L'accueil familial, reconnu par la loi du 10 juillet 1989 et confirmé par celle du 11 janvier 2002, reste encore peu utilisé dans le domaine de la prise en charge des personnes handicapées mentales. A Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), le centre d'accueil spécialisé (1) a profité de sa structure d'internat pour développer, à côté, un service de placement familial pour ses résidents. Et offrir une prestation complémentaire qui se présente comme une alternative au placement en établissement.
Constitué d'une maison d'accueil spécialisée (MAS) et d'un foyer de vie, qui comptent 40 places, l'établissement public reçoit des personnes qui souffrent de déficiences intellectuelles, troubles du comportement, psychoses déficitaires, problèmes psychiatriques et autisme. C'est en 1990 que Boucif Slimane, à l'époque directeur, s'est lancé dans l'aventure. Il avait déjà mis en place une expérience similaire en Normandie dans un foyer de vie annexé à un institut médico-professionnel (IMPRO) s'occupant de jeunes femmes handicapées. « Le fait d'adosser ce dispositif à notre établissement permettait de garantir une bonne organisation, grâce aux compétences de l'équipe et à la permanence assurée de l'institution », affirme Boucif Slimane, aujourd'hui à la retraire. Un peu en avance sur la loi en embauchant directement les familles, qui étaient habituellement rémunérées par les résidents, il avait réussi à convaincre le conseil général et la caisse d'assurance maladie (pour la MAS) de l'intérêt du dispositif. Outre que celui-ci permet de mieux répondre aux nombreuses demandes de placement pour adultes très handicapés, il offre une certaine sécurité face aux aléas du placement familial : grâce à un volant de trois lits libres réservés au centre, tout résident peut être à nouveau transféré en internat en cas de problème. L'argument financier a sans doute aussi joué : Boucif Slimane insiste en effet sur l'économie généré par le placement familial spécialisé (baisse du prix de journée d'un tiers par rapport à l'internat), tout en maintenant la qualité d'accueil et en créant des emplois.
Pour démarrer l'expérience, il a fallu trouver des volontaires, Boucif Slimane a passé des annonces dans les journaux du nord de la France, les Provençaux se montrant peu intéressés par une activité d'accueil. En retour, le centre proposait la mise à disposition gracieuse d'appartements et de maisons pour les familles d'accueil. Des logements ont ainsi été aménagés dans certains bâtiments de son vaste domaine et d'anciennes écoles et gares ont été louées et réhabilitées dans une dizaine de villages autour de Forcalquier. Depuis, une quarantaine de familles d'accueil ont été embauchées et 60 places supplémentaires créées.
Les candidats sont sélectionnés par entretiens, après avoir effectué des visites et courts séjours au centre pour être au contact des résidents. « Cela permet d'évaluer leurs comportements auprès de ce public mais offre aussi la possibilité de réaliser ce à quoi ils s'engagent, observe Alain Rocci, chef de service du placement familial spécialisé. Certains déclarent forfait au bout de quelques heures, d'autres s'adaptent bien. « Quelques familles ont déjà une expérience antérieure d'accueil ou de travail auprès de personnes handicapées. Des pré-requis importants », juge Françoise Herand, psychiatre participant au recrutement. « L'engagement a plus de chance de s'inscrire dans la durée. » Sachant que « la disponibilité, l'ouverture sur l'extérieur et le souci altruiste sont également des facteurs de réussite ». En effet, « certaines familles sont très motivées par le salaire et le fait de travailler à domicile, mais ces seuls intérêts ne permettent pas de se projeter dans la durée. Elles doivent trouver un sens à leur activité en appréciant le fait d'apporter un soutien à des personnes en difficulté ». Il faut également vérifier que la structure familiale soit compatible avec l'accueil et recevoir l'accord de tous les membres de la famille, enfants compris.
Les familles sont liées à l'établissement par un contrat de droit public à durée indéterminée (régi par les dispositions de la fonction publique hospitalière). Elles accueillent de un à trois résidents, selon que l'un ou les deux conjoints ont signé le contrat pour un salaire de quatre fois le SMIC horaire par résident pour une journée de garde de 24 heures. Si l'on tient compte des indemnités d'alimentation, d'entretien, de logement, le revenu pour un couple qui reçoit trois résidents s'élève à environ 1 600 € par mois.
Le placement est réglementé rigoureusement afin de garantir le bien-être des résidents et l'intérêt des accueillants. Un document écrit définit tous les aspects de l'accueil en 14 fiches, depuis l'agrément des familles jusqu'à leurs vacances, en passant par les sujets médicaux et les relations avec l'établissement. Ces règles de fonctionnement sont remises et commentées aux familles embauchées, qui peuvent ensuite les consulter chaque fois qu'elles se posent une question concernant leur rôle. « Notre idée est d'institutionnaliser l'accueil familial à partir de règles adaptées aux utilisateurs et aux divers partenaires », explique Alain Rocci. « Le placement s'articule autour de trois idées fortes : l'aide à la vie de tous les instants quotidiens dans la recherche d'une autonomie relative du résident ; l'aspect relationnel de la famille avec laquelle l'accueilli peut tisser des liens de confiance ;enfin, le maintien d'un lien social dans la participation à une vie de famille au cœur de petits villages autour de Forcalquier. »
Pour éviter l'isolement des familles, celles-ci sont accompagnées et encadrées. Marie-Claude Coronas, éducatrice spécialisée du centre d'accueil spécialisé assure un accueil téléphonique et les reçoit en entretien individuel de deux heures, tous les deux mois. Objectif ?Redéfinir les fonctions de l'accueil et répondre aux questions techniques. Sachant qu'un projet pédagogique individualisé est défini pour chaque résident afin de les accompagner en tenant compte de leurs possibilités. « Le travail d'observation autour du projet permet aux familles de définir les axes sur lesquels elles vont travailler, explique Marie-Claude Coronas. Cela se décline au quotidien, dans les actes de la vie courante autour des repas, du sommeil et de l'hygiène, mais aussi dans les activités manuelles et physiques. »
Mais la plus grande difficulté pour les familles tient, bien sûr, au degré du handicap des résidents avec lesquels la communication verbale n'est pas toujours aisée. « Au départ, elles ont tendance à se montrer très directives comme si elles agissaient avec des enfants. Mais les résidents sont des adultes et il faut avoir la patience de les laisser ne rien faire et ne pas leur forcer la main. Je les aide à mieux comprendre l'état des résidents pour trouver l'attitude la plus adaptée. » Ses contacts réguliers avec les familles permettent aussi à Marie-Claude Coronas de repérer les problèmes et de les signaler à la direction.
Dès l'embauche des premières familles, le centre a sollicité l'Institut régional du travail social (IRTS) de Marseille pour leur faire suivre une formation qualifiante. Celle-ci leur a permis d'être sensibilisées aux handicaps mentaux et de passer le certificat d'aptitude à la fonction d'aide à domicile (remplacé aujourd'hui par le diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale). « Au départ, certains accueillants possédaient déjà une formation d'aide médico-psychologique, note Danièle Lepneveu, formatrice à l'IRTS de Marseille. Mais il fallait renforcer les compétences et enseigner aux autres. Cette formation offre un a priori de compétences aux familles, garanti par un diplôme .»
Aujourd'hui, une formation continue en petits groupes, au rythme de deux journées par an, a pris le relais. « Elle permet aux familles de se poser des questions sur leurs fonctions au travers d'analyses de pratiques professionnelles, indique Danièle Lepneveu. Elle les aide aussi à rompre leur isolement et à échanger leurs points de vue. Une façon pour les familles d'accueil de se sentir reconnues et valorisées.
Dans le monde du handicap mental, les affaires de maltraitances imposent une attention particulière. Outre le retour des résidents au centre, toutes les trois semaines, pour permettre un répit aux familles (voir encadré), un dispositif de contrôle, assuré par un agent spécialisé a été mis en place. Ce dernier effectue des visites sur site d'accueil, donnant lieu à un rapport écrit. Un manquement grave dans la prise en charge des résidents peut conduire à une remise en cause du contrat. Depuis 1990, une famille a été suspendue pour alcoolisme.
Grâce à cette organisation, les promoteurs du placement familial spécialisé ont réussi à monter un dispositif qui fonctionne bien. « Cela permet à des résidents parfois lourdement handicapés d'avoir une vie sociale et citoyenne qu'on ne peut pas leur offrir en foyer, affirme Dominique Perriot, directeur actuel du centre d'accueil spécialisé. La majorité des familles vivent dans des petits villages où la présence de deux ou trois personnes handicapées est bien acceptée. » Mais cet encadrement très strict de l'accueil familial présente aussi des limites. « Le fait que l'établissement ait défini un programme précis permet aux familles d'être soutenues, reconnaît Jean-Claude Cebula, directeur de l'Institut de formation de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales. Mais ne risque-t-on pas de trop brider les familles et de dénaturer l'essence même de l'accueil familial en l'intégrant au projet pédagogique d'un établissement ? »
Le rythme de travail des familles est de trois semaines d'accueil successives, week-ends compris, suivies d'une semaine de congé. Pendant ce temps de repos, les résidents sont hébergés en familles-relais, installées dans des logements attenants au centre d'accueil. Celles-ci reçoivent six résidents par semaine, sur le même rythme que les autres familles, mais seulement le soir et les week-ends. Les pensionnaires passent leur journée en accueil de jour classique dans des locaux spécifiques au placement familial spécialisé, avec un encadrement d'éducateurs spécialisés, d'éducateurs techniques et d'aides médico-psychologiques. Enfin, un repos annuel de trois semaines consécutives est prévu durant lequel les résidents sont placés chez des familles-vacances. Cette alternance impose un important travail de planning, mais évite l'épuisement des familles. Elle permet également de garder un contact avec les résidents qui reviennent au centre une semaine par mois et avec les familles qui accompagnent et viennent rechercher « leurs » résidents.
Un manquement grave dans la prise en charge des résidents peut conduire à une remise en cause du contrat
Enfin, il faut bien reconnaître que le placement en famille d'accueil reste une solution transitoire qui deviendra impossible avec la complication de l'état de santé liée à l'âge. Ses promoteurs en sont bien conscients : pour la majorité d'entre eux, les résidents devront retourner en foyer à la fin de leur vie.
Florence Pinaud
(1) Centre d'accueil spécialisé : BP 20 - 04300 Forcalquier - Tél. 04 92 70 73 00.