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Un partenariat expérimental contre les expulsions

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S'inscrivant dans la logique de la loi contre les exclusions, trois associations ont décidé de mettre leurs compétences juridiques et en matière de logement au service des locataires parisiens menacés d'expulsion. Un projet expérimental et novateur qui combine information et assistance juridique et repose sur la médiation entre locataires et propriétaires.

Lorsqu'on lui demande pourquoi avoir créé un dispositif de prévention des expulsions locatives dans la capitale, Joaquim Soares, directeur de l'Espace solidarité habitat de la Fondation Abbé -Pierre pour le logement des plus défavorisés (1) répond par un chiffre : 6 268. C'est le nombre d'assignations en expulsions notifiées à Paris pour loyers impayés en 2000, soit une hausse de 20 % par rapport à l'année précédente. Ce constat inquiétant a amené l'Espace solidarité habitat à réunir des compétences complémentaires au sein d'une permanence juridique de prévention des expulsions à Paris afin d'aider les personnes en difficulté à se défendre contre les procédures entamées par les propriétaires. Lancé en novembre dernier, ce projet expérimental réunit autour d'Espace solidarité habitat, la Confédération générale du logement  (CGL) union parisienne, association spécialisée dans la défense des locataires, et Droits d'urgence dont le pôle d'avocats intervient pour l'accès aux droits des populations les plus démunies (2).

Pévenir et accompagner

La mise en place de cette permanence gratuite s'inscrit dans l'esprit de la loi contre les exclusions de juillet 1998 qui cherche à « substituer une logique de travail social et de prévention à une logique d'ordre et de sécurité publics ». Une orientation positive mais qui se heurte aux particularités du logement parisien. « La loi s'applique très bien dans le cadre du logement social, avec notamment l'intervention du Fonds de solidarité pour le logement  [FSL] ou l'obligation de se servir des aides personnalisées au logement  [APL] . En revanche, elle est moins efficace lorsque l'on touche au secteur privé qui représente près de 90 % des logements à Paris. Elle oublie par exemple de sanctionner le propriétaire privé qui refuse l'intervention du FSL, pourtant prévue par la loi pour aider le locataire à s'en sortir », déplore Pascal Robin, directeur de la CGL de Paris.

A cela s'ajoute les failles de la charte départementale de prévention des expulsions (3) élaborée avec retard dans la capitale. « Mise en place péniblement en juillet 2001, elle n'imagine pas grand-chose en matière d'aide aux populations les plus démunies, qui n'ont le plus souvent pas les moyens culturels et économiques pour aller chercher les informations nécessaires auprès de structures comme l'agence départementale pour l'information sur le logement  [ADIL] ou pour accéder aux conseils d'un juriste »,  regrette Joaquim Soares.

Le directeur de la CGL, Pascal Robin, va même plus loin, évoquant le cynisme de certains partenaires extérieurs qui en viennent à approuver des expulsions sous prétexte que « si un locataire est toujours dans une situation d'impayé de loyer malgré une loi en application depuis 4 ans, c'est qu'il est de mauvaise foi et qu'il n'y a plus rien à faire ».

Pour tenter d'inverser la tendance, au sein des permanences juridiques hebdomadaires installées, depuis la fin de 2001, dans les maisons de la justice et du droit des Xe et XVIIe arrondissements et, depuis cette année, au sein de l'Espace solidarité habitat, une action expérimentale a été imaginée. Orientés essentiellement par les associations de terrain, l'agence départementale pour l'information sur le logement et la préfecture (qui dispose depuis février dernier d'une lettre type informant les personnes faisant l'objet d'une procédure d'expulsion de l'existence du dispositif), les locataires sont d'abord accueillis par des spécialistes de la Confédération générale du logement qui analysent leur situation économique et la validité du dossier.

« Malheureusement, environ un tiers des décisions d'expulsions portent sur des dettes non fondées », observe Pascal Robin. Il s'agit de problèmes liés à la nature juridique du contrat de location, à des charges indues ou encore à des augmentations de loyer non réglementaires auxquels viennent s'ajouter des frais de contentieux facturés illégalement par certains cabinets de gestion intervenant pour le compte des propriétaires. Lors de cet état des lieux, les membres de la Confédération générale du logement cherchent également à éclaircir une situation souvent confuse pour le locataire et à l'informer de ses droits et des enjeux pour les deux parties.

Dans le même temps, l'équipe, avec l'aval du locataire, prend contact avec le propriétaire pour lui proposer une médiation. Encore peu développée et peu connue du public, la médiation en matière d'impayés de loyers est un des axes phares du dispositif. Préparée par les avocats de Droits d'urgence, elle vise à réintroduire une dimension humaine dans des procédures juridiques techniquement très complexes. « Lorsque l'aspect psychologique est laissé de côté dans ces conflits, note Frédéric Lassez, juriste à Droits d'urgence, on aboutit à des situations de blocage. Les deux parties ne se connaissent pas, n'ont jamais été à l'écoute l'une de l'autre. On se trouve dans un processus complètement désincarné. Avec la médiation, d'un seul coup, les choses reprennent “corps”. »

Le juriste se souvient ainsi de cette responsable d'un cabinet de gestion, sûre de son bon droit et fermement décidée à régler en quelques minutes le problème de ce « mauvais » locataire lors d'une médiation. La découverte d'une jeune mère en larmes et dans une situation de profond désarroi à la suite d'une séparation, de problèmes de santé et de la perte de son emploi a permis de renouer un dialogue et de chercher un accord. « Ce qui nous a surpris, c'est de constater que la médiation était également très importante lorsqu'on avait une grande société HLM ou un gros cabinet de gestion face au locataire. On s'est aperçu que, derrière le problème des impayés de loyers, il pouvait y avoir un conflit de personnes », explique Frédéric Lassez.

60 %  des personnes sont absentes à l'audience

En cas de rejet ou d'échec de la médiation, le locataire est orienté vers un avocat spécialisé qui le suivra tout au long de la procédure et l'aidera, avec d'autres partenaires, comme les travailleurs sociaux chargés par la préfecture d'effectuer une enquête sociale, à préparer sa défense le jour de l'audience. Cette prise en charge est primordiale au regard des statistiques qui font état, selon les responsables de la permanence, d'un taux de 60 % de personnes absentes à l'audience. « Cette absence leur est bien évidemment préjudiciable. Le juge doit trancher entre deux arguments et ne retiendra que celui du bailleur si le locataire n'est pas présent », regrette Pascal Robin. Sans compter que bon nombre des locataires qui se rendent à l'audience ne se défendent pas en droit mais « avec leurs tripes » et des informations très générales glanées çà et là. En outre, pour se faire bien voir du juge « ils sont prêts à dire n'importe quoi. Je vois des locataires en difficulté proposer eux-mêmes des plans d'apurement en quatre mois pour des dettes de près de 5 000   ».

Un des points forts et innovants du dispositif parisien réside dans l'articulation de compétences complémentaires permettant d'apporter une assistance conjuguée à des publics démunis. Et de mettre un terme à la confusion des genres, souvent la règle en matière de prévention des expulsions pour impayés de loyers. « L'enjeu, c'est de créer une synergie entre les différents acteurs : les avocats, les travailleurs sociaux et les médiateurs. Dans la pratique, bien souvent quand ils traitent ce genre de dossiers, ils fonctionnent dans une logique de toute puissance, ce qui conduit à des choses aberrantes ; par exemple, un travailleur social qui se met à la place d'un avocat ou inversement un avocat qui cherche à faire du travail social », déplore Frédéric Lassez.

Reste que cette articulation doit encore s'améliorer avec certains partenaires extérieurs, reconnaît le directeur de l'Espace solidarité habitat. « La synergie existe entre les avocats de Droits d'urgence, les juristes de la Confédération générale du logement et les médiateurs, mais il manque les travailleurs sociaux. Ceux, aussi bien de la caisse d'allocations familiales que de la direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé, ne nous envoient pratiquement pas de public sur ces problématiques de prévention d'expulsion, ou bien ils nous les envoient trop tardivement, lorsque l'ordonnance d'expulsion a été prise. »

Une coordinatrice a rejoint récemment l'équipe pour créer des passerelles plus solides entre la permanence et les différents services sociaux concernés. Les initiateurs du projet cherchent également à sensibiliser davantage les propriétaires aux apports de la médiation locative ; une pratique trop souvent mal comprise ou rejetée par les bailleurs privés pris dans une logique spéculative ou leurs représentants. « Economiquement, les cabinets de gestion ont intérêt à aller au bout de la procédure d'expulsion dans la mesure où ils touchent des honoraires du propriétaire pour cha- que opération », explique Pascal Robin. Enfin, certains propriétaires cherchent à instrumentaliser la médiation. « Lors de la première rencontre que nous avons organisée, le propriétaire privé, qui avait des problèmes avec ses banques, est venu uniquement dans le but de leur prouver qu'il faisait des démarches permettant de récupérer ses dettes », note ainsi Frédéric Lassez.

Une centaine  de personnes assistées

Toutes ces difficultés, les initiateurs du dispositif les mettent sur le compte de la jeunesse du projet. Sur les quelque 1 300 assignations pour dette locative prononcées dans les trois arrondissements couverts par la permanence (les XXe, XVIIe et Ve, auxquels devrait bientôt venir s'ajouter le XVIIIe), une centaine de personnes ont été assistées depuis le début du dispositif et une vingtaine de propositions de médiations ont été formulées.

Au total, une seule expulsion sans délai n'a pu être évitée, souligne Pascal Robin qui mise sur la durée. « Plus notre dispositif va avancer dans le temps, plus il y aura de médiations et donc moins il y aura d'audiences. Avec l'assistance que nous fournissons aux locataires, les propriétaires vont rapidement se rendre compte qu'ils ne sont plus sûrs de gagner à tous les coups. Je pense qu'on devrait assister à un rééquilibrage entre les audiences et les accords à l'amiable. »

Une question de temps, et donc aussi d'argent. Fonctionnant sur des aides au démarrage - provenant du conseil régional, de la Fondation de France, de la préfecture de Paris et de la Fondation Abbé-Pierre -, l'équipe de la permanence cherche aujourd'hui des financements complémentaires pour pérenniser le dispositif.

Henri Cormier

Notes

(1)  Espace solidarité habitat : 78/80, rue de la Réunion - 75020 Paris - Tél. 01 44 64 04 40. Ce dispositif associatif, créé en 2000 par la Fondation Abbé-Pierre, joue le rôle de fédérateur dans le cadre de la permanence juridique de prévention des expulsions à Paris.

(2)  Voir ASH n° 2180 du 15-09-00.

(3)  La loi de juillet 1998 rendait obligatoire l'élaboration de chartes départementales de prévention des expulsions, dans un délai de deux ans à partir de la promulgation de la loi, soit avant le 31 juillet 2000. A Paris, elle a été signée, le 2 juillet 2001, par la préfecture de police, la mairie et le conseil général de Paris, des magistrats, des huissiers, des bailleurs et des associations.

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