhaitent les fidéliser. A la sortie de la formation, ils ont souvent deux ou trois propositions d'embauche en contrat à durée indéterminée. Les filles, elles, doivent envoyer de nombreuses lettres et n'obtiennent souvent dans un premier temps que des contrats à durée déterminée », explique Christian Martin. « A compétences à peu près équivalentes, on va privilégier un homme. Cela se vérifie surtout pour les jeunes diplômés qui ont peu d'expérience », témoigne Marie- Odile Sassier, directrice générale de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de la Mayenne.

Cette « quête » de l'homme ne va pas sans susciter des interrogations sur la qualité des recrutements. « Lorsqu'on ouvre des postes dans des foyers éducatifs, nous recevons peu de candidatures masculines. Si l'on veut maintenir la mixité, cela laisse peu de latitude sur le choix du candidat », reconnaît Corinne Brunel, responsable des ressources humaines à la Sauvegarde de l'enfance de la Drôme. Le sexe ne risque-t-il pas de prévaloir sur les compétences, voire le diplôme, des candidats ?Les employeurs s'en défendent pourtant, à l'exemple de Denis Thomas, directeur général de l'Association familiale de l'Isère pour enfants et adolescents handicapés intellectuels : « Si nous avons besoin d'un élément masculin, nous serons a priori plus favorables aux hommes. Mais nous ne prendrons pas un garçon à tout prix : nous considérerons le diplôme, l'appétence pour le métier, les expériences... »

Où en est-on de la répartition par sexe des professionnels en activité ? Difficile de la connaître avec précision, puisqu'on est par définition dans le flux et que les secteurs d'activité sont éclatés. Mais on estime en général aux deux tiers la proportion de femmes dans le métier. Une moyenne qui ne tient pas compte des particularités liées aux différents champs d'intervention. Les effectifs de la prévention spécialisée ont ainsi été longtemps majoritairement masculins. « Dans les représentations, éducateur de rue est plutôt un métier d'homme. Mais, depuis dix ans, il y a eu un rattrapage et la proportion de femmes s'est rapprochée de 50 % », constate Bernard Heckel, délégué général du Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée  (CNLAPS).

Le tournant de la réforme du diplôme

Sur les évolutions de la féminisation du métier, l'étude des effectifs des centres de formation est éclairante. Le sociologue Alain Vilbrod, qui a beaucoup étudié cette profession et son histoire, insiste : « Les femmes ont toujours été majoritaires, dès que les premières écoles se sont ouvertes en 1943-1944. Et cela ne s'est jamais démenti ensuite, même s'il y a eu des creux, notamment autour des années 70 » (1). Mais, souligne en substance le chercheur, un tournant est intervenu au début des années 90, quand le baccalauréat est devenu le préalable indispensable à l'entrée en formation. « Les garçons, qui, d'une façon générale, poursuivent moins souvent des études après le bac, se sont rabattus par exemple vers le métier de moniteur-éducateur. Ce qui a entraîné une féminisation accrue depuis une dizaine d'années des éducateurs en formation. » Tendance que semblent d'ailleurs confirmer les chiffres du ministère des Affaires sociales concernant le nombre de reçus au diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé. Si au cours de la décennie 80, les femmes représentaient chaque année autour de 60 % des diplômés - 61,8 % en 1980, 58, 5 % en 1985, 61, 3 % en 1990 -, cette part a augmenté dans les années 90 pour se rapprocher des 70 %- 70,6 % en 1996, 68, 4 % en 1999.

Des différences locales apparaissent cependant. « A l'Institut régional du travail social  [IRTS] de Poitiers, le déséquilibre varie selon les années :nous pouvons compter de 20 à 40 % d'hommes dans les promotions d'éducateurs. Il nous est même arrivé récemment d'être à 50-50 », témoigne Christian Martin. A l'IRTS de Reims, « on a atteint à partir de 1996 les 80 % de filles, proportion qui a globalement progressé de 1,5 point par an, malgré une petite baisse récente », constatent Catherine Chezel et Jacques Mantz, respectivement responsables de la filière éducative et des admissions au sein de cet établissement.

Les centres de formation ont parfois cherché à remédier à la supériorité numérique historique des filles dans les cohortes d'élèves éducateurs. L'IRTS de Montpellier avait mis en place un système de double dossier, un pour chaque sexe, assorti d'un même quota pour les hommes et les femmes. « On parvenait à une égalité numérique entre les sexes. Mais comme les candidatures féminines étaient beaucoup plus nombreuses, le quota de filles était rempli en un jour et celui des hommes en un mois. Cette barrière à l'entrée était injuste et a été abandonnée depuis une dizaine d'années », indique Jacques Fraysse, directeur de l'IRTS.

L'absence de quotas ne réjouit pas forcément les employeurs, d'autant plus aux abois que de nombreux départs en retraite sont attendus dans les prochaines années, concernant des générations où, justement, le déséquilibre entre les genres était moindre, et dont le remplacement sera vraisemblablement très majoritairement féminin. « Les employeurs voudraient plus d'hommes en formation, constate Marcel Jaeger, directeur du centre de formation Buc Ressources (Yvelines). Comme certains participent aux jurys, on ne peut pas exclure que cela se répercute sur les sélections. Mais nous ne donnons pas de consignes. Nous nous appuyons sur un modèle universaliste, où les différences ne sont pas prises en compte. C'est pourquoi nous n'avons jamais instauré de quotas hommes/femmes, pas plus que des quotas “jeunes sortis du lycée”/“baroudeurs”. La volonté des professionnels n'est pas forcément satisfaite mais nous défendons ces valeurs républicaines. »

La féminisation accrue des promotions n'est pas seulement due au fait que les filles se présentent en plus grand nombre aux sélections. Le fait est qu'elles réussissent mieux aux épreuves écrites que les garçons. « Les candidates sont d'un niveau très largement supérieur aux hommes, insiste Jean-François Villanet, directeur général de l'Association auboise de Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence. Dans les sélections, si l'on voulait autant d'hommes que de femmes, il faudrait modifier les moyennes d'admission et porter le niveau des hommes à 12 et celui des femmes à 15. » Et de s'interroger : « Cela signifie-t-il que les garçons sont là par défaut, parce qu'ils n'ont pas réussi ailleurs ? »

Peut-être sommes-nous là, en effet, au cœur du problème. « Les questions d'éducation mobilisent plus les femmes que les hommes », relève Mireille Stissi, directrice adjointe de la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Seine-Saint-Denis. « C'est plutôt une question d'image, estime de son côté Jacques Ladsous, vice-président du Conseil supérieur du travail social. Il apparaît plus “normal”, dans le monde où nous vivons, de voir des femmes se diriger vers ce métier. » Cette « mémoire » du secteur se souvient aussi que le phénomène n'est pas nouveau : « Quand j'ai commencé, ma mère m'a dit : “Qu'est-ce que tu vas faire là-dedans, tu peux faire beaucoup mieux !” ». « L'éducation est une question de femmes, selon les représentations sociales, relayées d'ailleurs par les médias », renchérit Bernard Heckel, du CNLAPS. D'autres facteurs expliquent aussi cette désertion des hommes. « Il me semble qu'un certain nombre de directions d'établissements, au lieu de permettre à leurs personnels qualifiés, formés, de développer des initiatives, de prendre des responsabilités, en ont fait de simples exécutants du projet institutionnel. Cela a contribué à écarter du métier un certain nombre de jeunes hommes qui supportaient moins bien que les femmes cette image sociale », avance Jacques Ladsous. Pour Bernard Heckel, « les nouveaux métiers de la médiation sociale, les emplois- jeunes, ont contribué à rendre floues les frontières du métier d'éducateur spécialisé, qui a peut-être perdu un peu de son identité et est devenu moins attrayant. En revanche, on valorise beaucoup les métiers de la gestion, de l'informatique... vers lesquels les garçons se dirigent. » On pourrait aussi ajouter la faible attractivité des salaires, au regard des contraintes, notamment dans les internats... Quoi qu'il en soit, le cercle est vicieux : plus les femmes sont nombreuses dans le métier, moins les garçons ont envie de s'y lancer, et « plus le métier se féminise, plus il se dévalorise », relève Alain Vilbrod. Les pouvoirs publics, d'ailleurs, se préoccupent de la question. La ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, Nicole Ameline, s'inquiétait fin juillet (2) du fait que « certains secteurs professionnels, tels que le sanitaire et social et l'éducation, [soient] toujours caractérisés par un faible niveau de rémunération en moyenne, une surreprésentation des femmes et une image sociale dévalorisée », et estimait « essentiel de [...] mener des négociations, afin de [les] rendre attractifs, aussi bien pour les hommes que pour les femmes ».

La féminisation plus tardive de la PJJ

Si la profession d'éducateur spécialisé a toujours été majoritairement féminisée, il n'en va pas de même dans le secteur particulier de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Jusqu'au milieu des années 70, avant que les règles de recrutement de la fonction publique ne soient réformées, il existait deux concours, un pour les hommes et un pour les femmes, celui-ci n'offrant qu'un nombre de postes restreint. « Les pratiques de l'époque conduisaient à ce que les hommes encadrent les garçons et les femmes l es filles. Or dans l'éducation surveillée, il y avait peu de filles, car elles étaient plutôt orientées vers les association habilitées. Il y avait donc peu d'éducatrices à la PJJ », explique Gisèle Fiche, directrice du département recherches, études et développement du CNFE-PJJ. La féminisation n'a pas tenu qu'à la mixité du concours. Elle est aussi liée au changement des modes de prise en charge des jeunes délinquants, lié à l'évolution globale de la société en matière d'éducation, « dans la mouvance anti-autorité de 1968 », précise Gisèle Fiche. « En dix ans, tous les stigmates pénitentiaires des internats ont disparu : les mitards ont été abandonnés, les établissements se sont ouverts, leur taille a diminué… L'externat s'est développé. Tout cela a favorisé l'arrivée des femmes. » Sans compter le développement de la mixité du public accueilli. Résultat, dans les années 70, les femmes arrivent en nombre et finissent par devenir majoritaires parmi les nouvelles recrues. Et la tendance n'a cessé de s'accentuer depuis, particulièrement depuis le début des années 90. C'est l'époque où la proportion de candidates a cessé d'être inférieure à celle des femmes admises en formation. « Pour donner un ordre d'idées, en 1975 elles représentaient 56 %des candidats ... … mais 38 % des admis, en 1990 67 % des candidats et 67 % des admis. Depuis cette date, on a donc quitté la période durant laquelle les jurys, majoritairement composés d'hommes ayant des positions hiérarchiques, veillaient au grain et limitaient la féminisation du métier », explique Alain Vilbrod. Cette tendance à la féminisation vient aussi, ajoute le sociologue, de la nature

Mais pourquoi faudrait-il « masculiniser » la profession ? Quelles sont donc les vertus de la mixité ? « Quand on parle de l'impact supposé de la surféminisation de la profession sur la prise en charge éducative, on marche sur des œufs », résume Alain Vilbrod. Le risque est toujours grand pour les hommes qui prennent la parole sur le sujet de se voir taxer de machisme. Parmi tous les professionnels, prévaut en tout cas le consensus que la mixité est préférable en ce qu'elle enrichit l'offre d'identification possible. Ce qui est particulièrement nécessaire pour les jeunes, notamment pour des garçons et des filles dont les images parentales, masculine ou féminine, n'ont pas - du fait des abandons, des ruptures, des mauvais traitements... qu'ils ont pu connaître - été structurantes. « L'adolescent se demande quel adulte il pourra être. L'identification joue à fond. Il est plus intéressant qu'ils aient des adultes divers autour d'eux : de sexes différents, mais aussi de professions différentes. D'où l'importance des cuisiniers, des veilleurs de nuits, des directeurs, dans les établissements », explique Gisèle Fiche, directrice du département recherches, études et développement du Centre national de formation et d'études (CNFE) -PJJ. Jean-Pierre Chambon, psychologue, psychanalyste et formateur à l'école Buc Ressources, veille également à ne pas dramatiser la raréfaction des éducateurs. « Il faut des équipes mixtes comme dans la vie de tous les jours. Cela permet d'utiliser les ressources de la différenciation sexuelle. Mais le manque d'hommes n'est pas catastrophique. Les institutions sont ouvertes : si l'on ne trouve pas de mixité à l'intérieur, on peut aller la chercher à l'extérieur. »

Dans le secteur de la prévention spécialisée plus encore, la mixité revêt un intérêt capital. Elle y apparaît même, bien davantage que dans les établissements, comme la condition sine qua non d'une action efficace. « Si l'équipe a une sensibilité uniquement féminine, elle peut se tromper dans les approches. A l'inverse, il est très difficile de travailler avec les jeunes filles dans les quartiers quand on est un garçon », résume Marie-Noëlle Témoin, directrice du service de prévention spécialisée de l'Association départementale de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de Seine-et-Marne. La prévention spécialisée n'est pas, contrairement à l'étiquette qui lui est encore parfois accolée, une histoire qui se joue entre des éducateurs de rue un peu costauds et baroudeurs et des adolescents plutôt marginaux et forts en gueule. « Notre public est aussi féminin : les adolescentes qui n'ont pas droit à la parole, qui sont en risque de viol... Il faut tendre la main à ce public qu'on n'entend pas et qui souffre tout autant », insiste une directrice de club de prévention.

 des concours de la PJJ, qui « ne valorisent pas les expériences militantes, associatives - pourtant des indicateurs intéressants d'un engagement à venir-, mais privilégient les compétences scolaires, et par conséquent favorisent le recrutement féminin car les filles sont meilleures que les garçons dans ce domaine ». Toutefois, nuance Gisèle Fiche, « ces dernières années, à l'oral, des consignes ont été données pour chercher à limiter la surféminisation des promotions. On cherche l'expérience sociale ou éducative plus que les connaissances uniquement universitaires. Il faut intérêt et goût pour les autres mais aussi une force personnelle, une solidité morale. » Sylvie Perdriolle, précédente directrice de la PJJ, expliquait au printemps à la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs que par le biais du concours normal des dernières années, son administration avait recruté, parmi les personnels éducatifs, 70 % de femmes et 30 % d'hommes. « Nous avons quelque peu corrigé ces chiffres à travers le concours exceptionnel en recrutant 60 % de femmes et 40 % d'hommes et, en 2000 précisément, nous avons recruté autant d'hommes que de femmes », ajoutait-elle. Quant aux personnels contractuels, ils sont recrutés « majoritairement parmi les hommes âgées de 30 à 35 ans ». D'une façon générale, parmi les professionnels actuellement en poste, la répartition hommes-femmes est équilibrée (47 %-53 %) au sein des personnels éducatifs - en tenant compte, il est vrai, de l'encadrement. Un équilibre précaire, cependant, car les départs à la retraite massifs attendus dans les années à venir concernent des générations majoritairement masculines.

L'autorité a-t-elle un sexe ?

Si la mixité, de l'avis général, enrichit les équipes, a-t-elle quelque chose à voir avec l'autorité ? Plus polémique est cette question, qui se pose avec plus d'acuité dans le secteur de la prise en charge des jeunes délinquants. Et particulièrement à la protection judiciaire de la jeunesse, administration fréquemment épinglée pour la « féminisation excessive des recrutements » qu'elle effectue, par exemple dans le récent rapport d'évaluation du cabinet Cirese (3). « Aujourd'hui on reproche aux jeunes femmes d'être trop fragiles pour la prise en charge de certains adolescents, on les juge trop nombreuses et inaptes à l'autorité. On oublie que celles qui les ont précédées ont enrichi, pacifié et humanisé les pratiques de cette institution auparavant masculine et violente », s'irrite Mireille Stissi. « Les éducateurs d'il y a 30 ans étaient inquiets de l'arrivée des femmes, craignant qu'elles “ne fassent pas le poids face aux loubards” et qu'ils ne doivent “les protéger”... Quelques années plus tard, les éducateurs reconnaissent que les femmes ont apporté d'autres manières de travailler : plus de parole, de convivialité, moins de confrontation physique, moins de violence dans les rapports entre jeunes et éducateurs », ajoute Gisèle Fiche.

Il n'empêche que certaines équipes de la PJJ se trouvent actuellement en difficulté. Personne ne nie d'ailleurs le problème. Mais la mixité qui fait défaut n'est pas seulement celle des sexes. « L'idéal serait évidemment d'arriver à un brassage hommes/femmes et anciens/nouveaux quel que soit le lieu d'exercice du métier. Alors qu'aujourd'hui les équipes en internat sont constituées essentiellement de jeunes, motivés et formés, mais qui découvrent le métier et l'institution. Ils ne bénéficient pas de la transmission des expériences acquises par les plus anciens et cela les fragilise », déplore Claude Beuzelin, secrétaire générale du Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ-FSU, majoritaire parmi les éducateurs de l'institution. La rigidité des règles de recrutement et de mobilité de la fonction publique y est évidemment pour beaucoup, qui envoie, à la PJJ comme dans l'Education nationale, les jeunes professionnels vers les postes les plus exposés, sans souci du métissage entre jeunes recrues et professionnels chevronnés.

Au-delà du cas particulier de la PJJ, les plaintes portant sur la féminisation des métiers sociaux et éducatifs - qui émanent aussi des professionnels concernés - semblent traduire la permanence, malgré les combats féministes, d'une représentation des sexes extrêmement stéréotypée dans la société. « Même dans le secteur du travail social, on en est resté à l'idée que, pour trouver de l'autorité, il faut trouver de l'homme. On se soumettrait au mâle dominant, le plus vieux et le plus musclé... Or l'autorité n'est pas une question d'hormones, elle dépend de ce que l'on a dans la tête », relève Maryse Vaillant, éducatrice de formation, psychologue clinicienne et ancienne chargée de mission à la PJJ. Mireille Stissi, de son côté, dénonce « l'idée fausse » selon laquelle les hommes seraient plus armés pour la fonction de contenance. « L'autorité vient d'une institution qui réfléchit, pas de la force d'un homme contre un jeune. On ne réassure rien comme cela, on balaie le symptôme mais ce n'est pas constructeur. Et puis j'ai vu des éducateurs se faire casser la gueule par des filles... », ironise-t-elle.

Des institutions qui réfléchissent, donc... Mais le font-elles toujours ? Nombreuses sont les professionnelles à se plaindre de l'organisation par trop traditionnelle de celles où elles interviennent. « Trop souvent encore, les hommes sont chargés de l'autorité et les femmes du maternage », témoigne Anne-Laure Echard, qui travaille pour une circonscription d'aide sociale à l'enfance du Maine-et-Loire. Les responsabilités de cette situation apparaissent d'ailleurs bien partagées. « Dans les équipes où il y a peu d'hommes, ceux-ci sont souvent mis en position de seul recours d'autorité. Les femmes doivent assumer aussi cette fonction et ne pas “refiler le bébé” à leurs collègues masculins », souligne Michel Cazeneuve, directeur de l'association ADES Europe, qui gère notamment deux maisons d'enfants dans l'Ariège.

Au final, résume Maryse Vaillant, « dans une équipe, il faut travailler les rôles selon les compétences et l'aisance de chacun, homme ou femme. Quand certains éducateurs ou éducatrices rentrent dans une pièce, le silence se fait ; d'autres, au contraire, font monter l'excitation... On n'y peut rien. L'important est que chaque mineur n'ait pas le sentiment d'avoir en face de lui un éducateur ou une éducatrice, mais un élément d'une équipe éducative solidaire, dont chaque membre représente le même projet, qui préexiste au jeune et a été conçu en dehors de lui. »

Céline Gargoly

LE CHALLENGE DES DIRECTRICES

« Les postes de direction sont occupés par des hommes, mais ceux-ci sont plutôt âgés et le renouvellement de ces postes se féminise », indique-t-on au Syndicat national au service des associations du secteur social et médico-social (Snasea). Tendance confirmée dans le secteur de la prévention spécialisée. Dans le champ de l'éducation spécialisée comme ailleurs, les femmes ont encore un immense retard à combler en matière d'accès aux responsabilités, mais le train est en marche. Sûrement… mais lentement. Les conseils d'administration y sont pour quelque chose. « Les associations ont du mal à recruter de jeunes administrateurs. D'où une représentation peu progressiste de la division du travail et la difficulté de convaincre de la capacité d'investissement d'une femme », relève une directrice générale d'association (4) . Les femmes elles-mêmes ne se précipitent pas sur les fonctions de direction, craignant de ne pas pouvoir équilibrer vie professionnelle et vie familiale - alors qu'il est encore « normal » pour un homme de consacrer beaucoup de temps à son travail. Si elles brident leurs ambitions, c'est d'ailleurs aussi qu'elles restent parfois prisonnières des représentations dominantes, réservant aux hommes ce type de postes. Celles qui les occupent sentent parfois leurs compétences contestées par leurs interlocuteurs masculins. Il arrive que l'attaque soit frontale et, sans ambiguïté, machiste. « Le directeur de l'intervention sociale du département m'a clairement dit qu'il ne supportait pas de voir une femme à mon poste », témoigne une directrice d'association. Plus souvent, le malaise s'installe sournoisement. « La relation avec les directeurs hommes n'est jamais une relation d'égal à égal. Ils adoptent souvent le registre de la séduction. Par exemple, en réunion, on va faire comme si on portait une attention particulière à ce que je dis parce que c'est une femme qui s'exprime. Ou alors j'entends des propos comme “Ces femmes-là ne sont pas comme les autres, je les admire”. Ce n'est jamais simple », regrette une directrice d'établissement. Les difficultés apparaissent parfois avec les équipes elles-mêmes. « Je n'ai jamais entendu le moindre propos sexiste, mais je sens que je suis attendue au tournant par les éducateurs anciens dans l'équipe. Ils me font comprendre que “eux”, ils savent », raconte une directrice de structure de prévention spécialisée. Les éducatrices elles aussi ont parfois du mal à accepter l'autorité d'une femme. « Certaines ont parfois une représentation très masculine de la fonction. Elles ont du mal avec des formes de management plus rondes. Je suis parfois contestée sur le fait que je ne suis pas assez rude », ajoute-t-elle. Tel est le plus grand défi des directrices, faire accepter aux autres qu'elles n'ont, comme le souligne l'une d'entre elles, « pas envie de ressembler à un mec pour occuper un poste de direction ». Justement, à quoi ressemblent-ils, ces hommes en poste ? Les jugements de certaines de leurs consœurs peuvent être sévères : « Ils donnent de la voix, des orientations, des ordres... sans se soucier du détail ni de savoir si les mots sont suivis d'effet. Une femme a davantage le souci que les choses soient bien faites, que tout le monde se sente bien et rame dans le même sens. Elle se voit plus comme un chef d'orchestre que comme le seul maître à bord ».

Notes

(1)  Sur le rôle que les femmes, éducatrices ou épouses d'éducateurs, ont joué dans la construction de ce secteur du travail social, on pourra se référer à l'ouvrage Elles ont épousé l'éducation spécialisée (Ed. L'Harmattan, 1999), issu d'un colloque organisé en 1997 par le Centre national des archives et de l'histoire de l'éducation spécialisée. Voir aussi ASH n° 2030 du 4-07-97.

(2)  Voir ASH n° 2273 du 23-08-02.

(3)  Voir ASH n° 2256 du 29-03-02.

(4)  Les directrices citées ont souhaité rester anonymes, soucieuses de maintenir un cadre de travail aussi serein que possible avec leurs confrères...

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