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Peut-on civiliser les drogues ?

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Inaugurée à la fin du XIXesiècle, la lutte contre les drogues a pour objectif originel la protection de la santé, rappelle la sociologue Anne Coppel. Et c'est bien le risque sanitaire qui conduit les médecins hygiénistes français à demander, en 1916, l'interdiction des « substances vénéneuses » (morphine, opium et cocaïne) - ainsi que la prohibition de l'alcool qu'ils échouent, en revanche, à obtenir, à l'exception de celle de l'absinthe. Mais que la protection de la santé des usagers de drogues puisse faire l'objet d'une politique publique restera longtemps proprement impensable. Jusqu'à ce que l'épidémie de sida fasse prendre conscience de l'urgence d'agir pour « limiter la casse »  - nom du collectif de militants de la lutte contre le sida et d'acteurs de santé, formé en mars 1993, que présidera l'auteure. Puisqu'il était illusoire d'espérer que les toxicomanes deviennent spontanément abstinents - et qu'on ne parvenait pas à les y contraindre -, il fallait qu'ils puissent protéger leur santé, tant pour eux-mêmes que pour la menace de contamination sexuelle qu'ils faisaient peser sur autrui. Kits avec seringues stériles vendus en pharmacie, programmes d'échange de seringues, prescription de traitements de substitution, « boutiques » qui accueillent des usagers de drogues sans exiger qu'ils renoncent à leur consommation, réseaux de médecins généralistes et équipes chargées de l'accueil des toxicomanes à l'hôpital : Simone Veil instaure, en 1994, un dispositif expérimental de réduction des risques infectieux liés à l'usage de drogues.

Après les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou la Suisse, où la démonstration avait été faite, entre 1985 et 1992, qu'il était possible de réduire la contamination par le sida et la mortalité à condition d'associer les usagers de drogues à la protection de leur santé, la réduction des risques s'impose, en France, par ses résultats : entre 1994 et 1999, les overdoses mortelles diminuent de 79 % (et les interpellations pour usage d'héroïne de 68 %), cependant que la mortalité par le sida est divisée par trois entre 1994 et 1997 - ce qui est dû, pour une bonne part, aux avancées thérapeutiques, mais aussi au fait que les usagers d'héroïne, bénéficiant de traitements de substitution et d'un suivi régulier, y aient accès. Sans qu'il soit, pour autant, question de changer la politique des drogues, la logique de réduction des risques s'est progressivement introduite dans les esprits : licites ou illicites, les substances psychotropes sont désormais classées selon leur toxicité, ce qui conduit à inclure l'alcool et le tabac dans la lutte contre les toxicomanies. Liant, avec brio, ses connaissances scientifiques et son expérience de terrain, Anne Coppel explique comment se sont forgées ces nouvelles façons de penser, à travers les initiatives innovantes - et les luttes communes - menées par des chercheurs, des praticiens et des usagers pour « civiliser les drogues ».

Peut-on civiliser les drogues ? De la guerre à la drogue à la réduction des risques - Anne Coppel - Ed. La Découverte -25 € .

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