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« La dirigeance associative mise à l'épreuve »

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Le rapport du Medef prônant d'intégrer le secteur social dans le marché concurrentiel « sonne comme un rappel », explique Joseph Haeringer, directeur général de la Sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence de Savoie. Selon lui, les associations d'action sociale doivent « opposer d'autres modèles de coopération à ceux actuellement hégémoniques ».

« Alors que l'action sociale s'est dotée d'une loi de rénovation, et que la justice des mineurs s'est vu redéfinir un certain nombre de ses dispositions clés relatives à la délinquance, la déclaration du Medef (1) sur l'extension du marché et du principe de concurrence à toute activité de services sonne comme un rappel. L'euphorie du centenaire consacrée, en juillet 2001, par la signature de la charte d'engagements réciproques entre l'Etat et les associations est passée. L'absence de toute mention de la place des associations et plus largement de l'économie sociale dans la déclaration d'intention du gouvernement ne peut manquer d'alerter nos réseaux. Certes, l'été 2002 a montré la capacité des unions nationales et fédérations à dépasser leurs frontières historiques pour défendre ensemble des valeurs, des principes d'action et des savoir-faire. La partie n'est pas terminée. Vigilance oblige. La défense d'options auxquelles sont attachées les associations d'action sociale ne peut être dissociée de leur positionnement dans le champ social et économique et de leur fonctionnement interne. Il y va de leur capacité à rendre intelligible les enjeux sociétaux des changements en cours et à opposer d'autres modèles de coopération à ceux actuellement hégémoniques.

La diversité des domaines concernés ne doit pas nous laisser enfermer dans des débats de spécialistes qui renforceraient l'éclatement du champ social en secteurs d'activités ou de militance. Le débat sur la justice des mineurs ne peut être dissocié de celui sur l'action sociale ni même de la pertinence d'un projet d'économie sociale ou encore de la défense des droits de l'Homme. L'entériner reviendrait à valider une division des champs d'intervention associative et à nier l'action sociale dans sa capacité à faire émerger une vision sociétale de la diversité des questions particulières. Il importe d'en mesurer l'enjeu et d'occuper l'espace public pour contribuer à l'émergence d'une opinion sans cesse alimentée de la diversité de ces engagements pratiques. Pour les associations à haute valeur professionnelle, le risque est grand d'investir les nouveaux dispositifs publics comme des opportunités de développement ou d'incontournables contraintes. Celles-ci ne peuvent dissocier la coopération orientée vers la production d'un service, de la recherche d'un accord sur les valeurs et les principes régissant l'activité. Si elles évoluent et se construisent dans la confrontation à un environnement qui bouge, elles peuvent aussi se dissoudre dans la prestation de services, ce modèle hégémonique généré par le marché. Elles peuvent encore se confondre avec les services publics par la mise en œuvre de cahiers des charges découlant d'une catégorie administrative. Leur légitimité face à l'Etat et à son administration publique, mais aussi face à l'économie de marché et aux entreprises privées, ne peut se suffire de déclarations volontaristes sur les valeurs ou le sens. Leur dynamique sociale trouve son ancrage dans des pratiques de production certes, mais aussi dans des modes de coopération ainsi que dans des dispositifs de débats et de décisions. Bref, dans un mode de dirigeance (2) si l'on désigne par ce terme des dispositifs de régulation productrice d'une compétence collective.

L'autonomie, un enjeu essentiel

En plaçant la personne au centre de la production de services, la personne est co-productrice du changement attendu. L'individu est sujet d'une histoire dont l'autonomie est un enjeu essentiel de la prestation. Elle ne peut constituer un préalable, à l'instar du marché qui en fait un client. C'est pourquoi, il s'agit toujours de construire un cadre relationnel spécifique dans lequel se développeront les échanges techniques mais aussi la reconnaissance mutuelle. La créativité dont fait preuve l'intervenant est d'autant plus soutenue que l'espace organisationnel n'est pas soumis à des fins normatives, étrangères aux conditions de cet échange. Autant qu'une technicité de gestes et de procédures, ce sont des valeurs de liberté et de dignité qui informent celles-ci. L'éthique à laquelle se réfèrent les intervenants ne vient pas comme une plus-value de la prestation, un indicateur de qualité labellisant le processus. Elle est mobilisée comme une instance critique dans des situations où se confrontent des logiques antinomiques. Il en va différemment pour le marché auquel on ne peut accéder qu'en fonction de sa solvabilité. Ou encore pour le service public où l'usager fait valoir ses droits comme autant de créances. N'y est-il pas qualifié d'“ayant droit” ?D'où le risque de perte qui consisterait à rabattre le service sur la technicité d'une expertise et à le déconnecter de son registre relationnel et éthique.

La démocratie comme horizon

Autre évolution majeure que les dirigeants associatifs soutiennent activement, la professionnalité de leurs intervenants. Celle-ci est paradoxalement décriée comme la perte d'un bénévolat caractéristique de l'associatif, mais aussi exigée au nom d'une qualité de service. La coopération qui s'y développe est celle d'acteurs aux statuts différents. Elle produit une compétence particulière à rendre possible la coopération de toutes les parties prenantes dans un même projet. La dirigeance qui s'y exerce, dépasse le couple “président bénévole-directeur salarié”. Son agencement répond à des logiques d'action qui, au fil de l'histoire, s'institutionnalisent. Non comme une perte de l'esprit originel, mais davantage comme des constructions collectives résultant de nouvelles légitimités. Car, en définitive, la collaboration des divers acteurs se détermine sur la représentation d'un bien commun qui dépasse les intérêts individuels ou corporatistes. C'est pourquoi la professionnalisation des services associatifs ne peut faire l'économie d'une recherche critique sur les dispositifs organisationnels qui la produisent. Nombre d'équipes dirigeantes en sont conscientes et développent des savoir-faire adaptés. Certes, on observe encore des fonctionnements autocratiques où les figures du père fondateur, du professionnel charismatique ou du directeur stratège attestent d'un entre-soi qui exclut toute critique, toute altérité. Mais ces replis ne sauraient occulter le mouvement d'ouverture actuel. Ici encore, la coopération établie dans la diversité des acteurs constitue un mode de régulation que ne connaissent ni les entreprises, ni les administrations publiques.

Enfin, autre question que ne peuvent éluder les dirigeants associatifs, l'inscription du système de production des services dans l'espace public interne où se débattent les options et les références communes en vue d'un accord. L'éthique de la discussion est celle “de citoyens engagés durablement dans la détermination de décisions communes raisonnables, au terme d'un débat systématiquement informé, institutionnellement organisé et équitablement ouvert à tous dans tous les espaces publics appropriés” (3). La démocratie reste pour cette organisation, l'horizon de son fonctionnement. Non comme une utopie qu'il suffirait d'inscrire au fronton des statuts, mais comme un imaginaire qui met au travail dans une démarche collective, patiente et délibérée toutes les parties prenantes autour des principes de justice et de liberté.

Tels sont quelques-uns des enjeux de la question posée, dès cet automne, aux dirigeants associatifs. Puissent-ils être saisis par les acteurs “d'en bas” ! »

Joseph Haeringer Sociologue, directeur d'association et maître de conférences à l'IEP de Paris dans le cycle diplômant sur « les fonctionnements associatifs »   : 17, avenue du Comté-Vert - BP 113 - 73001 Chambéry cedex -Tél. 04 79 62 64 18.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2270 du 5-07-02 et n° 2271 du 12-07-02.

(2)  Voir Joseph Haeringer et Fabrice Traversaz, Conduire le changement dans les associations d'action sociale et médico-sociale - Ed. Dunod - 2002.

(3)  Paul Ladrière, Pour une sociologie de l'éthique - PUF - 2001.

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