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La santé s'améliore aussi par le lien social

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Seul en son genre, un cabinet médical libéral parisien fonctionne en lien avec une permanence sociale. Sous la houlette d'une association d'usagers.

« Pour les inspecteurs des affaires sociales qui sont venus récemment nous visiter, nous restons sans doute un OVNI. Un truc qui ne rentre dans aucune catégorie connue », constate Annie-Claire Deyon, médecin généraliste qui exerce depuis l'origine dans le « truc » en question. Santé-Charonne, c'est en effet à la fois un cabinet médical libéral et une permanence sociale, les deux émanant d'une association de quartier. Rien à voir, cependant, avec un dispensaire. Si le cabinet (1) accueille beaucoup de malades dépendants de l'alcool ou de la drogue envoyés par les centres spécialisés ou les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) du secteur, c'est avant tout le lieu d'exercice de leur « médecin de famille » pour beaucoup d'habitants du quartier . « Nous mixons tous les publics, ce qui n'est pas si fréquent », insiste Annie- Claire Deyon.

De fait, Santé-Charonne est aussi un cabinet médical comme les autres. On peut aller y consulter pour une entorse ou une angine sans être obligé de raconter sa vie si l'on n'en a pas envie. Quatre généralistes y exercent - deux hommes, deux femmes - et deux secrétaires- « hôtesses » s'y relaient à mi-temps pour assurer l'accueil. Les locaux sont au rez-de-chaussée d'un immeuble barre construit en 1972, en haut de la rue de Charonne, à la limite des XIeet XXe arrondissements, dans un quartier à l'habitat et aux habitants très divers. Mais plus populaire que bourgeois.

Dans la salle d'attente, le tableau d'affichage met, cependant, la puce à l'oreille. Outre les messages habituels de prévention, il donne des nouvelles associatives et propose des activités comme un atelier de lecture à haute voix. Autre particularité : le carnet de rendez-vous. Deux par heure et par médecin, pas plus. C'est dire qu'on peut bénéficier ici - au tarif de la sécurité sociale - d'une médecine disponible en temps, qui ne considère pas seulement un organe ou une maladie, mais s'intéresse à la personne dans sa globalité.

C'est ce qui a amené les médecins à constater, la crise des années 90 aidant, que beaucoup de malaises et d'insomnies étaient liés à des problèmes de ressources ou de logement, sur lesquels leur écoute et leurs ordonnances ne pouvaient pas grand-chose. D'où la création de cette permanence sociale, installée à 150 mètres du cabinet, dans une boutique associative (2). Certes, l'endroit est vieillot, le confort minimaliste, mais l'accueil de l'animatrice sociale est souriant et, comme le souligne l'actuelle titulaire du poste, Antonietta Marrucchelli, « ici, parce que c'est une toute petite structure, j'ai le temps ». Pour écouter, informer, orienter, aider à constituer des dossiers, au besoin pour accompagner dans des démarches ou des soins.

L'animatrice (titulaire de diplômes d'études supérieures en santé publique et communautaire) n'a, bien sûr, pas les attributions d'une assistante sociale de quartier. Elle ne délivre pas de secours, n'ouvre ni ne clôt elle-même de dossier. Mais elle aide à débrouiller bien des situations. Parfois en achevant simplement de convaincre les intéressés de faire valoir leurs droits. Ces derniers temps, il a surtout été question de demandes de couverture maladie universelle (CMU) ou, pour les étrangers, d'aide médicale d'Etat, mais aussi de démarches pour obtenir un relogement décent. « Le simple fait de savoir qu'Antonietta est là, qu'elle pourra donner une suite aux problèmes sociaux fait qu'on s'y intéresse, témoigne Annie-Claire Deyon. On ouvre les oreilles. Sinon, quand on sait qu'on n'a pas de solution à proposer, on ne pose pas de questions, on n'entend plus. » L'animatrice a compté 500 personnes à la permanence sociale en 2001, certaines venues directement à la boutique, la plupart sur la suggestion du cabinet médical.

Le lien entre les deux pôles, médical et social - chacun soulignant l'importance de la coupure géographique entre les deux comme garantie de liberté des usagers -, obéit à des règles strictes. Et d'abord au respect du secret professionnel. « Nous échangeons des informations devant les intéressés. Si nous téléphonons à leur sujet, c'est en leur présence. Sinon, une cloison étanche sépare ce qui se dit ici et là. C'est une règle que nous ne malmenons pas dans la pratique », affirme Annie-Claire Deyon. Autre pres-cription : «  aider, faire avec, mais pas à la place de »,  explique Antonietta. «  Cela serait souvent plus facile et plus rapide, mais déposséderait l'intéressé de sa démarche. Et ça, il faut que nous nous le rappelions régulièrement », ajoute le médecin. Par exemple pour des malades qui n'ont toujours pas entamé leur demande de CMU alors qu'ils ont besoin de soins lourds...

Le propos n'a jamais été de « faire du fric »

Coiffant ce diptyque santé-social : l'association Santé-Charonne (ASC). Créée en 1977, c'est bien elle qui est à l'origine du cabinet médical. « A l'époque, raconte Yves Barnoux, membre du conseil d'administration et par ailleurs animateur d'une association voisine, le quartier était en plein bouleversement. Le pâté de maisons où nous sommes, incluant une église en ruines, avait été rasé. » Et remplacé par des HLM, une nouvelle église discrètement installée au fond d'une allée et des locaux associatifs appartenant à la paroisse. Ceux-ci comprenaient un cabinet infirmier, alors tenu par des religieuses, et qui était contraint de fermer. « Les militants associatifs du quartier ont réfléchi à l'utilisation des lieux, songé à un jardin d'enfants ou à une crèche, et finalement préféré garder une activité de santé. » Ils se sont adressés au Syndicat de médecine générale qui professait alors des idées proches des leurs sur une médecine globale et requérant la participation des usagers. Le cabinet s'est ouvert en mai 1978, avec une généraliste et une infirmière. Et un atout : la mise à disposition gratuite de ses locaux par l'association diocésaine, via l'ASC. « Sans autre contrepartie que la participation à la vie du quartier et sans jamais aucune interférence dans notre fonctionnement », atteste Annie-Claire Deyon. « Sauf que cela a contribué à ce que la préoccupation du cabinet n'a jamais été de “faire du fric” », ajoute Emmanuel Verny, président de l'association (3), conscient qu'il sera financièrement moins facile de mettre fin à la précarité de l'installation de la permanence sociale (4).

Un lien « ténu,  mais très fort »

Depuis 1978, l'activité infirmière s'est arrêtée, faute de candidat au remplacement des départs en retraite, tandis que l'effectif médical s'est progressivement étoffé. Mais toujours en synergie avec l'association, sur la base de son projet. « Ce lien est fondamental, ténu mais très fort. S'il n'existait pas, notre présence ici n'aurait aucun sens  » , insiste Annie-Claire Deyon. A tel point que, l'avancée en âge des militants fondateurs aidant, lorsque l'association s'est progressivement dévitalisée à la fin des années 90, les médecins se sont sérieusement interrogés sur leur avenir. « Les patients étaient satisfaits, mais ils étaient devenus de simples consommateurs. »

« Ce cabinet médical doit-il disparaître ? », demande alors une affichette dans la salle d'attente. Quelques semaines plus tard, en décembre 1999, une assemblée de 200 personnes répond fermement : « non ». Depuis, plus de 100 personnes renouvellent leur adhésion, une soixantaine se pressent à l'assemblée générale, un nouveau noyau militant s'est agrégé et le cabinet se sent de nouveau adossé à une réalité « incroyablement vivante ». Même si elle a pris des « aspects totalement inattendus », sur lesquels Annie-Claire Deyon « n'aurait pas parié il y a trois ans ».

De fait, l'assemblée générale annuelle- la dernière en juin 2002 - commence et se termine en chansons, la chorale née de l'association témoignant du « bonheur » de ses membres - dont plusieurs médecins - à chanter ensemble. « C'est bien meilleur qu'un antidépresseur pour le moral et pour la forme », assurent-ils. Même jubilation manifeste des participants de l'atelier d'écriture, qui font s'esclaffer l'assistance avec leurs définitions fantaisistes de termes médicaux. L'atmosphère est plus grave quand le groupe « souffrance au travail » rend compte de ses activités. Une généraliste s'y retrouve avec un médecin du travail, une conseillère prud'homale et des personnes en difficulté. « Les échanges qui s'y déroulent en petit comité permettent de sortir de sa solitude et d'une situation qui paraissait inextricable », témoigne l'une des participantes.

Deux points communs à ces activités : elles fonctionnent toutes comme des « groupes de parole », ou du moins d'expression. Et « font beaucoup de bien » à leurs participants. «  Mieux que des médicaments, argumente Emmanuel Verny. Malgré les apparences, on n'est jamais loin du terrain de la santé, conçue comme un état de bien-être général. Et puis, ces activités sont tellement riches de lien social ! » L'association n'a donc pas envie de brider les initiatives de ses membres, d'autant qu'elles fonctionnent sur le mode de la gratuité et de « l'échange de savoirs », à partir des compétences des adhérents (seul l'animateur de la chorale a été recruté à l'extérieur et est rémunéré).

Il reste que le conseil d'administration veut aussi relancer des activités plus spécifiquement « santé ». Jadis, des groupes ont travaillé sur des thèmes aussi variés que le tabagisme, la ménopause, l'eczéma, l'insomnie, la vie avec une personne âgée. Un groupe de gymnastique volontaire a longtemps fonctionné autour du mal de dos. Jusqu'à ce que la demande s'épuise naturellement. Actuellement, deux groupes se réunissent sur les premiers secours (une formation a été organisée) et sur la « souffrance au travail ». D'autres pourraient se (re) constituer à la demande. Dans l'immédiat, l'association veut surtout relancer des soirées-débat comme celles qu'elle a déjà animé avec succès sur le vécu des usagers à l'hôpital ou sur les arrêts de travail. Parmi les thèmes suggérés par les participants à l'AG 2002 figurent les rapports médecine/argent, l'avenir de la sécurité sociale et des mutuelles (assurance ou solidarité ?), les menaces de disparition de certaines spécialités ou encore les réseaux et filières de soins. Manifestement, les questions et la demande existent. Il reste à mobiliser des forces militantes pour trouver les intervenants, organiser, faire savoir... « Cette réflexion sur des thèmes de santé et de protection sociale, joignant professionnels et usagers, est une dimension fondamentale de notre activité », insiste Yves Barnoux. « Il n'existe pas ou peu de lieux de débats où les usagers de la médecine peuvent dire aux médecins ce qu'ils pensent. C'est l'un des rôles de l'association », renchérit Alphonse Pajeaud, un autre adminis- trateur.

Il reste que ce débat médecins/usagers comme les discussions sur les règles de fonctionnement santé/social se déroulent plus facilement au sein du conseil d'administration de l'association qu'à l'assemblée générale. Timidité (pour les secrétaires-hôtesses)  ? Volonté de ne pas monopoliser la parole pour les médecins et l'animatrice sociale ? En 2002, le compte rendu des activités bénévoles des ateliers a tenu plus de place que les actions des professionnels, qui n'ont d'ailleurs suscité que peu de questions. Parce que tout va bien ? Que les rapports avec les médecins restent avant tout du registre personnel, intime ? Que le travail de l'animatrice sociale concerne un autre public que celui des membres actifs de l'association ?Qu'il est toujours difficile à un simple citoyen de « demander des comptes »  ? Un peu de tout cela, sans doute.

Les médecins ont, en tout cas, éprouvé le besoin de diversifier leur exercice professionnel en faisant l'un, partie du comité de lecture d'une revue médicale, l'autre en travaillant dans un centre d'alcoologie, deux enseignant la médecine générale aux carabins. Pour eux, « c'est une façon de continuer à se former, de se coltiner à d'autres professionnels, de garder de l'enthousiasme, de durer ». Ce qu'ils semblent faire avec une belle fraîcheur.

Et un regret : que l'OVNI en soit resté un, que l'expérience n'ait pas fait d'émules. « Un moment, pendant la passe difficile de l'association, je me suis demandée si nous faisions fausse route, dit Annie-Claire Deyon. Je suis allée au Québec voir fonctionner les centres locaux de soins communautaires. Depuis 20 ans, ils font avec succès le lien santé-social, l'interface usagers- professionnels. Là-bas, cela semble aller de soi. Pourquoi pas chez nous ? »

Marie-Jo Maerel

Notes

(1)  Cabinet médical : 177, rue de Charonne - 75011 Paris - Tél. 01 43 72 95 80.

(2)  Permanence sociale : 86, avenue Philippe-Auguste - 75011 Paris - Tél. 01 44 93 09 78.

(3)  En tant qu'usager du cabinet médical. Il est par ailleurs directeur général de l'Unassad.

(4)  L'association Santé-Charonne fait fonctionner la permanence sociale et rémunère les prestations hors nomenclature des médecins. Avec un budget annuel de 61 000  €, alimenté pour l'essentiel par les subventions des directions régionale et départementale des affaires sanitaires et sociales, du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations  (Fasild) et du Fonds jeunesse éducation populaire (Fonjep).

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