Le gouvernement Jospin l'avait envisagé avant de renoncer devant le mécontentement des professionnels de la justice. Nicolas Sarkozy relance l'idée. Le ministre de l'Intérieur s'est en effet déclaré, le 17 juillet, lors d'une séance publique de l'Assemblée nationale, favorable à la délocalisation, au sein de l'aéroport de Roissy, de la chambre du tribunal de grande instance (TGI) de Bobigny (Seine-Saint-Denis), dite des « 35 quater », destinée à statuer sur le maintien en zone d'attente des personnes arrivées de façon irrégulière par les airs. La cour d'appel de Paris, selon la chancellerie, a même été chargée d'examiner le projet. Quant à la question des locaux, elle est déjà résolue puisqu'une salle a été aménagée il y a quelques mois à proximité de la zone d'attente.
Les considérations économiques sont pour beaucoup dans ce projet. La législation impose en effet l'escorte d'un étranger par deux policiers entre l'aéroport et le tribunal. Or ce sont des dizaines de personnes qui sont conduites chaque jour de Roissy à Bobigny. Et, en 2001, plus de 14 000 sont passées à l'audience des 35 quater.
Cependant, pour l'Ordre des avocats du barreau de Seine-Saint-Denis, qui en mai dernier s'y était opposé solennellement, ce transfert constituerait une « violation manifeste des principes de la publicité des débats, de l'impartialité et de l'indépendance des juges qui sont les fondements du système judiciaire ». Il rejoint sur ce point le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE) (1), qui, le 4 juillet, ont écrit au Premier ministre pour lui demander de se prononcer contre la délocalisation, « violation manifeste des principes essentiels du procès judiciaire, de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ». Laquelle, « ratifiée par la France, stipule dans son article 6 que “toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement [...] par un tribunal indépendant et impartial” ». Or, soulignent ces organisations, même si les portes de la salle d'audience ne seront pas fermées, la publicité des débats paraît largement compromise par leur localisation dans « l'improbable no man's land de la zone de fret de Roissy ». Par ailleurs, « rendre la justice sous l'étroite surveillance des agents du pouvoir exécutif n'a jamais constitué et ne constituera jamais une garantie d'indépendance et d'impartialité », ajoutent-elles, relevant que la salle sera contrôlée par le ministère de l'Intérieur.
En janvier dernier, les magistrats du TGI de Bobigny, réunis en assemblée générale, avaient d'ailleurs voté à l'unanimité une motion signifiant leur refus absolu de siéger dans de telles condi- tions.
C. G.
(1) ANAFE : C/o Cimade - 176, rue de Grenelle - 75007 Paris - Tél. 01 42 08 69 93.