C'est une nécessité pour les parties civiles, « qui ne peuvent espérer le paiement des dommages et intérêts qui leur sont dus que par un prélèvement sur le fruit du travail des détenus » ; pour l'administration pénitentiaire, « qui voit dans ce travail un moyen d'occuper les détenus et d'apaiser les tensions de la vie carcérale » ; pour les détenus, « pour lesquels il constitue le plus souvent le seul moyen de subsistance » ; pour la société « qui devra accueillir ces hommes et ces femmes à l'issue de leur peine ». Le travail en prison a pourtant été peu étudié, et apparaît rarement au premier plan des préoccupations des acteurs du monde pénitentiaire. C'est à cette contradiction qu'a tenté de mettre fin Paul Loridant, sénateur de l'Essonne, membre du groupe CRC (Communiste, républicain et citoyen), et rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat pour les comptes spéciaux du Trésor, en menant « un contrôle sur pièces et sur place » de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP). Partant de cet acteur public historique dans le domaine du travail carcéral (1), c'est finalement toute la politique du travail en prison qu'il a été amené à examiner. Sa conclusion est sans ambiguïté : « C'est l'écart entre les objectifs proclamés par le législateur et le gouvernement - droit au travail et préparation à la réinsertion - et la mise en œuvre de ces principes qui pose question. » Pour y remédier, il mise sur les « trois piliers d'une nouvelle politique du travail pénitentiaire » : l'incitation accrue des acteurs économiques à entrer dans les prisons, une réforme en profondeur de la RIEP « pour en faire un exemple à suivre » et une définition plus exigeante du travail pénitentiaire.
Le tableau qu'il dresse dans son rapport (2) est, en effet, assez sombre - même si une étude comparative avec six autres pays européens montre que la situation française n'est pas la moins favorable : le travail des détenus n'y est plus obligatoire depuis 1987. Tout d'abord, « la trop faible présence du travail en prison suscite dans une large mesure les problèmes d'indigence fréquemment dénoncés dans les prisons françaises ». Certes, le taux d'activité a progressé, passant de 41,4 % en 1993 à 46,5 % en 2000, grâce, en partie, à l'action volontariste de l'administration pénitentiaire (3), mais surtout à la baisse de la population pénale (52 700 détenus en 1996, 44 618 en 2001) (4). Toutefois, Paul Loridant estime à 10 000 le nombre d'emplois manquants, pour lesquels il souhaite le lancement d'un programme quinquennal.
Les rémunérations, quant à elles, sont « limitées » et disparates, bien que leur niveau moyen ait progressé de 35 % en sept ans. Un « salaire minimal de l'administration pénitentiaire » (SMAP) - compris entre 41 et 44 % du SMIC horaire - a en effet été institué dans les établissements à gestion mixte, puis étendu aux concessions ; il est également appliqué dans les ateliers de la RIEP. Les détenus qui travaillent dans le cadre du service général (voir encadré) en sont cependant exclus, ce que le rapporteur veut corriger d'ici à trois ans. Il souhaiterait en outre porter ce SMAP à 50 % du SMIC. Les revenus ne dépendent pas seulement du régime de travail, mais aussi de l'ancienneté ou de la qualification et surtout du mode de rémunération : à l'heure ou à la pièce. Pour les détenus payés selon ce dernier critère, l'écart de rémunération varie entre 100 et 1 000 € par mois. Les salaires sont aussi fonction du temps travaillé, souvent très limité. En 2000, les détenus ont travaillé en moyenne 104 jours, pour une rémunération moyenne annuelle de 1 950 € .
Pour Paul Loridant, plus qu'à la hausse des rémunérations, qui « doit être regardée avec prudence » et « ne doit pas conduire à remettre en cause l'équilibre économique parfois précaire des ateliers », c'est à celle du pouvoir d'achat des détenus qu'il faut donner la priorité. Tout d'abord en supprimant les « frais d'entretien en établissement pénitentiaire », un forfait prélevé sur les salaires pouvant atteindre jusqu'à 30 % de la rémunération nette. Cette ponction est d'autant plus injuste que les détenus du service général ne paient pas ces frais, pas plus que ceux qui ne travaillent pas. A noter que les détenus qui travaillent voient également 20 % de leurs revenus provisionnés sur un compte, la moitié étant destinée à l'indemnisation des parties civiles et l'autre au pécule de sortie. Au total, donc, les prélèvements peuvent atteindre 50 %. Une part énorme quand on sait qu'il faut environ 150 à 200 € par mois en prison, pour acheter des produits alimentaires, d'hygiène, des cigarettes ou louer une télévision.
Autre changement nécessaire, « introduire en prison le droit commun du contrat de travail », au moins en ce qui concerne le temps de travail, la période d'essai et les congés payés. Les contrats, en effet, n'existent pas dans les établissements pénitentiaires, même si la RIEP a instauré dans ses ateliers un « support d'engagement professionnel », précisant la durée et la nature de l'emploi, le type de formation associée et la rémunération. Lequel est sans valeur juridique. Les détenus et leurs employeurs devraient aussi, souligne le sénateur, cotiser à l'assurance chômage, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui et prive les sortants d'une source de revenu. Plus anormal encore, les personnes incarcérées, qui cotisent normalement à l'assurance maladie et à l'assurance « accidents du travail » ne touchent pas d'indemnités journalières lorsqu'ils sont dans l'incapacité d'occuper leur poste.
En outre, le plus souvent, les tâches proposées « ne préparent en rien à la réinsertion », déplore le rapporteur. Le travail le plus répandu est le façonnage, conditionnement ou petit assemblage, très répétitif et sans perspective d'avenir... Même la RIEP, qui « fournit indéniablement l'offre la plus complète du monde carcéral » et « affiche également de grandes ambitions pour permettre, par le travail, une qualification du détenu », semble succomber à « la tentation de la déqualification ». Le façonnage apparaît ainsi à la régie comme une activité lucrative, permettant de remédier à la stagnation de son activité - la RIEP occupe actuellement 5,8 % de la main-d'œuvre pénale, contre 12 % en 1987 -et au déficit de la majorité de ses ateliers, dont certains, notamment dans la confection ou la chaussure, sont touchés de front par la mondialisation.
Doit-elle « supporter la charge financière de son rôle de service public » ou « assumer une perte de sens de sa mission » de réinsertion des prisonniers ? Afin de lui permettre de sortir du dilemme, le sénateur esquisse plusieurs pistes. Tout d'abord, un changement de statut. Car « la RIEP n'est pas une administration mais subit toutes les lourdeurs d'une administration, [elle] est une entreprise de réinsertion mais sans la souplesse de gestion d'une entreprise ». Paul Loridant propose de la transformer en un « établissement public pénitentiaire de réinsertion par le travail et la formation professionnelle », sous tutelle du ministère de la Justice. Elle serait ainsi dispensée des lourdes procédures prévues par le code des marchés publics, et pourrait s'orienter vers un mode de fonctionnement, d'encadrement et de financement inspiré des entreprises d'insertion.
C'est bien là l'un des axes forts du rapport : le travail carcéral ne pourra se développer et s'orienter véritablement vers la réinsertion des détenus sans incitation financière. Aussi Paul Loridant propose-t-il que la RIEP bénéficie d'une subvention par emploi créé, comme les entreprises d'insertion. Dans le même esprit, il demande que la régie, et toutes les entreprises concessionnaires, puissent obtenir des exonérations de charges patronales, à l'exemple de celles mises en place par les gouvernements successifs ces dernières années pour faciliter l'embauche de la main-d'œuvre non qualifiée. Les prisons, rappelle-t-il, abritent une forte proportion d'illettrés et la majorité des détenus n'ont reçu qu'une instruction primaire. Ces exonérations coûteraient environ 10 millions d'euros par an. La contrepartie serait une « sélection plus rigoureuse » par l'administration pénitentiaire des entreprises, dont certaines actuellement ne respectent pas les contrats de concession et se comportent comme des « chasseurs de primes » sans se soucier de la formation des détenus.
Celle-ci, insiste le sénateur Loridant, doit absolument, dans l'objectif de la réinsertion et contrairement à la situation actuelle, être articulée avec le travail. Il convient d'adosser les nouveaux ateliers à l'offre de formation existante et les dispositifs de formation aux ateliers en place, explique-t-il en substance. Ce qui suppose évidemment une « sérieuse réflexion sur les secteurs d'activité à développer ». L'idéal serait de « trouver des secteurs à haute valeur ajoutée pour le détenu, suffisamment rentables [...]mais propres à conduire à une qualification du détenu ». La tâche est difficile, convient-il, mais des réussites sont d'ores et déjà à mettre au compte de la RIEP, comme les ateliers de numérisation d'archives sonores, à la centrale de Poissy, pour le compte de l'Institut national de l'audiovisuel. Le rapport suggère également de développer des services par le télétravail et de relancer le secteur de l'artisanat et des métiers d'art. L'administration pénitentiaire doit donc véritablement « construire une politique de formation autonome ». Elle pourrait y être aidée par l'obligation faite aux concessionnaires privés et à la RIEP de financer la formation professionnelle à hauteur de 0,5 ou 1,5 % de la masse salariale, comme dans le droit commun. Car, en l'état actuel des choses, l'administration pénitentiaire ne dispose pas de crédits propres pour cette mission, et doit faire appel à des financements extérieurs, fragiles et peu faciles à décrocher. Quant à ceux qui ne peuvent accéder à une formation et à un emploi qualifié, il ne faut évidemment pas les exclure du travail pénitentiaire. Pour les détenus présentant des handicaps ou des pathologies psychiatriques, « l'introduction en prison de centres d'aide par le travail doit être envisagée ».
Ce rapport de qualité trouvera-t-il un écho lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation sur la Justice qui sera examiné en juillet par le Parlement ? A l'occasion de la présentation du document, le sénateur centriste Jean-Jacques Hyest, qui avait présidé en 2000 la commission d'enquête sénatoriale sur les prisons, a déjà annoncé le dépôt d'amendements qui en seront inspirés. Tout en soulignant que la plupart des évolutions suggérées ne relèvent pas de la loi, mais du bon vouloir de l'administration pénitentiaire...
Céline Gargoly
Les détenus peuvent être affectés :
au service général des établissements pénitentiaires : travaux liés au fonctionnement des prisons (hôtellerie, cuisine, entretien…). Au premier semestre 2001, 6 600 détenus en moyenne ont été affectés à ces emplois. La rémunération journalière varie entre 4,80 € et 9,68 € ;
à des activités de production, exercées à l'intérieur des établissements, dans le cadre de la RIEP ou dans celui de concessions à des entreprises privées. La régie employait 1 150 détenus en moyenne au 1er semestre 2001 (rémunération moyenne : 24 € par jour) ; le travail en concession regroupait à la même époque 6 400 détenus (19 € en moyenne par jour). 2 600 détenus travaillaient en outre en production dans les établissements en gestion mixte (administration pénitentiaire/entreprises privées), pour 16 € en moyenne par jour ;
1 340 détenus en moyenne travaillent à l'extérieur des prisons dans le cadre d'aménagements de peine.
(1) Créée en 1951, la RIEP était chargée à l'origine de réaliser des produits destinés à satisfaire les besoins de l'administration pénitentiaire (textile, mobilier de cellules, serrures...). Elle a par la suite diversifié ses activités vers la sous-traitance industrielle et la vente par correspondance.
(2) Prisons : le travail à la peine - Contrôle budgétaire de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires - Paul Loridant. Il devrait être disponible prochainement sur le site
(3) Par le biais des plans PACTE (plan d'action pour la croissance du travail et de l'emploi en milieu pénitentiaire) 1 et 2. Voir ASH n° 2232 du 12-10-01.
(4) D'ailleurs, la hausse du nombre de détenus dans les premiers mois de 2002 a mécaniquement conduit à une détérioration du taux d'activité.