« Le titre 1 er de la loi sur le droit des malades (2) ne peut être appliqué en l'état. [...] En l'absence de définition et d'application du principe de “solidarité nationale” prôné par cet article, l'AFM demande un moratoire sur son application. » Celle-ci « doit être précédée d'une série de mesures concrètes visant à mettre en place un vrai système de compensation du handicap ». Pour Eric Molinié, président de l'AFM, qui avait, dès le vote de la loi, attiré l'attention sur une procédure en cours, celle de la famille Maurice, « trois mots résument la situation :paradoxe, injustice et urgence ».
Le jugement de référé prononcé le 13 juin par la cour administrative d'appel de Paris est le premier qui intervient après l'adoption de la loi du 4 mars dans laquelle, à l'initiative du député Jean-François Mattei, un article avait été inclus de toute urgence pour mettre fin à la jurisprudence Perruche (3). Celle-ci, formulée en décembre 2000, condamnait les intervenants médicaux, après une faute caractérisée dans un diagnostic anténatal, à indemniser les parents et l'enfant de tous leurs préjudices, matériels et moraux. Poussant le balancier très loin dans l'autre sens, le texte correcteur adoptait la solution la plus favorable aux médecins en réduisant la possibilité d'indemnisation aux seuls parents, et uniquement pour leur préjudice moral. En renvoyant les handicapés « à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale ». Sans autre précision.
La loi, ajoutant que ces dispositions s'appliquaient aux affaires en cours, ne pouvait qu'interférer dans l'affaire Maurice. Déjà parents d'une enfant atteinte d'une très grave maladie neuromusculaire, les époux avaient demandé, en 1997, un diagnostic lors d'une seconde grossesse. L'analyse avait été faussement rassurante, après l'interversion de deux échantillons, reconnue ensuite par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP). Saisi en référé, le tribunal administratif de Paris condamne, en décembre 2001, l'AP-HP à verser une indemnité de 152 449 U. Celle-ci est rapidement investie, notamment dans l'achat d'un véhicule adapté. Aujourd'hui - l'hôpital ayant invoqué la loi du 4 mars -, la cour d'appel réduit la provision à 15 245 €. L'AP-HP a cependant fait savoir qu'elle ne réclamera pas le remboursement de la différence, en attendant le jugement au fond, prévu pour l'automne.
Pour l'ancien ministre Claude Evin, « lorsqu'on légifère sous le coup de l'émotion, on légifère mal ». A l'époque du débat, le député, non suivi par ses collègues, pressés de voir aboutir la loi sur le droit des malades, voulait déférer le texte devant le Conseil constitutionnel. Il pense toujours, d'ailleurs, qu'il est contraire à la Convention européenne des droits de l'Homme.
Pour sa part, Eric Molinié a le sentiment de « s'être fait avoir » avec cette « loi d'exception », à « effet rétroactif » de surcroît. On a « tout mélangé », regrette-t-il : le droit à compensation du handicap en général et la réparation d'un préjudice lié à une faute médicale « que la solidarité nationale n'a pas à exempter ». Il estime aussi que certaines associations de handicapés ont commis une erreur stratégique en laissant le débat se développer sur le terrain « du droit à la vie » alors qu'il s'agissait « du droit à vivre décemment ».
Sollicité, le cabinet du nouveau ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, Jean- François Mattei, ne souhaite pas faire de commentaire. Mais il indique que le droit à compensation du handicap et la création d'un fonds d'indemnisation seront « une priorité ». « Il faut ouvrir rapidement les travaux pour le renouvellement de la loi de 1975 et son volet autonomie des handicapés », insiste Eric Molinié. Qui veut aussi obtenir que la famille Maurice ne soit pas pénalisée entre temps.
Marie-Jo Maerel
(1) AFM : 1, rue de l'Internationale - BP 59 - 91002 Evry cedex - Tél. 01 69 47 28 28.
(2) Voir ce numéro.
(3) Voir ASH n° 2250 du 15-02-02 et n° 2252 du 1-03-02.