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« INTéGRER L'ENFERMEMENT DANS UN PARCOURS éDUCATIF »

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Créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs permettant une prise en charge éducative intensive, « aménager » l'ordonnance de 1945 pour diversifier les mesures destinées aux moins de 16 ans, telles sont les deux propositions phares du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.

Mieux connaître la délinquance des mineurs, responsabiliser et soutenir la famille, diversifier l'école, reconquérir les quartiers, être impitoyable à l'égard des majeurs qui utilisent des mineurs pour commettre des infractions, redécouvrir la dimension éducative de la sanction, inventer des parcours éducatifs permettant de « mettre de la contrainte dans l'éducation et de l'éducation dans la contrainte », lutter contre la « bureaucratie » au sein de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ), mettre sur pied des « partenariats responsables » et évaluer « à tous les étages ». Tels sont les dix « principes essentiels » mis en avant par la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs dans le rapport qu'elle a rendu public le 3 juillet (1). Un document très attendu dans le contexte politique actuel, après une campagne électorale placée sous le signe de la sécurité et avant la présentation en conseil des ministres, le 17 juillet, du projet de loi d'orientation et de programmation pour la Justice, qui sera examiné dans la foulée lors de la session extraordinaire du Parlement. On en connaît toutefois déjà les grandes lignes en ce qui concerne les mineurs : création de centres éducatifs fermés - qui ne relèveraient pas « d'une logique pénitentiaire de détention mais d'une obligation ferme faite aux mineurs de ne pas sortir, sous peine de s'exposer à des conséquences sévères » et qui seraient « plus contraignants » que les centres éducatifs renforcés (CER) et les centres de placement immédiat  (CPI)  -, de centres de détention spécifiquement affectés aux mineurs, amélioration des conditions de détention dans les quartiers pour mineurs dans les prisons.

Au terme de ses multiples auditions de personnalités (2), de ses déplacements en province et à l'étranger, de l'analyse de questionnaires adressés aux 100 directions départementales de la protection judiciaire de la jeunesse, aux tribunaux pour enfants..., que propose la commission, présidée par le sénateur (RPR) des Hauts-de-Seine, Jean-Pierre Schosteck ? « La commission ne croit pas que tout travail éducatif soit impossible en milieu fermé comme le lui ont affirmé certains de ses interlocuteurs. Si tel était le cas, à quoi servirait-il de proclamer sans cesse que tout doit être fait pour que la prison facilite la réinsertion des condamnés ? », affirme sans détour le rapport, se fondant notamment sur l'expérience des Pays-Bas, qui, « plus pragmatiques, ont mis en place des parcours d'éducation et de réinsertion comportant des phases de liberté et des phases de contention ». Encore faut-il que l'enfermement des jeunes ne soit plus une « fin de parcours éducatif raté », mais soit « repensé afin de revêtir une véritable dimension éducative et de s'inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion ». Aussi les sénateurs suggèrent-ils de créer des établissements pénitentiaires spécialisés pour les mineurs permettant une prise en charge éducative intensive pendant l'incarcération- avec une véritable scolarisation, des activités multiples -, qui devraient se substituer aux quartiers des mineurs actuellement intégrés dans les maisons d'arrêt. Il convient aussi de « développer des souplesses » pour le passage de ces « centres spécialisés » aux structures plus ouvertes et réciproquement. Ce qui suppose de faire du juge des enfants le juge d'application des peines, y compris lorsque le mineur est incarcéré. Une mesure de « tutorat judiciaire » permettant un suivi du mineur après son jugement et la désignation d'un éducateur référent contribuerait à cette souplesse.

L'ordonnance de 1945 « perfectible »

Tout en ne souhaitant pas attenter à ses principes, les sénateurs considèrent l'ordonnance de 1945 comme encore « perfectible », puisqu'elle interdit par exemple tout cumul entre une mesure éducative et une peine (3). Surtout, le rapport dénonce « l'insuffisance des mesures pouvant être prononcées à l'égard des mineurs de moins de 16 ans ».  Et propose d' « aménager » l'ordonnance de 1945, de façon d'une part, à rendre possible, pour les moins de 13 ans, des mesures de réparation ou un éloignement de très brève durée et, pour les 13-16 ans, le placement en détention provisoire en matière correctionnelle - actuellement possible seulement en matière criminelle - lorsque le mineur ne respecte pas les obligations du contrôle judiciaire. A noter que la majorité sénatoriale renoue ainsi, en l'adoucissant, avec l'une de ses propositions développées en 2001 lors des débats à la Haute Assemblée sur le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne : le rapporteur de la commission des lois, un certain... Jean-Pierre Schosteck, avait alors proposé, parmi toute une panoplie d'amendements visant à durcir la législation à l'encontre des mineurs, la possibilité de détention provisoire pour les 13-16 ans dans tous les cas.

Les parlementaires portent d'une façon générale un regard sévère sur la justice des mineurs. Non qu'elle soit « particulièrement laxiste ». Mais si elle « apporte bel et bien des “réponses” à la délinquance des mineurs, [celles-ci] ne font pas sens parce qu'elles interviennent trop tardivement, parce qu'éducation et sanction sont généralement dissociées ». La justice des mineurs, de fait, est lente : les délais de jugement varient entre 2 et 18 mois pour les audiences de cabinet et entre 6 mois et 3 ans pour les audiences du tribunal pour enfants. Cette situation est liée en partie au nombre insuffisant des juges et à l'encombrement des tribunaux. Mais ces délais, note le rapport, sont aussi pour une part « souhaités par les juges ». « En fait deux exigences parfaitement contradictoires mais aussi essentielles l'une que l'autre s'affrontent »   : d'un côté, le temps nécessaire à l'observation de la personnalité et du comportement du mineur et, de l'autre, la nécessité de ne pas réduire l'impact du jugement. Deux exigences entre lesquelles la commission demande que soit trouvé un équilibre. Et si elle exclut toute comparution immédiate pour les mineurs, elle souhaite que le procureur puisse renvoyer un mineur déjà connu de la justice devant le tribunal pour enfants dans un délai de dix jours à un mois aux fins de jugement.

Autre grief à l'encontre de la justice des mineurs :les carences de la mise en œuvre des peines et mesures, un « vrai scandale » selon les sénateurs, qui soulignent que « le sentiment d'impunité de certains mineurs s'enracine dans ce constat que la justice ne fait pas ce qu'elle dit ». Ils pointent les grandes difficultés du fonctionnement des greffes ainsi que le manque de moyens des services éducatifs pour appliquer les mesures. Résultat, le délai moyen de prise en charge était de 51 jours en 2001. Et même lorsqu'elles sont mises en œuvre, les mesures éducatives, préjudicielles ou après jugement, « font l'objet d'un suivi insuffisant », faute de communication entre éducateurs et magistrats. Ces derniers se voient également reprocher leur tendance à recourir aux procédures de l'assistance éducative à l'égard des mineurs délinquants, qui devraient, eux, faire l'objet d'un accompagnement dans le cadre de l'ordonnance de 1945. Un procédé qui leur permet cependant parfois de contourner les réticences de certains établissements à travailler avec des mineurs délinquants.

PJJ : « une crise d'identité »

Les juges ne sont pas les seuls épinglés par le rapport. La PJJ est particulièrement montrée du doigt dans un chapitre peu amène. Les sénateurs ont beau saluer en exergue « la richesse humaine, la motivation et l'engagement sincère » des 4 000 éducateurs, le constat global est accablant. « Elle peine à assurer l'ensemble des missions qui lui sont confiées et souffre d'une gestion qui est loin d'être irréprochable. La prise en charge des mineurs les plus difficiles au sein des structures d'hébergement ne semble plus motiver ses cadres, dont certains adoptent même une véritable stratégie d'évitement de ces mineurs », explique le rapport, qui parle d' « inertie persistante », de « crise de vocations » et de « véritable crise d'identité ». Pour y remédier, les sénateurs demandent en premier lieu que la PJJ se recentre exclusivement « sur un public délinquant ou très violent, ce qui nécessite d'élaborer de nouvelles pédagogies ». Car actuellement,  ces méthodes d'action « semblent en crise ». Sont ainsi stigmatisées « la faiblesse de la réponse éducative liée au refus croissant des éducateurs de travailler en foyer », la « dérive qui fait des foyers des structures-dortoirs plus que des lieux de vie et de rééducation ». La commission souhaite que certaines des caractéristiques des CER - le fonctionnement sur projet, l'initiative de propositions aux professionnels, le comité de pilotage qui valide ou non ces projets, le « faire avec »  - soient étendues aux foyers traditionnels. Et que la priorité soit donnée à des activités d'insertion professionnelle en direction des jeunes suivis par la PJJ. « La mesure de placement doit systématiquement être accompagnée d'une activité obligatoire », estime-t-elle. Pointant également le « fort absentéisme » des personnels et les vacances de postes, elle juge indispensable - en plus d'assouplir, comme le souhaitait aussi le cabinet Cirese dans son récent audit (4), les procédures de recrutement - « d'assurer un accompagnement obligatoire des professionnels qui évoluent dans un contexte émotionnel fort et parfois violent », et de leur offrir des gratifications, afin de leur « donner envie [...] d'aller au contact de jeunes qui les rejettent ».

Autre cible de la commission : la politique de la ville, « dont l'efficacité reste à prouver » et qui se caractérise par « un empilement de programmes de prévention, une multiplication des axes d'action et la création incessante de nouveaux métiers ». La prévention spécialisée, en revanche, est « à redécouvrir », ses éducateurs étant « les seuls adultes présents dans la rue pour amener les jeunes les plus en rupture dans un parcours d'insertion ». Les sénateurs signalent d'ailleurs l'actuel regain d'intérêt des départements pour cet outil, et saluent la prise en compte récente des 8-14 ans par ce secteur, qui a engagé un travail simultané en direction des familles et des fratries.

Signalons enfin, parmi les autres mesures préconisées par les parlementaires, le renforcement du rôle de la protection maternelle et infantile et son extension à tous les enfants de moins de 11 ans, comme le souhaitait aussi Ségolène Royal. Ils évoquent également la rénovation de la tutelle aux prestations sociales enfants afin de permettre un accompagnement éducatif des familles. « Elle pourrait être étendue aux parents d'enfants condamnés pour actes de délinquance. »

Les conclusions du rapport n'ont pas été adoptées à l'unanimité. Ainsi, les membres de la commission appartenant au groupe « communiste, républicain et citoyen » se sont abstenus, regrettant que « les conclusions du rapport ne reflètent pas toute la richesse des auditions ». Ils déplorent notamment que « le lien entre l'augmentation de la délinquance des mineurs et la détérioration sociale et plus généralement de la violence des rapports sociaux ne soit pas mis en évidence » et que « la dimension éducative de l'ordonnance de 1945 ait largement été appréhendée dans une perspective d'enfermement ». Le groupe socialiste du Sénat, à l'inverse, a salué ce « travail serein et approfondi » mené par des parlementaires « qui ont préféré la rigueur de l'analyse à l'expression de slogans simplistes et tonitruants » et dont devraient s'inspirer « les tenants d'une approche plus sécuritaire du traitement de la délinquance juvénile ». Ce conseil sera-t-il suivi lors des prochains débats sur la loi d'orientation et de programmation sur la justice ? Les propositions de la commission, en tout cas, ne devraient pas manquer d'y être abordées, puisque son président, Jean-Pierre Schosteck, devrait être nommé rapporteur de ce projet de loi.

Céline Gargoly

Notes

(1)   « Délinquance des mineurs. La République en quête de respect »  - Commission d'enquête sur la délinquance des mineurs - Les rapports du Sénat n° 340 - Disponible sur le site www.senat.fr.

(2)  Entre le 6 mars et le 29 mai, 73 personnes ont été convoquées. Parmi lesquelles les sociologues Sébastian Roché, Nicole Le Guennec, Laurent Mucchielli, la politologue Sophie Body-Gendrot, Sylvie Perdriolle, directrice de la PJJ, Claude Fonrojet, président de l'Unasea, Hubert Brin, président de l'UNAF, Claire Brisset, défenseure des enfants, Thierry Baranger, président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, les représentants FO, UNSA, CFDT et FSU des personnels de la PJJ, des représentants de la police et de la gendarmerie, des parents d'élèves...

(3)  Par exemple, si un juge des enfants place à titre provisoire un mineur délinquant dans un foyer et souhaite ensuite prononcer une peine pour marquer la gravité de l'acte et faciliter la réhabilitation du mineur, le placement prendra immédiatement fin.

(4)  Voir ASH n° 2256 du 29-03-02.

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