Mineurs en fugues, squatters, jeunes habitués des festivals, ravers, jeunes fréquentant les structures d'accueil et d'hébergement d'urgence, jeunes étrangers isolés demandeurs ou non d'asile... Comment mieux accueillir et accompagner ces « jeunes en errance » dans leur diversité ? Tel est l'objet d'un rapport de Danielle Huèges, directrice générale de l'association Les Haltes des amis de la rue, et de Marie-Pierre Hourcade, inspectrice générale des affaires sociales, remis discrètement en février 2002 à Elisabeth Guigou, ancienne ministre de l'Emploi et de la Solidarité, et que les ASH se sont procuré (1). Reste à savoir quelle suite Dominique Versini, la nouvelle secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, qui a fait de la question des jeunes errants l'une de ses priorités, donnera à ces travaux.
Première difficulté, donc, cerner les caractéristiques communes de ces jeunes, dont le nombre- si l'on s'en tient aux 16-24 ans, entre la fin de la scolarité obligatoire et l'accès au revenu minimum d'insertion - serait situé, selon les auteures, entre 30 000 et 50 000. Se fondant à la fois sur leur expérience, des visites, des entretiens et l'analyse de travaux antérieurs (2), elles retiennent trois traits principaux : un « dénuement matériel » et des « revenus insuffisants et précaires », l'absence de « logement personnel durable » et une « rupture de lien, avec leurs parents, leur famille, leurs éducateurs, les adultes en général ». Auxquels viennent s'ajouter, entre autres, une sortie sans qualification ni diplôme du système scolaire, un état de santé dégradé, une grande solitude, une insécurité permanente, la consommation généralisée de substances psychoactives...
Tous les jeunes ne tiennent pas le même discours sur leur entrée dans l'errance. Certains la revendiquent « comme un choix, une aspiration à la liberté et un refus du modèle social dominant ». Pour la plupart de ceux-ci, « il apparaît très vite que cette revendication masque un habillage désespéré du mal-être profond qui les fait souffrir et les a conduits à fuir et à se fuir », relève le rapport. D'autres ont été mis à la porte de chez eux par leurs parents. D'autres encore se sont retrouvés à la rue parce que « c'était la seule voie qui leur était possible » après un enchaînement de ruptures, d'échecs et de déceptions...
Mais tous sont confrontés à une « société de plus en plus hostile vis-à-vis du phénomène de l'errance ». « La sécurité des uns renforce l'insécurité des autres », résume l'étude, évoquant pêle-mêle les digicodes, la fermeture nocturne des jardins publics et, de plus en plus souvent, des gares, les bancs qui ne permettent plus de s'allonger, les arrêtés « anti-bivouac » comme à Bordeaux. « La mission ne conteste pas la légitimité des mesures de sécurité mais relève qu'elles ne prévoient pas toujours en contrepartie l'accueil de ceux dont elles accroissent la vulnérabilité », pointent les rédactrices. Qui dénoncent en revanche comme une « atteinte grave à la dignité humaine » la suppression des toilettes publiques accessibles sans condition (3).
Leurs propositions pour améliorer la prise en charge des jeunes errants s'articulent autour de trois priorités. Le développement des équipes de rue, tout d'abord. « Il faut absolument que la fonction “aller vers” soit assurée. Il s'agit d'une urgence sociale », soulignent-elles, alors que les éducateurs de prévention spécialisée -dont le nombre a été réduit par les conseils généraux après la décentralisation -travaillent le plus souvent dans les quartiers « sensibles » au détriment des centres-ville. « Les maraudes et équipes mobiles restent numériquement insuffisantes. Cette fonction est pourtant essentielle et complémentaire de celle des centres d'accueil pour créer et maintenir le contact avec les jeunes qui ne fréquentent pas les dispositifs. »
Autre axe prioritaire, l'extension des accueils à bas seuil d'exigence, dont le financement doit être assuré de façon plus pérenne, car « c'est dans ce type de lieux que la demande peut s'exprimer, si minime soit-elle ». Certains, en outre, doivent être réservés spécifiquement aux jeunes.
Il faudrait aussi arriver à une « redéfinition, dans une approche globale, de la politique d'hébergement d'urgence et des hébergements et logements sociaux ». C'est-à-dire, d'une part, augmenter les places de l'accueil d'urgence, qui « doit prendre en compte de façon spécifique les jeunes, qui refusent d'être mélangés aux populations plus âgées ». Et, d'autre part, faire prévaloir une « vision qualitative de l'hébergement », ce qui suppose « une diversification de l'offre avec accompagnement éducatif et social à la carte ainsi qu'une durée d'hébergement qui dépende de la stabilisation de la personne et de ses capacités financières ». Dans une telle optique, le passage quasi automatique de l'hébergement d'urgence au centre d'hébergement et de réinsertion sociale, à la résidence sociale, puis au logement social « ne se justifie plus ».
Outre ces trois piliers pour améliorer le dispositif, les auteurs insistent sur le rôle essentiel des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) dans la coordination des interventions en direction des jeunes errants. Elles ont notamment pour mission, « face à cette population [...] qui s'évertue à entretenir l'échec et met en difficulté les institutions [...], d'interroger la pertinence du cadre de l'intervention et d'inciter les acteurs sociaux à renouveler les pratiques professionnelles ». Danielle Huèges et Marie-Pierre Hourcade rappellent que la direction générale de l'action sociale a incité les DDASS à faire réaliser « un diagnostic partagé » par les différents acteurs sociaux confrontés aux phénomènes d'errance. Une initiative jugée « intéressante », qui a déjà donné des résultats dans 75 départements et montré « la grande diversité des situations d'errance d'une région à l'autre et l'hétérogénéité de l'offre de prestations ».
C.G.
(1) Jeunes en errance. Etudes et propositions - Danielle Huèges et Marie-Pierre Hourcade - Février 2002.
(2) Notamment ceux de l'Institut national des études démographiques, qui a mené en 1998, en région parisienne, une enquête auprès de 500 jeunes sans domicile ou en situation de précarité, ou encore ceux de François Chobeaux, animateur du réseau national Jeunes en errance et directeur des politiques sociales aux CEMEA (Voir ASH n° 2027 du 13-06-97).
(3) L'association La raison du plus faible a mené en 2001 une enquête sur ce sujet. Voir ASH n° 2236 du 9-11-01.