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Reconnaître les compétences des équipes éducatives d'internat

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« Je suis dans ce secteur depuis environ 15 ans et je travaille dans un foyer départemental de la région parisienne depuis 8 ans. Mon choix s'est toujours porté sur une structure de type internat relevant de l'aide sociale à l'enfance. Ce mode de prise en charge fonctionne, à condition que l'accueil soit limité dans le temps, que le projet individuel de l'enfant soit clairement défini et qu'un travail avec les familles soit possible. Rappeler ces principes déontologiques paraît évident à tous les professionnels. Pourtant il manque quelque chose qui empêche ce fonctionnement : la reconnaissance des équipes éducatives d'internat.

Il est difficile de travailler dans ces structures :astreintes, isolement, violences... Autant de raisons qui expliquent probablement le peu de candidats à vouloir venir travailler en internat. Il faut savoir qu'actuellement environ 50 % des employés, dans certains foyers, ne sont pas diplômés et bénéficient d'un statut de vacataire ou de contractuel. Ces personnes, souvent jeunes et motivées, se retrouvent dans des groupes où elles remplacent des postes non pourvus [...]. Comment, dans ces circonstances, leur demander de l'efficacité, de la rigueur et de la régularité quand elles n'ont pour seul bagage que leur spontanéité, leur disponibilité et leur gentillesse. Elles sont ballottées d'une équipe à l'autre et, de fait, elles ne peuvent connaître le projet de l'enfant [...]. La plupart n'ont pas d'expérience, si ce n'est dans l'animation, et pas de formation.

On voit découler de cette situation un glissement qui tendrait à aller de l'éducatif vers “l'animatif”. Je ne suis pas particulièrement hostile à proposer des animations en tout genre mais cet outil doit s'intégrer dans un projet éducatif qui permettra aux éducateurs d'affiner leurs observations au moment de rédiger les rapports aux juges des enfants.

Les foyers ne sont pas des lieux de transit

Le problème en l'occurrence c'est que certains dirigeants d'institutions pensent qu'il faut toujours plus d'ateliers et d'animation pour éviter ainsi tout risque de débordement dans leurs structures. Bref, faire de l'occupationnel à défaut d'investir des moyens qui permettraient une prise en charge de qualité et qui amélioreraient les conditions de travail des équipes éducatives.

Tous les maillons de la chaîne sociale et judiciaire (directeurs départementaux, cadres socio- éducatifs, éducateurs des circonscriptions, juges des enfants, partenaires...) doivent reconnaître les compétences et le travail qui est fait dans les foyers.

Trop de professionnels du secteur considèrent les foyers départementaux comme un lieu de transit où on occuperait les enfants en leur proposant de les divertir, de les nourrir, de les habiller, etc. Toutes ces choses utiles et bien identifiables par tous ne montrent que l'aspect matériel de la prise en charge.

Les équipes éducatives sont surtout investies d'une mission : accueillir, dans un lieu protecteur, des enfants en difficulté et leur permettre de faire une pause pour favoriser l'émergence de leur souffrance. Souvent le foyer est la première structure d'accueil de l'aide sociale à l'enfance. A ce titre, il est primordial de respecter cette étape qui, si elle est niée, ne fera que répéter le parcours chaotique de ces enfants dont aucune institution ne veut. Sans ces conditions comment les enfants peuvent-ils nous faire confiance ?

Ce travail de reconnaissance de la souffrance doit être pris en compte dès la préparation de l'accueil de l'enfant en foyer. L'admission doit être préparée avec la famille chaque fois que cela est possible. Si l'enfant, sa famille et les travailleurs sociaux se repèrent grâce aux jalons préalablement posés, le placement peut se travailler correctement, dans le respect du processus d'admission. C'est sur cette base commune que la réussite est envisageable.

L'observation est la partie essentielle qui permettra à l'équipe éducative de réunir toutes les informations nécessaires pour faire des propositions en vue d'une orientation. L'amplitude de la prise en charge éducative est quotidienne ; du réveil au coucher, en période scolaire comme en vacances. Les propositions et la diversité des projets comme les transferts, les ateliers éducatifs, les activités, l'autonomisation, les réunions... sont autant de supports essentiels pour les équipes. Les regards de chaque membre de l'équipe, éducateurs, veilleurs et maîtresse de maison, complètent nos observations. Cet ensemble va contribuer à recueillir les qualités, les compétences, le niveau ou les difficultés de chacun des enfants du groupe. C'est en utilisant des outils éducatifs et en confrontant nos regards qu'on arrive à rédiger nos conclusions.

L'orientation doit se préparer en réunion de synthèse où sont échangés les différents points de vue des techniciens (éducateurs, psychologues, instituteurs... ). Lorsque chacun des spécialistes a pu s'exprimer, l'inspecteur du service de l'aide sociale à l'enfance (ASE), par délégation du président du conseil général, prend la décision d'orientation.

Les circonscriptions de l'ASE doivent utiliser les foyers départementaux en respectant ces trois missions admission-observation-orientation. Si cela n'est pas accepté par tous dans nos pratiques, alors les foyers départementaux seront mal considérés par les familles et leurs enfants, ainsi que par les travailleurs sociaux eux-mêmes. C'est au prix de cette confiance professionnelle que, d'une part, les foyers seront reconnus comme un élément essentiel du dispositif de protection de l'enfance qui, d'autre part, soulagera les circonscriptions en acceptant de transmettre le relais durant le temps de prise en charge de l'enfant au foyer. Malheureusement, trop souvent notre travail est minimisé parfois même nié. Trop souvent, les foyers départementaux sont utilisés comme lieux de transit dans l'attente d'un meilleur projet.

Les foyers départementaux sont dans l'obligation d'assurer l'hébergement de mineurs déficients ou caractériels en attente d'un placement dans un établissement adapté. C'est ce type d'impératif qui met les foyers en difficulté. Pratiquement tous les établissements et services sociaux et médico- sociaux ont le choix d'accueillir ou non selon leurs critères, leur spécificité ou leurs exigences. Imaginez les conséquences dans les foyers, obligés d'accueillir et empêchés d'orienter convenablement. Comment admettre correctement de plus en plus d'enfants relevant du secteur médico- social, alors que nous n'avons pas le plateau technique adéquat pour cela ?Pis, nous saisissons la commission départementale d'éducation spéciale et après avis favorable et propositions de la commission pour une orientation vers une structure adaptée on nous répond que le profil de cet enfant ne relève pas de l'établissement !

C'est à n'y rien comprendre, il y a tout un dispositif pour prévenir, conseiller, repérer et orienter et voilà que la machine s'enraye. Ces dysfonctionnements sont graves et inquiètent, depuis plusieurs années déjà, les professionnels travaillant dans les foyers.

Les équipes éducatives refusent ce sentiment de dénigrement qui générerait malaises et conflits. Sans complexes, elles font valoir leurs compétences, elles exigent d'être reconnues en tant que telles et demandent qu'on leur fasse confiance pour mener à bien leur travail. Encore faudrait-il que le système de protection de l'enfance fonctionne de manière cohérente et fluide. Prenons un exemple : “Le vote du 21 avril, ce n'est pas à cause de l'insécurité. C'est parce que les gens se sentent abandonnés et veulent qu'on s'occupe de leurs problèmes, sur le terrain. Et nous, les éducs, on est en plein dedans.” C'est un responsable d'éducateurs de rue du Val- de-Marne qui fait cette analyse dans les colonnes du Monde daté du mercredi 22 mai 2002. Et voilà que “les élus locaux redécouvrent le travail en profondeur des éducateurs de rue” au moment où l'on parle de l'insécurité et alors qu'ils se sont peu intéressés aux professionnels qui mènent dans les quartiers une action de prévention de la délinquance. Il faut être attentif à ce qui se passe chez nos collègues de la prévention spécialisée, car ils ont traversé une crise de légitimité durant les années 90 et, après avoir été beaucoup critiqués, ils connaissent aujourd'hui un timide retour en grâce. Cet exemple démontre bien qu'un dispositif mal utilisé peu provoquer le désintérêt et discréditer le travail sur le terrain faute de reconnaissance.

Une colère partagée

Je veux dire à Valérie Stachnick-Grandidier que je comprends sa colère, car je le suis moi aussi et pour les mêmes raisons qu'elle.

C'est parce que nous sommes soucieux de respecter nos engagements que nous nous interrogeons sur l'amélioration de nos conditions de travail, de la qualité de prise en charge des usagers, de la reconnaissance de nos compétences... Combien de travailleurs sociaux se découragent et quittent ce secteur faute de voir une amélioration ?

Notre fonction, au plus près des citoyens en difficulté et en souffrance, nous autorise à interpeller nos hiérarchies respectives et les élus locaux quand nous considérons que la situation se dégrade. Comme le concluait Didier Bertrand dans les ASH   (1), “je citerai de nouveau Michel Chauvière : ´Sans doute, la meilleure riposte est-elle, ici comme ailleurs, dans la mobilisation collective des professionnels pour faire respecter les droits des usagers.'”

Il y a besoin de professionnels qui s'engagent, qui analysent, qui repèrent. Il faut se mobiliser pour participer à l'amélioration en faisant remonter nos observations, nos analyses, nos critiques. Pour ma part, je suis toujours motivé, malgré ma colère, et je veux m'engager davantage en assumant des responsabilités d'encadrement. Les cadres du secteur social sont bien placés dans les équipes de direction pour signaler les changements sur le terrain afin d'améliorer le fonctionnement et participer ainsi à l'évolution positive des services dont ils ont la charge, c'est une nécessité.

Beaucoup de mes collègues me trouvent naïf et estiment que tout cela n'est que pure illusion. Je dois passer par là pour comprendre et prendre part à la réflexion pour favoriser des décisions qui s'appliqueront dans les services. Je veux y croire et je vous encourage à faire de même. »

Olivier Benhamou Educateur spécialisé :206, quai de Jemmapes - 75010 Paris.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2239 du 30-11-01.

TRIBUNE LIBRE

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