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L'éducation prioritaire manque de souffle

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Un élève sur cinq a effectué sa rentrée scolaire dans un établissement classé en zone d'éducation prioritaire  (ZEP). Mais cette politique de discrimination positive mise en œuvre au nom de l'égalité des chances a-t-elle vraiment fait la preuve de son efficacité ?

Une « ZEP light »  : c'est ainsi que Florence Crézé, l'une des coordonnatrices de la zone d'éducation prioritaire de Sartrouville définit la situation locale. Dans cette commune des Yvelines, les deux tiers des habitants résident sur le « plateau ». S'il concentre les habitats sociaux - parmi lesquels la « cité des Indes »  -, ce secteur demeure cependant relativement hétérogène, avec des zones pavillonnaires un peu plus favorisées. Ici, la zone d'éducation prioritaire regroupe 17 écoles, un collège et un lycée. Le secteur comporte également un réseau d'éducation prioritaire  (REP) important puisque 4 500 élèves sont concernés.

Le bilan est relativement positif du point de vue des résultats scolaires. « Nous avons connu ces dernières années une progression importante, se félicite Florence Crézé, liée à la politique impulsée et à une volonté de donner une image de qualité des établissements. En quatre ans, nous sommes passés de 40 % à 70 % de réussite au brevet des collèges ; quant aux résultats à l'évaluation nationale en sixième, nous étions cinq ou six points au-dessous de la moyenne des ZEP il y a quatre ans, et nous sommes cette année cinq points au-dessus. » Les résultats sont attribués aux efforts fournis autour des apprentissages, notamment de la maîtrise de la langue, de l'accompagnement scolaire, mais aussi à l'hétérogénéité sociale du quartier, qui permet de maintenir les élèves dans une dynamique positive. « D'une année sur l'autre, explique Jean-Pierre Siron, coordonnateur pour le département des Yvelines, nous recevons des populations de plus en plus en difficulté. Je pense sincèrement que si nous n'avions pas cette politique forte, qui permet de maintenir une relative réussite, ce serait une catastrophe. » Ce point de vue est partagé par de nombreux acteurs de terrain.

Par ailleurs, le précédent ministre de l'Education nationale, Jack Lang, reconnaissait, lors d'un colloque organisé en mars dernier (1), que cette politique de discrimination positive avait « largement participé au processus de démocratisation de l'enseignement », mais qu'elle « n'avait pas donné tous les résultats que l'on pouvait espérer ». Différentes études (2) montrent en effet que du point de vue des résultats scolaires, l'écart entre ZEP et hors ZEP, de dix points environ, reste globalement stable : les élèves de ZEP obtiennent en moyenne de moins bons résultats aux évaluations nationales. Toutefois, selon Gérard Chauveau, chercheur associé à l'Institut national de recherche pédagogique  (INRP)   (3), « on a pu repérer un établissement ZEP sur trois où existe une progression assez sensible des résultats scolaires. Dans une minorité de cas, l'éducation prioritaire a un effet sur la réussite scolaire, donc sur la démocratisation de l'accès au savoir. »

Quel effet ont eu, justement, 20 ans de politique de discrimination positive ? Selon Jean-René Vicet, inspecteur d'académie adjoint de la Seine-Maritime (l'un des départements où les élèves scolarisés en éducation prioritaire sont les plus nombreux), « nous ne sommes pas capables de dire ce qu'elle a apporté à ces élèves. Nous n'avons pas su, pour l'instant, nous fabriquer les outils de mesure de cette politique. » Une prudence que ne partage pas Anny Aline, chargée d'étude au ministère de l'Education nationale : pour elle, « les ZEP ont vraiment freiné la dégradation, voire la dérive de bon nombre d'établissements scolaires. Et si, en 20 ans, on a doublé le niveau d'élèves au bac, c'est en partie grâce à elles. » Il n'empêche que les études sont rares, en particulier les suivis de cohorte qui permettent de connaître, au fil des années, le parcours scolaire d'un groupe d'élèves. L'une d'entre elles montre pourtant que le taux d'accès des élèves de troisième en seconde générale ou technologique est de 50,7 % en ZEP, contre 61,8 % en dehors. Mais elle indique aussi que les jeunes qui ont effectué tout leur parcours dans le même collège de ZEP réussissent aussi bien que ceux qui n'y ont jamais mis les pieds. « La concentration de publics défavorisés n'a donc pas été un obstacle à leur réussite », conclut son auteur. Mais ces passages en seconde correspondent-ils à de réels progrès ou bien à une baisse des exigences des enseignants ? Quoi qu'il en soit, pour Agnès Van Zanten, chercheuse au CNRS, qui a étudié l'académie de Créteil (4), « le fait que ces jeunes restent dans le système scolaire apporte toujours quelque chose. Plus ils auront d'années d'études, plus ils auront la possibilité de s'insérer, même s'ils n'ont pas les mêmes acquis que les autres. »

Certains, pourtant, sans remettre en cause le principe de discrimination positive, reprochent à la politique d'éducation prioritaire telle qu'elle a été mise en œuvre d'avoir accompagné l'échec et la ségrégation scolaire dans les quartiers populaires. Une distinction est parfois faite entre deux politiques ZEP qui coexistent. « La première, explique Gérard Chauveau, rassemble des acteurs de terrain et des décideurs qui essaient de mettre en œuvre l'école de la réussite pour tous dans les quartiers populaires, en misant sur la qualité des prestations pédagogiques et la volonté de préserver la mixité sociale dans les établissements scolaires. La seconde accompagne l'échec et ne met rien en place pour retenir la fuite d'une partie importante des élèves, se contentant de saupoudrer des actions. »

Quoi qu'il en soit, les ZEP ont réellement servi de laboratoire à la rénovation des pratiques et à l'innovation pédagogique. L'ouverture de l'école sur l'extérieur s'est considérablement développée. Ainsi, le réseau d'éducation prioritaire d'Allonnes, dans la banlieue du Mans (Sarthe), a développé un large partenariat avec les services municipaux, de justice, de police ou de gendarmerie, les services sociaux, en cohérence avec les dispositifs de la politique de la ville. C'est sur ce réseau que se sont appuyées des actions de prévention de la violence, d'éducation à la citoyenneté, de coopération école/familles, avec notamment la création d'une école des parents. « Si nous n'avons pu toucher pour l'instant les plus défavorisées, 15 à 20 familles de deux écoles viennent régulièrement aux ateliers organisés sur le sport, la citoyenneté, et qui ont pour but de leur redonner l'envie de s'occuper de leurs enfants en dehors du temps scolaire.»

VINGT ANS DE DISCRIMINATION POSITIVE

« Donner plus à ceux qui ont le moins », tel est le slogan adopté par Alain Savary, ministre de l'Education nationale du gouvernement Mauroy, lorsqu'il crée les zones d'éducation prioritaires  (ZEP) en 1981 (5) . Pour la première fois, selon le principe de la discrimination positive, est préconisé un « renforcement sélectif de l'action éducative dans les zones et les milieux scolaires où le taux d'échec scolaire est le plus élevé ». La volonté de lutter contre les inégalités sociales est clairement affirmée, avec comme objectif de donner, à terme, les mêmes chances de réussite aux élèves quel que soit leur milieu social d'origine. Pour cela, les établissements scolaires accueillant un grand nombre d'enfants de milieux défavorisés reçoivent des moyens supplémentaires : plus de crédits, plus d'outils pédagogiques, plus de personnels (le surcoût en postes est estimé à 8 300 pour les écoles et 3 600 pour les collèges) et moins d'élèves par classe (en moyenne, 21 en collège contre 23 hors éducation prioritaire). Les ZEP ont connu deux relances. La première, en 1990, prévoit un rapprochement avec la politique de la ville et préconise de déterminer les ZEP en fonction des dispositifs « développement social des quartiers »   (DSQ). La seconde met l'accent sur les apprentissages et, en 1999, sont créés les réseaux d'éducation prioritaire  (REP) qui complètent le dispositif en englobant des établissements où les difficultés sont moins aiguës. Leur objectif est de mutualiser les moyens et coordonner les pratiques. De 363 ZEP en 1982 - qui concernaient 8 % des écoliers et 10 % des collégiens -, on est passé à 784 ZEP ou REP (à la rentrée 1999)  : 15 % des écoliers et 18 % des collégiens. Aujourd'hui, un élève sur cinq est scolarisé dans l'éducation prioritaire. Il bénéficie d'un effort financier de l'Etat de 10 % à 15 %supérieur aux autres élèves.

Reste pourtant le talon d'Achille de l'éducation prioritaire : la discrimination positive est stigmatisante. Même dans des secteurs qui ne connaissent pas les situations extrêmes de certaines banlieues parisiennes. « Les parents estiment parfois que mettre leurs enfants dans des établissements comme les nôtres est pénalisant. Ils cherchent alors d'autres écoles ou glissent vers le privé, regrette Marcel Pons, coordonnateur de la ZEP des Sablons, un autre quartier de la banlieue du Mans. On peut résister à cela en refusant notamment les dérogations au seul motif qu'une école est meilleure que l'autre. » Conséquence ? Dans certaines ZEP, une plus forte concentration d'élèves très défavorisés (6) et l'instabilité des personnels enseignants et d'encadrement. « Un établissement ZEP sur cinq est un établissement “ghetto” », n'hésite pas à affirmer Gérard Chauveau. Résultat : on crée « de mauvaises classes, où se concentrent des élèves qui ont déjà connu beaucoup d'échecs et sont en situation de résistance par rapport à la scolarisation. Il y a des contextes où l'on sent tout le poids de l'exclusion, ou des dynamiques ethniques très fortes se mettent en place », analyse Agnès Van Zanten.

Alors comment maintenir, dans les secteurs où la ségrégation urbaine est déjà tellement importante, une mixité sociale reconnue ces dernières années comme un facteur de réussite scolaire ?L'une des possibilités est peut-être de développer les « pôles d'excellence scolaire » initiés il y a quelques années pour enrichir l'offre de formation dans les ZEP. La mise en place de classes préparatoires aux grandes écoles dans des lycées classés en ZEP, la décision en 2001 de réserver des places à Sciences-Po à des bacheliers ayant fait des études en ZEP, mais aussi la création de classes musicales, européennes ou sportives dans ces établissements ou l'intervention de structures culturelles ou scientifiques prestigieuses en sont quelques illustrations. « Continuer à implanter des structures, des équipements haut de gamme, mais aussi retenir, attirer et valoriser les personnels compétents et motivés constituerait un moyen d'injecter de l'excellence et de la qualité, mais aussi, je pense, de la mixité sociale, estime Gérard Chauveau. Car il existe des endroits où l'on peut dire que ça marche, des établissements qui ont réussi à préserver une certaine mixité sociale et de bons résultats. Ce sont ceux où l'on s'est donné pour priorité les apprentissages scolaires, la qualité des interventions pédagogiques, et la lutte contre l'effet ghetto. »

Déficit de pilotage

Autre solution parfois suggérée : cibler davantage les moyens là où les besoins sont les plus importants. Dans les zones les plus sensibles, mais aussi dans les moments cruciaux pour les apprentissages. « En France, on a une pratique de l'égalité numérique, observe Moktar Bachour, coordonnateur de l'éducation prioritaire pour l'académie de Toulouse. On baisse le nombre d'élèves à 20 par classe. Or, nous savons que le cours préparatoire  (CP) est un niveau charnière : pourquoi ne pas donner un maître supplémentaire au CP, pris sur les moyens des autres classes ? Mais une telle idée provoque une levée de boucliers. »

Au fil de leurs 20 années d'existence, les ZEP ont souffert d'une alternance de périodes où elles étaient conçues comme prioritaires et de périodes de sommeil. Elisabeth Bautier, qui dirige l'équipe de recherche Escol à l'université Paris- VIII, dénonce plus globalement le déficit de pilotage de l'éducation prioritaire. « Il n'y a pas d'énoncé clair des objectifs au niveau national, pas de débat ; c'est une politique de gestion dans le court terme, sur deux ou trois ans. Le désengagement du politique contraint les acteurs locaux à faire face à du quotidien, à contenir les explosions. Il faudra pourtant bien répondre à ces questions : Que veut-on faire exactement ? Quelle politique pour une école en milieu populaire ? »

Sandrine Pageau

Notes

(1)  A l'occasion du XXe anniversaire des ZEP - Voir ASH n° 2253 du 8-03-02.

(2)  Publiées dans la revue Education et formation n°61 - Octobre-décembre 2001 - 12,20  €.

(3)  Auteur de Comment réussir en ZEP - Retz - 2000.

(4)  L'école de la périphérie, ségrégation et scolarité en banlieue - PUF - 2001.

(5)  Circulaires des 1er juillet et 28 décembre 1981. Les premières ZEP sont mises en place à la rentrée 1981.

(6)  Les études nationales montrent une surreprésentation d'enfants d'ouvriers ou d'inactifs dans les ZEP : plus de 62 % des élèves sont d'origine défavorisée, contre 39 % dans les établissements hors ZEP.

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