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« La protection juridique des majeurs : des réformes attendues mais insuffisantes »

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L e sociologue Gilles Séraphin commente le document d'orientation « La réforme de la protection juridique des majeurs », résumé des propositions des services du ministère de la Justice réalisé par l'Union nationale des associations familiales. Selon lui, ce projet recèle « deux faiblesses »  : certaines dispositions sont « peu précises » et aucune réflexion n'a été engagée sur l'accompagnement social, « clé de voûte du nouveau système proposé ».

« Après le rapport de la “Triple Inspection” (1), les assises de la tutelle (2), le rapport de la Commission interministérielle présidée par Jean Favard (3), et de nouvelles directives européennes, le monde de la protection juridique des majeurs est engagé aujourd'hui dans un vaste processus de transformation. Les réformes envisagées par les services ministériels sont dans leur ensemble appréciables. Toutefois, certains points peuvent susciter des réserves.

Les principales réformes juridiques annoncées

Afin de renforcer la protection de la personne, il serait clairement énoncé, dans le code civil, le principe de la protection de la personne, et non pas seulement le principe de la sauvegarde des biens. Il s'agit de rendre le “majeur protégé” (nouvelle dénomination) acteur du processus de mise en œuvre de sa protection, en favorisant sa participation aux décisions, et en “aménageant” la mesure à sa situation.

Afin de réaffirmer et renforcer les principes de nécessité et de subsidiarité de la mesure, le projet est de rendre exceptionnelle (uniquement en cas de situation d'urgence) la saisine d'office. Il serait créé, à l'échelle départementale, un réseau de coordination de professionnels, le “Groupe d'évaluation médico-social”  (GEMS), composé de professionnels des secteurs sociaux et psychologiques, chargé d'évaluer la situation globale du majeur et de transmettre son rapport d'analyse et de proposition au Parquet.

Il s'agit également de réaffirmer et renforcer le principe du respect de la personne et de ses droits dans le processus judiciaire. Lors de la demande, le certificat médical devrait être circonstancié et argumenté, en précisant les conséquences sur la vie civile de l'altération des fonctions personnelles du majeur, ainsi que les éléments rendant nécessaire une mesure de protection. Dès que le GEMS ou le juge est saisi, le majeur serait obligatoirement informé, auditionné, et pourrait demander l'assistance d'un avocat. Enfin, la mesure devrait être révisée à une date fixée par le juge dans son ordonnance (période maximale : cinq ans) et le gestionnaire devrait fournir un rapport annuel de situation.

La tutelle aux prestations sociales adultes (TPSA) serait supprimée. En revanche une nouvelle “mesure budgétaire et sociale”, ne concernant que les prestations sociales, serait inscrite dans le code civil, permettant la protection des personnes “dont la santé ou la sécurité sont gravement compromises du fait de leur incapacité à assurer seules la gestion de leurs ressources sociales, qui refusent un accompagnement social personnalisé”. Cette dernière “mesure d'accompagnement social personnalisé” serait proposée (mode contractuel) à toute personne qui ressent le besoin d'être conseillée dans la gestion de sa vie quotidienne.

Au niveau de la formation du personnel, tout intervenant, autre que la famille et le bénévole, le “délégué à la protection juridique des majeurs” (nouvelle dénomination), devrait disposer d'un certificat national de compétence, et être inscrit sur une liste nationale unique.

Enfin, les réformes viseraient à rendre ce financement plus homogène et voudraient prendre en compte l'ensemble des dimensions de la protection juridique de la personne (généralisation du prélèvement sur ressources au prorata des revenus du majeur, financement des services par une dotation globale). Divers outils permettraient également un contrôle accru des comptes, qu'ils soient fournis par une personne physique ou une personne morale.

Certaines propositions suscitent des inquiétudes

Certains aspects de ces propositions suscitent pourtant des réserves ou des inquiétudes.

Ainsi, la proposition de calendrier pour la réforme du financement des services s'étale jusqu'à 2005 et ne répond pas assez rapidement à la forte dégradation des situations budgétaires. En outre, il est proposé de créer une nouvelle “mesure budgétaire et sociale”, une “mesure d'accompagnement social personnalisé”, ainsi qu'une formation ou un accompagnement pour les tuteurs et curateurs familiaux. Malheureusement, au-delà de la simple déclaration de principe, aucune précision n'est apportée dans ce projet : Quelle serait la nature de ces mesures ? Les objectifs ? Qui en aurait la charge ? Quel en serait le fonctionnement ?

Par ailleurs, afin que le procureur puis le juge possèdent un large éventail d'informations avant de prendre leur décision, il est proposé l'instauration de GEMS. Quatre inconvénients majeurs apparaissent :

 ces réunions de synthèse médico-sociale seront probablement très lourdes à mettre en œuvre ;

 il n'est proposé aucune évaluation patrimoniale et “de gestion” (ressources, charges) de la personne autre qu'un compte rendu par la personne qui effectue la requête. Ne faudrait-il pas qu'elle soit établie par un organisme indépendant, surtout quand l'origine de la demande est familiale, et qu'elle peut parfois traduire une situation conflictuelle ?

 cette commission de synthèse, fortement administrative, ne risque-t-elle pas de facto d'imposer sa décision, le procureur puis le juge n'ayant plus que la possibilité soit d'avaliser, soit de s'opposer en bloc ?

 ces commissions ne prendront-elles pas vite la forme d'une vaste commission administrative qui “traite” des dossiers ? N'y a-t-il pas le risque “d'enferrer” le majeur protégé dans des catégories, ou sous une identité par consensus obtenue par la discussion de quelques instants de différents services administratifs fort peu au courant de la quotidienneté de la personne ? Si au contraire un des services est en contact plus direct (par exemple, service social de secteur, service psychiatrique), ne risque-t-il pas de prendre une ascendance et d'imposer son point de vue ? Dans tous les cas, la catégorisation et les effets stigmatisants risquent au sein d'une telle réunion de synthèse de s'institutionnaliser et d'imposer ainsi la seule identité sous laquelle la personne va être (re) connue.

La solution serait alors d'abandonner ce projet de GEMS. Cette indispensable étude préliminaire à fournir au procureur puis au juge afin qu'ils tranchent sur la base d'un travail critique, pourrait alors s'effectuer sur deux plans précis : une étude médicale complète et une évaluation sociale comprenant une évaluation du patrimoine, de la gestion, administrative, des réseaux sociaux et familiaux... Pourquoi ne pas confier cette dernière à un organisme tutélaire (exclu ensuite de facto de la gestion de l'éventuelle future mesure), compte tenu de son expérience en ce domaine  (méthodes de travail, réseau, sources d'information diversifiées...)  ?

Revoir l'organisation des organismes tutélaires

La clé de voûte du nouveau système proposé est l'accompagnement social : n'est-il pas clamé que la mesure de protection n'est plus seulement une gestion des revenus ou du patrimoine, mais un soutien de la personne en difficulté ? Il serait alors nécessaire qu'une telle refonte juridique soit accompagnée d'une réflexion de fond sur cet accompagnement social. Par exemple, pourquoi ne pas organiser l'aide des tuteurs familiaux (modules de formation, conseil ponctuel) dans les institutions tutélaires où travaillent des professionnels de la protection ? Il paraît également indispensable que l'organisme qui assure la protection ne soit ni l'employeur, ni le logeur :puisqu'on retrouve par exemple encore à l'heure actuelle des centres d'aide par le travail  (CAT) qui assument ces trois rôles, la personne “protégée” se retrouve encadrée et face au même interlocuteur dans la moindre parcelle de son existence quotidienne. Enfin, au sein des organismes tutélaires, on pourrait poser le principe du travail en équipe pluridisciplinaire. Les avantages seraient multiples non seulement pour les différents intervenants (agir en commun, échanger des points de vue, effectuer une tâche qui corresponde à ses compétences...) mais aussi et surtout pour le majeur protégé (compétence professionnelle diversifiée et reconnue, dépersonnalisation progressive des effets stigmatisants dans la relation, présence continue d'au moins un interlocuteur...).

Cette réforme qui concerne près de 600 000 personnes est un véritable sujet de société, et mérite toute notre attention. Le projet exposé est sur beaucoup de points extrêmement positif et répond à nombre de préoccupations. Pourtant, deux faiblesses minent l'édifice : certaines propositions majeures sont peu précises, et aucune réflexion sur la nature de l'accompagnement social (par la famille ou les institutions tutélaires) ne permet de répondre d'une manière satisfaisante à l'objectif pourtant placé en exergue : replacer la personne au centre du système de la protection.

Gilles Séraphin Sociologue (4), Université de Nantes, UNAF : 28, place Saint-Georges - 75009 Paris -Tél. 01 49 95 36 83.

Notes

(1)  Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ministère de la Justice, ministère de l'Emploi et de la Solidarité - Rapport d'enquête sur le fonctionnement du dispositif de protection des majeurs - Juillet 1998.

(2)  Voir notamment le numéro spécial de Réalités familiales n° 52-53 : « La protection juridique des majeurs »  - Paris - UNAF - Troisième trimestre 1999.

(3)  Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, ministère de la Justice, ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie - Groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs. Rapport définitif - Avril 2000. Voir ASH n° 2168 du 26-05-00.

(4)  Auteur de Agir sous contrainte. Etre sous tutelle ou curatelle dans la France contemporaine - Ed. L'Harmattan, coll. Le travail du social - 2001.

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