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La culture pour redonner sens aux parcours chaotiques

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Outil de remobilisation et moyen d'expression, la culture peut permettre à des jeunes en difficulté de raccrocher. En Ile-de-France, les centres d'action éducative et d'insertion de Versailles  (Yvelines) et de Bures-sur-Yvette  (Essonne) l'ont bien compris. Et l'utilisent, chacun à sa manière, dans une visée d'insertion.

Participation aux radios locales, concours d'art postal, voyages culturels à l'étranger, conférences au Louvre, confection de marionnettes, réalisation d'un court métrage... La gamme des pratiques artistiques proposées par la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ) à ses usagers est multiple et variée.  « Que ce soit en milieu ouvert ou en institution, pour fonctionner l'insertion doit comporter des médias. L'art en est un important et nécessite la présence de professionnels », observe Christiane Giorgetti, directrice départementale de la PJJ de l'Essonne. Depuis sept ans, « la PJJ d'Ile-de-France reconnaît la culture comme un apport aussi important que le sport ou l'insertion professionnelle dans la socialisation de son public. Une tendance confirmée par la circulaire du 24 février 2000 à laquelle a fait suite la création de services culturels », explique Max Longeron, directeur de la PJJ d'Ile-de-France, « si les initiatives sont inégalement réparties, 200 jeunes sur les 70 000 qui ont un contact par an avec nos services sont concernés de manière régulière ».

Une équipe mobile

 Situé à quelques centaines de mètres de la gare de Versailles-Chantiers sur une avenue fréquentée, le « pôle culture »  du centre d'action éducative et d'insertion (CAEI) des Yvelines (1) ne se prête pas à l'accueil des groupes. Les locaux, au deuxième étage d'un immeuble moderne, sont partagés avec le pôle ressources (qui travaille sur l'orientation professionnelle des publics suivis). L'équipe est composée d'une éducatrice et d'un agent de justice. Hormis pour des pratiques comme la calligraphie ou l'atelier « à fleur de peau » qui se font sur place, l'équipe se déplace dans les locaux de ses partenaires pour les activités manuelles. « Nous travaillons avec des centres sociaux, la mission locale de Versailles, et les structures PJJ des départements limitrophes », explique Thycia Hardelay, éducatrice et responsable pédagogique du CAEI.

 Le « pôle culture » de Versailles consacre aussi une bonne partie de son temps à démarcher les structures et à monter des projets. Il propose aux centres sociaux et aux foyers d'accueil de réaliser et d'organiser des sorties culturelles. Partant du constat que les éducateurs sont débordés et n'ont pas de temps à consacrer à des questions d'organisation, l'équipe leur offre de prendre en charge tout le travail en amont.

 Les activités du « pôle » sont toujours animées par un professionnel. « Nous avons mis en place un atelier de tatouage animé par l'auteur du livre sur lequel nous travaillons. C'est important pour ces jeunes de voir qu'on leur propose une activité sérieuse et non pas un loisir », insiste Thycia Hardelay qui, comme sa collègue, participe aux ateliers. « L'idée est de mettre les jeunes à notre niveau pour leur permettre d'intégrer un rôle d'adulte. » Chaque activité est déclinée sous tous les angles possibles. Une visite a été organisée au Salon du tatouage pendant l'été. Elle a permis d'aborder les questions de santé à partir d'un cours sur les conditions d'hygiène exigées pour se faire tatouer. De là, une séance de vaccination a été mise en place.

Si le « pôle culture » n'a recours qu'à des professionnels des métiers de l'art, c'est aussi pour ancrer ses missions dans le champ de l'insertion, et non des loisirs. « Il est nécessaire que notre public voit que nous ne faisons pas de l'occupationnel, et que toute activité a une finalité concrète. Nous avons rompu avec les pratiques qui dominaient depuis 25 ans, où un éducateur faisait faire du macramé aux jeunes », affirme Thycia Hardelay. Les sessions visent à permettre aux publics de basculer directement dans les dispositifs de droit commun, par le biais de stages qualifiés, de formations ou en accédant au marché du travail.

Chacune d'entre elles se conclut par une attestation intégrable à un bilan de compétences ; en outre, une trace visuelle ou sonore est toujours gardée de la participation des jeunes aux ateliers. « Quand nous faisons un rapport à l'aide sociale à l'enfance ou à un juge, nous joignons toujours une photo du jeune maquillé s'il s'agit d'un atelier maquillage ou une photo de l'œuvre réalisée. Ça permet aux juges d'appréhender le jeune autrement que sous l'angle du délit qu'il a commis quand c'est le cas et, d'une manière générale, d'humaniser les écrits qui le concernent », poursuit Thycia Hardelay.

 Le public visé par le « pôle culture » a entre 14 et 25 ans ; ce sont majoritairement des jeunes sous mandat judiciaire. Néanmoins, le partenariat territorial permet une mixité des publics. Les ateliers fonctionnent sur le principe de la libre adhésion et chaque demi-journée constitue une session à part entière. « Nos activités doivent avoir une finalité immédiate. Quand des jeunes sont en foyer d'urgence, ils ne restent, en effet, que quelques jours. D'autres entrent en stage ou en contrat à durée déterminée et doivent pouvoir quitter l'atelier et revenir quelques mois plus tard », explique Thycia Hardelay. Le public des centres sociaux participe aux stages sur proposition des éducateurs du milieu ouvert. Ces jeunes, ceux des missions locales et de la PJJ, sont ainsi réunis dans l'esprit d'ouverture prôné par la circulaire du 24 février 2000. « La PJJ est trop longtemps restée un ghetto. On ne peut espérer socialiser des jeunes si on les confine entre eux », défend Thycia Hardelay.

La culture comme point d'appui

A quelques kilomètres du « pôle culture » de Versailles, le CAEI de Bures-sur-Yvette (2), dans l'Essonne, a placé la pratique artistique au cœur des fondamentaux pédagogiques. Au même titre que le sport et les cours de secourisme, celle-ci permet aux stagiaires d'acquérir des notions fondamentales pour intégrer le monde du travail. Le CAEI bénéficie d'un cadre propice avec son parc boisé de plusieurs hectares. Il profite en outre du terrain de foot, de la salle de musculation et du jardin de plantes aromatiques du centre d'accompagnement éducatif dont il fait partie.

Le centre d'action éducative et d'insertion est composé de quatre pôles : l'AEPS, consacré aux activités éducative, physique et sportive avec une équipe d'éducateurs sportifs qui encadre les jeunes des autres structures ; un restaurant d'application situé aux Ulis, dans l'Essonne ; une salle de concert et de restaurant, à Ris-Orangis ; un centre de jour à Bures-sur-Yvette. « Ces structures ne sont pas étanches, certains jeunes appartiennent à plusieurs d'entre elles. Nous favorisons les contacts pour que chacun puisse profiter d'une synergie commune », explique Jean-Marie Camors, directeur de l'ensemble des établissements.

Ici, les jeunes s'engagent, pour une période de quatre mois, à venir toute la semaine de 9 heures à 16 heures. Ils choisissent entre deux modules : Car'bures dont l'objectif est d'obtenir le permis de conduire et le module environnement, qui les amène à participer à un chantier école d'aménagement d'un espace vert. « Nous accueillons des jeunes qui ont entre 17 et 25 ans sur un programme de mobilisation ou de remobilisation. A l'arrivée, ils sont incapables de travailler. Nous nous donnons quatre mois pour qu'ils intègrent des savoirs fondamentaux, sans lesquels, ils ne sont pas insérables dans la société active », poursuit Jean-Marie Camors.

Les activités culturelles ont débuté dès l'ouverture du centre de jour en janvier 2001. Une journée par semaine est consacrée à la préparation des projets comme la réalisation d'un court métrage ou la participation au festival annuel « Bulles en fureur », organisé au niveau national par la PJJ (3). Trois mois de préparation ont été nécessaires. Le temps de lire, de faire une critique des sept bandes dessinées, de participer à un jury départemental et de créer une compilation de musique avec un professionnel. Ce qui a valu d'ailleurs aux jeunes de remporter un deuxième prix. La réalisation du court métrage, prise en charge par l'association Art, cinéma et enseignement, a demandé également trois mois. « La culture redonne du sens à des parcours chaotiques, c'est un vecteur particulièrement intéressant car il n'y a pas de finalité immédiate, et c'est aussi un moyen d'expression personnelle qui laisse une trace », défend Jean-Marie Camors. « De plus nous sommes sur un terrain vierge d'échec pour ces jeunes qui ont échoué dans les stages, en apprentissage, et pour qui la famille et le quartier sont aussi synonymes d'échec. »

Au même titre que toutes les activités dispensées au centre de jour, la culture constitue un biais pour intégrer des règles d'assiduité, de politesse, et des savoirs de base comme le français, les mathématiques et l'histoire. « Toutes nos activités sont des supports décalés propices à l'acquisition de ces fondamentaux. Pour faire la critique commune d'un livre, il faut savoir lire, et travailler en équipe, au même titre que pour réaliser un court métrage », explique Lysiane Bensousan, professeur technique de culture et savoirs de base dans le centre de jour. L'équipe compte également un professeur technique de génie civil et deux éducateurs ;chaque membre est tuteur de cinq jeunes pour lesquels il assure un suivi individualisé du parcours d'insertion.

UN COMITÉ DE PILOTAGE COMMUN

En 2001, 37 jeunes ont participé aux modules du centre d'action éducative et d'insertion de Bures-sur-Yvette ; plus de la moitié sont actuellement en formation ou travaillent. Sur le cycle commencé en mars ils sont 22, venus sous contrainte judiciaire ou de leur plein gré. S'ils sont assidus, les jeunes ont la possibilité de bénéficier d'une allocation de stagiaire de la formation professionnelle via les fonds du Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles  (Cnasea), qui peut s'élever à 330  € par mois. Les participants sont issus de la protection judiciaire de la jeunesse, des clubs de prévention de 15 communes avoisinantes et de la mission locale des Ulis. Ces structures ont signé une convention qui a débouché sur un comité de pilotage commun du centre de jour et prévoit deux réunions lors de chaque session.

Au-delà de l'acquisition « d'un savoir- être », et de connaissances scolaires, la culture comme moyen d'expression représente un but en soi pour l'équipe. « Paradoxalement, pour travailler sur des points qui bloquent chez les jeunes, il est parfois plus rapide de passer par des chemins éloignés de leurs préoccupations actuelles. La pratique artistique est un raccourci puissant pour communiquer. Elle a des résonances parfois plus efficaces qu'un raisonnement », estime Lysiane Bensousan, qui annonce pour septembre la mise en place d'un dispositif tremplin pour l'insertion. Les projets seront, cette fois, à dominante culturelle et axés sur la découverte d'un métier d'art. « Les sessions seront volontairement plus courtes, pour permettre de toucher un public trop déstructuré pour s'investir sur quatre mois dans un cursus plus généraliste. L'idée, bien sûr, est de favoriser un passage vers les modules plus long. »

Cédric Morin

Notes

(1)  CAEI du 78 : Pôle culture - 97, rue des Chantiers - 78000 Versailles - Tél. 01 39 49 09 86.

(2)  CAEI : 17, rue du Château - 91440 Bures-sur- Yvette - Tél. 01 69 07 48 83.

(3)  En juin, à Bordeaux avec plus de 350 jeunes issus de structures PJJ, de centres sociaux et de clubs de prévention.

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