Soucieux de ne plus se voir reprocher les affirmations à caractère strictement psychologisant qu'ils porteraient sur les familles, les professionnels chargés de la protection de l'enfance en danger sont à la recherche d'outils plus rigoureux, voire « scientifiques », expliquent Marceline Gabel, chargée de mission à l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), et Paul Durning, professeur de sciences de l'éducation. D'où l'intérêt des instruments d'évaluation des maltraitances présentés dans cet ouvrage par des spécialistes français, belges, québécois et américains, qui ouvrent le débat sur l'utilité - et les limites - de grilles de lecture standardisées destinées à permettre une plus grande objectivation dans l'appréciation des situations familiales. Cependant, contrairement à la culture des professionnels anglo-saxons, la quantification est étrangère à la formation et aux pratiques des travailleurs sociaux français et « il est inimaginable, à l'heure actuelle en France, de pouvoir se servir d'outils de ce genre », souligne le psychologue Jacques Chrétien, directeur général adjoint de l'association Jean Cotxet. Il n'en reste pas moins que l'analyse des démarches présidant à l'élaboration de tels supports (mode de recueil des données, choix des personnes interrogées, items sélectionnés), ainsi que les réserves méthodologiques dont font part leurs initiateurs, sont autant d'éléments précieux pour tenter de mieux cerner les notions de « maltraitance », « danger » et « facteurs de risque ».
Le recours à une instrumentation vise à préciser la question des fondements permettant de déduire des résultats obtenus l'affirmation : « cet enfant est, ou n'est pas, maltraité », commente Paul Durning. Ce qui conduit à asseoir son jugement sur une conception probabiliste de la vérité. Mais, en matière de dépistage des risques de maltraitance, l'une des principales difficultés, notamment développée par les chercheurs belges Walter Hellinckx et Hans Grietens, tient à la faiblesse numérique de la population concernée : en Belgique, 5 % des enfants seraient maltraités - en France, 1 % à 2 %, selon Paul Durning. Or, d'un point de vue statistique, moins un phénomène se produit, plus il est difficile à prévoir et, l'un des problèmes récurrents des techniques évoquées est le taux élevé de parents non maltraitants faussement identifiés comme « à risque », note aussi Jœl S. Milner, dont le Child Abuse Potential Inventory (mesure de potentiel d'abus parental), est l'instrument le plus utilisé outre-Atlantique. C'est pourquoi, lui-même comme les autres concepteurs d'outils d'évaluation invitent non seulement à manier ces derniers avec la plus grande prudence, mais aussi à ne les considérer que comme une aide au diagnostic, complétant une investigation clinique.
Pages réalisées par Caroline Helfter Evaluation (s) des maltraitances, rigueur et prudence - Sous la direction de Marceline Gabel et Paul Durning - Ed. Fleurus -20 € .