Recevoir la newsletter

Des cellules pour organiser une continuité éducative

Article réservé aux abonnés

La veille éducative, qui prend la forme de cellules locales de coordination dans les sites prioritaires de la politique de la ville, entend instaurer un nouveau lien entre l'école et le quartier pour prévenir la déscolarisation et ses conséquences sociales. Regard et interrogations sur les expériences en cours.

Comment prévenir l'échec scolaire et assurer l'égalité des chances ? Depuis le début de l'année, des cellules de veille éducative tentent de mettre en réseau, dans les sites prioritaires de la politique de la ville, les intervenants éducatifs et sociaux, les professionnels de l'insertion et de la santé pour repérer les jeunes en rupture ou en voie de rupture scolaire et leur proposer une solution éducative et d'insertion. Placées sous la responsabilité du maire et animées par un coordonnateur, elles doivent répondre à chaque situation particulière et permettre, si nécessaire, la création de structures éducatives complémentaires. Imaginé dans le cadre du programme de prévention et de lutte contre la pauvreté et l'exclusion et mis en œuvre, en début d'année, par les ministres de la Ville et de l'Education nationale du précédent gouvernement (1), ce dispositif devait se développer, dans un premier temps, dans les communes signataires d'un contrat de ville.

Six mois après - et alors que l'aide au financement des cellules est désormais liée aux choix budgétaires de l'équipe Raffarin (2)  -, quel bilan tirer des expériences en cours ? Sachant que quelques cellules de veille fonctionnaient avant même le lancement du programme.

Tout d'abord, que peut-on attendre d'un dispositif venant s'ajouter et se mêler au millefeuille des commissions et cellules de la politique de la ville (conseils communaux de prévention de la délinquance, contrats locaux de sécurité, contrat éducatif local, comités d'éducation à la santé...)  ? Par ailleurs, la notion même de veille interroge. Porteuse d'une posture de prévention et de vigilance, ne risque-t- elle pas, au gré de ses liens avec les dispositifs de prévention de la délinquance et les contrats locaux de sécurité, de glisser vers une sorte de « vigie » sociale ?

Globalement, la préoccupation d'origine des cellules en place à Gonesse (Val- d'Oise) et dans l'agglomération toulousaine (Ramonville, Castanet) se situe bien autour de la lutte concertée contre la déscolarisation et ses conséquences (errance, désaffiliation sociale, petite délinquance...). On observe néanmoins des différences sensibles selon les acteurs. Ainsi, le conseil intercommunal de prévention de la délinquance  (CIPD) de l'agglomération de Toulouse entend impulser la création de cellules de veille dans les 29 communes engagées dans la réalisation du contrat local de sécurité péri-urbain, faisant d'elles, de fait, des outils de ce dernier.

A Gonesse, le dispositif est aussi clairement en lien avec le contrat local de sécurité et l'adjointe chargée de l'éducation et de l'enfance, Viviane Gris, est très explicite : « On attend de ces cellules une baisse importante de la délinquance. » Alors que Nicole Talleux, inspectrice de l'Education nationale de la circonscription de Gonesse, elle aussi impliquée dans le dispositif, insiste davantage sur « la rescolarisation quand cela est possible et le maintien de la continuité éducative ».

Une veille pour quoi faire ?

Si ces objectifs ne sont pas contradictoires, on pressent les tensions qui peuvent voir le jour et les risques d'instrumentalisation de ces cellules, tentées d'oublier leur rôle préventif pour devenir des outils de traitement de la petite délinquance et de « resocialisation forcée ». Un danger entrevu par le groupe de travail qui a préparé la mise en place du dispositif (3). Il défend, en effet, une fonction de veille définie comme « une attitude bienveillante [...] à l'opposé d'une veille-vigile qui ne repère dans les comportements que les risques qu'ils constituent pour autrui ». Il ne s'agit, pour lui, ni « de faire retourner à tout prix les jeunes dans un processus de rescolarisation » ni « de les socialiser à tout prix ».

On peut également s'interroger sur le public concerné par la veille éducative. A l'instar du groupe de travail, Isabelle Brousse, chargée de mission au CIPD Action Garonne, plaide pour une action très précoce et estime que « bien souvent, les premiers signes d'alerte ont lieu à l'école primaire et que les situations prises en compte à l'adolescence sont déjà dégradées ». Or la plupart des cellules semblent davantage axées sur les collèges et les lycées et les situations avérées de rupture scolaire. Ainsi, la communauté de commune de Grenoble, La Métro, fait le choix d'implanter les cellules dans les bassins de recrutement des collèges et non en fonction des territoires communaux. « Pour l'instant, reconnaît Nono Musoki, membre de la cellule de veille de Gonesse en tant que responsable de la circonscription d'action sociale, il est vrai que les situations repérées et traitées concernent des jeunes déjà déscolarisés et pour lesquels on n'agit pas vraiment en prévention. » Or si l'une des missions de la veille éducative est bien de coconstruire des solutions éducatives et scolaires pour les jeunes en rupture, l'aspect novateur consiste à repérer et à agir en amont des dysfonctionnements institutionnels et des situations individuelles.

Autre point sensible : la déontologie autour du partage de l'information. Regroupant tous les acteurs concernés d'un quartier ou d'une municipalité - établissement scolaire, services sociaux du conseil général, clubs de prévention, centres sociaux mais aussi, suivant les configurations, représentants de la protection judiciaire de la jeunesse, agents de médiation, police, centres de loisirs, élus municipaux... - et traitant de situations individuelles, les cellules sont tenues au « respect mutuel des règles de confidentialité » et doivent mettre en place « des règles strictes de communication de l'information », selon les recommandations du groupe de travail.

Pas si simple à faire dans la réalité au vu de la diversité des participants et des différences de culture professionnelle. En outre, l'efficacité et l'immédiateté des réponses recherchées, notamment par certains élus, font pression sur les notions de secret ou de confidentialité. Ces dernières sont d'ailleurs considérées comme des obstacles à l'action. « Au nom de la déontologie, on laisse parfois des jeunes à l'abandon. Il faut trouver- et les gens trouvent au niveau local - les solutions pour échanger les informations nécessaires et strictement nécessaires », affirmait-on ainsi au cabinet du précédent ministre de la Ville.

Concrètement, les cellules s'organisent en plusieurs niveaux d'échange. « La cellule de veille elle-même, celle qui traite de situations individuelles n'est composée que de techniciens, de professionnels directement concernés par le cas évoqué. A l'échelon au-dessus, un comité de veille rassemble, en plus de quelques élus, le monde associatif. Il dégage des prospectives. Enfin un comité de pilotage où siègent les élus chapeaute l'ensemble », explique Alain Carral, responsable du service jeunesse de Ramonville, coordonnateur du contrat éducatif local et du contrat local de sécurité et donc, à ce titre, de la cellule de veille éducative.

Au-delà de ces interrogations, les membres des cellules de veille rencontrés trouvent dans ce nouvel outil, à l'instar de Nono Musoki, « un moyen de créer un réseau d'acteurs plus informel, plus réactif, permettant d'inscrire et de construire les réponses éducatives et sociales dans une logique territoriale ». Ou encore, comme le souligne Alain Carral, « de dépasser les situations de blocage dans lesquelles on n'avait aucune solution satisfaisante à proposer au jeune ». Et pour les situations qui restent dans l'impasse, le dispositif « nous permet de faire remonter au-dessus les outils qu'il nous manque, les dysfonctionnements institutionnels repérés et nos préconisations en la matière ».

Des lieux pour innover

« Les cellules ont également un rôle de repérage des phénomènes sociaux, et de remontée de l'information », précise Isabelle Brousse. C'est là un de leurs intérêts majeurs à condition qu'elles ne se laissent pas submerger par le traitement de « dossiers » et puissent mettre en cause des pratiques institutionnelles et professionnelles, elles-mêmes productrices des problématiques d'abandon ou de décrochage scolaire et social. « Le travail au sein de la veille éducative nous a amenés à une réflexion sur les exclusions scolaires et nos pratiques dans ce domaine dans les établissements. Et certains collèges tentent de mettre en place des “exclusions internées”, c'est-à-dire que l'élève est quand même accueilli dans l'établissement », indique Nicole Talleux.

Enfin, les cellules de veille éducative peuvent être à l'origine de la création de « structures éducatives complémentaires ». Anne-Marie Vaillée, présidente du Conseil national de l'innovation pour la réussite scolaire au ministère de l'Education nationale, insiste beaucoup sur cet aspect : « Il n'existe pas beaucoup de lieux où l'on puisse remotiver les jeunes, les remettre en selle, en dehors des classes relais au public limité. Il faut créer des structures intermédiaires entre l'Education nationale et le social et qui permettent de reconnecter les jeunes au système de formation qualifiante. »

Valérie Larmignat

YVES GOEPFERT : « UNE MISE EN RÉSEAU DES ACTEURS »

Quel bilan tirez-vous des cellules de veille éducative ? - Il est prématuré de parler de bilan alors que la mise en œuvre est récente. Mais déjà une dizaine de cellules de veille éducative sont en place sur la base d'un projet transmis à la délégation interministérielle à la ville. Par exemple à La Métro de Grenoble, Gonesse, La Courneuve, Courcouronnes, Evry... D'autres villes ont un dossier en cours d'élaboration. Un certain nombre de ces projets s'appuient sur des dispositifs existants : ainsi, à Gonfreville-l'Orcher (Seine-Maritime), la veille va se développer grâce à l'expérience acquise à partir d'un lieu d'accueil des jeunes ouvert le soir. Ces cellules ne risquent-elles pas d'apparaître comme un énième dispositif venant encore complexifier le paysage de la politique de la ville ? - Il ne s'agit pas d'un dispositif supplémentaire mais d'une mise en réseau des acteurs - protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ), Education nationale, associations, conseil général... - à l'échelle d'un territoire dont le périmètre est défini par le collectif de partenaires, le plus souvent, comme à Grenoble, sur la base d'un diagnostic. Car, malgré tous les dispositifs existants, certains jeunes en rupture éducative et scolaire passent encore au travers de leurs mailles et ne sont pas, ou que très partiellement, pris en charge. La veille éducative n'est qu'un cadre d'action ; aux acteurs, en son sein, de construire une démarche coordonnée, adaptée et concrète pour chaque jeune concerné : qu'il ait décroché du système scolaire ou risque de le faire. Comment les acteurs se mobilisent-ils ? - La démarche suscite un réel intérêt, même s'il n'est pas toujours simple de s'organiser collectivement dans ce domaine. La construction d'une culture commune prendra du temps. Par ailleurs, la veille éducative a aussi une fonction d'interpellation des institutions, de leurs pratiques notamment. On observe ainsi une mobilisation très intéressante de l'Education nationale qui, par ce biais, ouvre la réflexion sur ses dispositifs à un éventail plus large d'acteurs éducatifs, comme les parents, mais aussi institutionnels, comme le conseil général et la PJJ. On assiste au déplacement du centre de gravité de l'éducation, de l'institution scolaire vers le territoire, et à une meilleure articulation entre les logiques institutionnelles et territoriales. Cette posture a l'intérêt d'inscrire l'ensemble des acteurs concernés dans une dynamique de partenariat beaucoup plus équilibrée. Yves Goepfert est chargé de mission « éducation » au département lien social et services publics de la délégation interministérielle à la ville. Propos recueillis par I. S.

Notes

(1)  Par une circulaire conjointe Education/Ville du 11 décembre 2001 et une lettre du Premier ministre du 21 janvier 2002 - Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.

(2)  Leur financement doit être recherché en priorité dans le cadre des moyens existants et ceux qui peuvent être mobilisés dans le cadre du contrat de ville. Par ailleurs, 7,62 millions d'euros (50 millions de francs) ont été réservés sur le Fonds interministériel d'intervention pour les villes en 2002 afin d'aider au montage des cellules.

(3)  Présidé par Claude Brévan, déléguée interministérielle à la ville, assistée de deux maires, Jean-Pierre Blazy (Gonesse) et Pierre Cohen (Ramonville), ce groupe de travail a inspiré le plan d'action de novembre 2001 - Voir ASH n° 2239 du 30-11-01.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur