« La révolution culturelle de 1968 avait pour slogan “Il est interdit d'interdire”. Ce mouvement aurait, semble-t-il, contribué, quelques années plus tard, sinon à fermer du moins à transformer les anciennes écoles de correction, appelées aussi centres de redressement, en internat à l'adresse de l'enfance délinquante. Si, trois décennies après, notre société se pose à nouveau la question du traitement social de cette faille qui a constitué, peu à peu, une véritable plaie sociale, elle aborde également, en filigrane, la question névralgique de la dépense communautaire que sont les allocations familiales.
« D'aucuns se prononcent pour la suppression des prestations familiales aux parents de mineurs délinquants. Et les parlementaires ont voté, cet été, la réouverture des centres fermés et la réforme de l'ordonnance de 1945 (2). Si les travailleurs sociaux continuent à œuvrer dans l'ombre, ils ne facilitent pas le débat contradictoire entre la dynamique éducative d'insertion et la dynamique de répression.
« C'est la raison pour laquelle, en qualité d'assistantes de service social, nous suggérons d'élargir la discussion à partir du cadre juridique existant pour pointer d'autres alternatives moins épidermiques que la privation financière des prestations. Les allocations familiales peuvent être perçues par les parents, les tuteurs aux prestations familiales et les structures accueillant les enfants. Les parents sont susceptibles d'en être dessaisis s'ils n'ont plus la charge effective et permanente d'un ou de plusieurs enfants.
« Que signifie la suppression des prestations lors du placement dans un centre fermé d'un mineur ? Le débat proviendrait-il du fait que le texte législatif n'est pas appliqué ? D'après les articles 511-1 et suivants du code de la sécurité sociale, deux cas de figure se présentent. Les conseils d'administration des caisses d'allocations familiales (CAF) et des autres organismes débiteurs peuvent décider, dans certains cas et après enquête sociale, de verser les prestations à la personne qui assure l'entretien des enfants. Mais aussi, lorsque les enfants donnant droit aux prestations sont élevés dans des conditions matérielles défectueuses ou lorsque le montant n'est pas employé dans leur intérêt, le juge des enfants peut ordonner que les prestations soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée dite tuteur aux prestations familiales. En théorie, si le mineur est placé dans une structure fermée, les prestations sont à verser au centre d'accueil.
« Un débat peut cependant être ouvert : après concertation et décision entre les différents juges, la CAF, ou tout autre organisme débiteur, pourrait-elle financer des mesures éducatives à destination des enfants et des familles ou bien épargner les prestations en vue d'entreprendre des actions de réinsertion du mineur lors de sa sortie ? Si aucune de ces éventualités ne trouve réponse, s'agirait-il alors d'un hold-up sans braquage des allocations familiales commis par les familles ou par l'Etat, traduisant une double peine pour l'enfant ? Sinon une triple peine, dès lors que s'associent la privation de liberté, la privation affective de la famille et la privation financière des prestations. Avec ou sans braquage, un hold-up est un hold-up. Ne serait-il pas alors un délit à comptabiliser pour parvenir à la tolérance zéro ? »
(1) Elyane Caubet est cadre socio-éducatif, coordonnatrice du service social de l'Hôtel-Dieu de Paris : 1, place du Parvis-Notre-Dame - 75181 Paris cedex 04 - Tél. 01 42 34 83 86 ; Marie-Noëlle Le Floch est cadre socio-éducatif retraitée.
(2) Voir ASH n° 2273 du 23-08-02.