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LE SOCIAL INSOLUBLE DANS LE MARCHé

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Projet associatif, place centrale à l'usager, mixité des publics, ancrage dans le territoire... Face à l'offensive du Medef tendant à dissoudre le secteur social dans le marché, les associations réaffirment leur légitimité à entreprendre autrement.

«  C'est une déclaration de guerre. » Le jugement de Jacqueline Mengin, présidente de la Fonda, est sans appel. Si les propos du Medef, ses attaques contre les services publics, l'économie sociale et le secteur associatif sont anciennes et constantes, ce qui surprend, c'est le ton, violemment polémique. Avec sa diatribe contre les distorsions de concurrence qui freinent la libre entreprise (1), l'organisation patronale lance un véritable pamphlet, « plus idéologique qu'économique », estime Michel Gaté, délégué général de la Fédération nationale d'aide et d'intervention à domicile (Fnaiad).

Dans le cadre du centenaire de la loi de 1901, le Conseil économique et social avait ouvert la discussion entre les représentants du monde économique et ceux du secteur associatif, notamment lors d'un colloque intitulé « Du malentendu à la complémentarité ». Certes, on trouvait déjà dans le discours du Medef les mêmes flèches contre « la concurrence déloyale » des associations, notamment des « mammouths » employeurs du secteur sanitaire et social. Reste que ses représentants avaient accepté de débattre, dans un esprit de co-existence, sinon de collaboration.

Sept mois plus tard, le dialogue s'est mué en véritable offensive. Dans un document caricatural, l'organisation patronale fait l'apologie d'un modèle unique d'entreprise, la société de capitaux, contestant jusqu'à l'existence des autres formes d'entreprendre :celles des collectivités, de l'Etat, des entreprises publiques et des acteurs de l'économie sociale. Elle réclame purement et simplement l'intégration du secteur social dans le marché concurrentiel, soit la mort de l'économie sociale. Dénuée de toute faculté d'exercer des activités économiques, l'association n'aurait plus droit de cité qu'à travers les organismes caritatifs. Libéralisme et charité, dans la plus pure tradition de la bourgeoisie du XIXe siècle et de l'actuel modèle américain.

« Le projet mûrissait depuis longtemps, mais cela n'est pas étonnant qu'il ressorte aujourd'hui », remarque Michel Gaté. Bien sûr, la radicalisation du discours du Medef n'est pas étrangère à l'arrivée de la droite au pouvoir. « Mais il ne traduit pas la position de l'ensemble des petites entreprises qui se sont éloignées de l'organisation patronale », nuance Jacqueline Mengin. On peut également se demander si certaines préoccupations tactiques, comme l'organisation d'un patronat de l'économie sociale avec la création du CEGES et la constitution d'une liste pour les prud'homales du 11 décembre 2002, n'ont pas joué. Mais les raisons sont sans doute plus profondes, selon Julien Adda, délégué général de la Conférence permanente des coordinations associatives : « Ce rapport traduit la crise de débouchés du capitalisme après les illusions de la nouvelle économie. Et la nécessité pour lui de trouver de nouveaux marchés dans l'éducation et les services à la personne. » Cela ne rend-il pas d'autant plus étonnant le silence du rapport sur les organismes de protection sociale, quand on sait à quel point l'assurance maladie et les retraites sont des secteurs convoités par les assureurs ? « Ou préfèrent-ils avancer cachés ? », demande Michel Gaté.

Approximations, suspicion jetée sur «  l'économie dite sociale » accusée de ne pas respecter ses propres règles, le document du Medef comporte aussi de nombreux raccourcis. Par exemple, en amalgamant à des subventions les prix de journée et les rémunérations pour services rendus. Ou en oubliant que les sociétés privées sont loin de fonctionner selon des règles de concurrence « pure et parfaite ». Ou encore en faisant l'impasse sur toutes les formes d'aides et de subventions consenties aux entreprises. Sans compter une vision très partielle : si les entreprises insèrent par l'emploi et créent du lien social, comme l'affirme le Medef, elles ont également une grande part de responsabilité dans l'augmentation du nombre d'exclus et la précarisation croissante des « inclus », ainsi que le rappelle le Mouvement national des chômeurs et précaires. La vision manichéenne opposant une économie de marché, facteur de liberté individuelle et de croissance, à un secteur arc-bouté sur ses privilèges et peu efficient ne colle pas à la réalité. « Les entreprises ont-elles été sans défaut lorsque les communes leur ont confié le marché de l'eau et les cantines scolaires ? », s'interroge Elisabeth Merle, directrice générale de l'Adessa. « Aucun secteur n'a de leçon à donner », tranche Jacqueline Saint-Yves, vice-présidente de la Fédération Coorace.

Le beurre et l'argent du beurre ?

Le secteur de l'aide à domicile « est déjà dans la tourmente depuis 1995 », souligne Michel Gaté, de la Fnaiad. « Pourtant, le secteur privé a déjà eu le beurre et l'argent du beurre », s'exclame Elisabeth Merle, de l'Adessa : ouverture des services aux personnes à domicile par la loi de janvier 1996, TVA à 5,5 %, exonérations de charges patronales pour la prise en charge des personnes dépendantes, ouverture par la caisse nationale d'assurance vieillesse des prestations d'aide ménagère, « subventions massives » aux plates-formes de services privées... Alors, pourquoi les entreprises n'ont-elles pas connu un développement foudroyant sur ce créneau ?, ironise l'Adessa. Que le secteur privé veuille maintenant « mettre le pied dans le mandataire est un peu fort de café », se récrie Michel Gaté, persuadé cependant que « les sociétés de service des grands groupes ont peaufiné leur stratégie pour revenir en force. Avec quelle utilité ? Offrir un service à meilleur prix ? Avec des gens moins formés et sans statut conventionnel, avec des emplois précaires ? »

« Pourquoi la concurrence deviendrait-elle le critère sur lequel toute l'activité économique devrait se ranger ?, s'agace de son côté Gérard Deschryver, président de l'Usgeres. Il y a des activités qui ne sont pas dans le secteur concurrentiel mais qui sont pleinement des activités économiques. » « Il y a toujours eu plusieurs façon d'entreprendre. Une seule forme d'entreprise serait catastrophique », estime Marc Gagnaire, directeur adjoint de la FNARS, qui souligne que les associations sont souvent nées pour prendre en charge des besoins auxquels ni les pouvoirs publics ni les chefs d'entreprises ne répondaient. « Notre société est-elle condamnée à marchandiser tous les biens et services ? », lance aussi Michel Gaté.

De toute façon, l'accusation de concurrence déloyale portée par le Medef est « tout à fait marginale », rétorque Edith Arnoult-Brill, présidente du Conseil national de la vie associative. Très peu de structures viennent finalement sur le terrain des entreprises privées. Alors que des multinationales n'ont pas hésité à investir des secteurs comme les centres de loisirs sans hébergement ou l'aide à domicile. De quelle concurrence parle-t-on d'ailleurs ?, s'interroge Edith Arnoult-Brill. « Une fois éliminés les faux-nez du commerce, elle n'est qu'apparente. » Car le but final de l'entreprise et celui de l'association sont très différents : si l'une agit dans une logique de profit légitime, «  l'autre cherche d'abord à répondre à des besoins, solvables ou non, avec l'ambition de mixer les publics afin d'éviter de créer des ghettos sociaux  ». « Ce qui compte, ce n'est pas seulement ce qu'on fait, mais aussi la manière dont on le fait, insiste Jacqueline Saint-Yves , avec l'alchimie entre bénévoles et salariés et l'objectif de toujours placer l'usager au centre du projet. » Autant d'éléments gommés par l'approche « restrictive et sclérosante » du Medef, qui ignore en outre l'ancrage de l'activité associative dans le territoire, le tissu économique local et la citoyenneté, observe Hubert Allier, directeur général de l'Uniopss.

Le marché... pour les plus forts

Autre cheval de bataille du patronat : la solvabilisation de la demande plutôt que la subvention de l'offre. Beaucoup de mesures vont déjà dans ce sens comme les aides fiscales ou le chèque emploi-service. « Cela part d'une bonne intention, mais entraîne plein d'effets pervers, juge Jacqueline Saint-Yves. D'abord pour le salarié, qui se retrouve dans une relation de gré à gré avec son employeur, sans possibilité de formation ni d'évolution. A quoi s'ajoutent les risques de juxtaposition de travail déclaré et de travail au noir. » De toute façon, « le libre marché est fait pour les plus forts, renchérit Florence Leduc, directrice générale ajointe de l'Unassad. Or nos publics sont dans leur grande majorité fragilisés par l'âge, la maladie ou le handicap. » « En fonction de quoi pourront-ils choisir ?, demande Michel Gaté. Du plus puissant sur la place ? Du meilleur en marketing ou en communication ? La solvabilisation, c'est la dérégulation assurée. » En outre, elle ne réglerait pas le problème, tranche Edith Arnoult-Brill, car les publics en difficulté sont souvent dans l'incapacité d'exprimer une demande sociale.

Bon prince, le Medef reconnaît dans son rapport que les deux univers de l'entreprise et du secteur associatif « ont des préjugés et s'ignorent ». Qu'attend-on alors pour discuter ?, s'irrite Marc Gagnaire, expliquant notamment que la FNARS a plusieurs fois invité, lors de journées d'études, des représentants du Medef, mais que l'inverse est peu courant. Et que ces mêmes représentants sont peu présents dans certaines instances de régulation comme les comités départementaux d'insertion par l'activité économique. « Nous, nous ne voulons pas nous mettre dans une démarche d'opposition, renchérit Gérard Deschryver . Il y a peut-être des chantiers à ouvrir et on est prêt à dialoguer. » « Il y a de la place pour les deux secteurs. Associatif et lucratif peuvent co-exister », affirme l'Adessa qui, à l'instar de la plupart des personnes interrogées, refuse de se cantonner à la polémique. « C'est vrai qu'il y a encore des choses à clarifier sur les statuts, la fiscalité, les modalités de contrôle », ajoute Yolande Briand, secrétaire générale de la CFDT Santé-sociaux, qui juge, pour sa part, que « la loi de 1901 n'est pas forcément adaptée à des associations qui gèrent 1 000 salariés ».

Le débat est loin d'être franco-français. La charge du Medef s'inscrit dans un contexte européen marqué, lui aussi, par les débats autour de la libre concurrence et du modèle social européen. Face à une communauté construite à l'origine sur un objectif économique, les responsables associatifs espèrent, après la création du statut de la société coopérative européenne, faire aboutir celui de l'association européenne. Ils souhaitent également parvenir à une clarification des règles d'intervention des « services d'intérêt économique général ».

Poursuivre sur la voie de la reconnaissance

Reste que, dans l'immédiat, c'est bien du nouveau gouvernement Raffarin que les responsables de l'économie sociale attendent des assurances. Paul Picard, délégué général du CEGES, a demandé à rencontrer le Premier ministre pour que « soit clairement reconnue, dans les textes français et européens, la pluralité des formes économiques, avec leurs attributs ». Quant à l'Unifed, elle devait prendre position le 11 juillet, lors d'un comité directeur. Le gouvernement prendra-t-il acte, comme son prédécesseur, des efforts de structuration du secteur ? Poursuivra-t-il dans la voie de sa reconnaissance, marquée dernièrement par la charte d'engagements réciproques Etat-associations du 1er juillet 2001 (qui reconnaît d'ailleurs le rôle économique des associations) et la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale, votée à l'unanimité par le Parlement en janvier 2002 ?

Après la déclaration de politique générale de Jean-Pierre Raffarin (2), les responsables associatifs restent vigilants. Le Premier ministre n'a mentionné qu'une seule fois l'association, accolée au terme « émotion ». Et lorsqu'il évoque la lutte contre l'exclusion, il préfère citer, dans des termes flous, « les structures à taille humaine, les réseaux de proximité et la famille ». Seule annonce : le gouvernement veut relancer la politique du mécénat par de nouvelles incitations fiscales et en simplifiant les procédures de création des fondations. Pourtant, Jean-Pierre Raffarin connaît le secteur de l'économie sociale : l'ancien président de la région Poitou-Charentes lui avait donné une place dans le contrat Etat-région.

 Marie-Jo Maerel et Isabelle Sarazin

Notes

(1)   « Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles du jeu ». Voir ASH n° 2270 du 5-07-02.

(2)  Voir ce numéro.

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