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« Développement social territorial ou développement des politiques sociales à l'échelle territoriale ? »

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La problématique du développement s'impose comme une préoccupation grandissante au sein de nombreuses organisations de l'action sociale. Simple mode ou souffle nouveau ? Réponse de Jean-François Bernoux, consultant formateur en stratégie de l'intervention sociale (1).

« Dépassée l'ère de l'assistance puis de l'insertion, l'action sociale aborde désormais celle du développement.

Quête d'un sens nouveau, besoin de second souffle ou tentative de redéploiement sur les logiques de l'intercommunalité dorénavant posées comme la double entrée de l'aménagement des territoires et par conséquent du traitement des besoins sociaux ? Une chose est sûre, l'engouement, pour ne pas dire l'agitation de l'action sociale à l'égard du développement social territorial  (DST), interroge tout en témoignant d'un mouvement qui semble ne pas devoir qu'aux phénomènes de “tendance”.

 Changement des conditions de production du social par le changement du rapport des personnes avec leur environnement politico-institutionnel et leur espace de vie, le développement social territorial propose d'entrecroiser les notions de projet individuel, de projet collectif et de projet de territoire. La démarche de développement social territorial appelle l'engagement concerté de tous les acteurs, populations comprises, dans la définition et le co-portage des projets d'amélioration sociale. Non pas seulement les projets sociaux d'accompagnement individuel et collectif destinés à favoriser l'intégration des personnes dans leur environnement mais aussi les projets d'adaptation ou de transformation des territoires à l'aspiration des populations.

Responsables des politiques et de l'organisation de l'action sociale des conseils généraux, des caisses d'allocations familiales, des mutualités sociales agricoles, voire de certaines grandes associations, paraissent ainsi vouloir renouveler leur approche de la question sociale, réactivant au passage l'engagement des acteurs depuis longtemps inscrits dans ce type de démarche : les villes, notamment, avec les politiques du même nom et leurs programmes de développement social urbain.

La «  revitalisation » du travail social

Se parant de toutes les vertus, de l'efficience à l'efficacité, les discours en faveur du développement social territorial prônent la “revisitation” du travail social dans le sens de l'interinstitutionnel et de l'approche globale. Mutualisation, transversalité, coordination et dynamique d'acteurs sont les maîtres mots de cette notion présentée comme la valeur montante.

C'est à se demander pourquoi l'action sociale n'y a pas pensé plus tôt !

Les signes précurseurs n'ont cependant pas manqué : de la décentralisation au revenu minimum d'insertion, contractualisation, proximité et projet transforment le travail social et ses déclinaisons assistancielles. Actions collectives, participation des habitants et projet de territoire constituent bientôt la panoplie des développeurs. La territorialisation de l'action sociale s'opérationnalise. Pour les opérateurs du social, il s'agit de passer des logiques de mission aux dynamiques de projet, des principes de distribution aux pratiques d'acteurs, des procédures de prise en charge aux processus de participation, bref, du traitement des problèmes sur un territoire au développement d'un territoire qui fait problème. D'aucuns parlent de “développement social durable”.

La mutation est difficile et l'ambition assez souvent décalée des pratiques managériales fondées sur une culture bureaucratique d'un social administré. Faire territorial quand l'action sociale s'intéressait jusqu'alors à des publics cibles, avoir une approche globale et partenariale quand l'intervention s'affichait spécialisée - et cloisonnée -compter avec le politique local quand les stratégies institutionnelles s'auto-justifiaient, résument les novations apportées par le développement social territorial et les “déplacements” qu'il requiert.

Alors souvent la démarche est fragmentée, instrumentalisée, réduite à une opposition entre l'individuel et le collectif, la personne et le territoire, le projet et le dispositif, voire entre les acteurs eux-mêmes, les “développeurs” et les autres.

 Et les supports du développement social territorial que sont les démarches de diagnostic partagé, de projet territorial, de participation des habitants, d'évaluation stratégique et de négociation sociale sont investis plus comme des protocoles technologiques que comme des processus de changement social.

Outre l'insuffisance méthodologique que révèle l'empirisme de cette mise en forme, il est clair que le sens même du développement se cherche.

S'agit-il en effet du développement social des territoires ou du développement des politiques sociales à l'échelle territoriale ? Rares sont encore les institutionnels qui répondent clairement à cette question se réservant en somme d'orienter le processus en fonction des risques pressentis pour leur autorité et leurs prérogatives. S'y ajoutent les contradictions liées au marquage historique des champs de compétences des différents acteurs : “faites du DST”, lance ce responsable de la caisse d'allocations familiales à ses agents de développement cependant “interdits” de toute consultation publique avec la population parce que “chasse gardée” des élus locaux.

Une finalité encore incertaine

Dans ce contexte de finalité incertaine, il n'est pas étonnant de voir les pratiques se porter sur l'outil comme substitut de sens au point de compartimenter l'action en une multitude de modalités spécifiques et sans liens. Nous ne demandons pas mieux que de faire participer les habitants, disent ces travailleurs sociaux, mais pour quoi faire ?

Et finalement le protocole de l'action s'affiche comme l'essence même de son intention, économisant au projet l'impertinence d'en fixer le prix ou la limite.

Comment éviter cette dérive ? De trois façons au moins.

Par l'élaboration participative, partagée et négociée d'un projet. Projet social comme affirmation politique du sens que les acteurs - population, élus, institutionnels, techniciens - estiment devoir donner à leur action de transformation, projet politique comme explicitation du mieux- être social que se propose de réaliser ce projet-là.

Par la réintégration du diagnostic et de l'évaluation dans l'action. Non plus le diagnostic abandonné aux seuls experts selon le clivage évaluateurs d'un côté, opérateurs de l'autre. Mais le diagnostic comme moyen de rapprocher les acteurs dans une démarche fondatrice de production de connaissance sociale sur leur réalité. Comment serait-il possible autrement de faire naître la dynamique sans laquelle aucun changement n'est possible et grâce à laquelle se définit la notion de co-portage du projet ?

Par la distinction enfin entre projet social et projet stratégique : le développement social territorial (comme toute action sociale) ne saurait en effet se satisfaire d'un affichage d'objectifs qui ne dirait pas les conditions requises pour aboutir. A l'obligation de résultats souvent assignée aux opérateurs de terrain se substituerait alors l'obligation de mobilisation de moyens, associant dans cette réflexion stratégique tous les protagonistes du développement d'un territoire. »

Jean-François Bernoux Sociologue des organisations, ancien cadre d'action sociale - J.-F. Bernoux Consultant : 33, boulevard de la Liberté - 35000 Rennes -Tél. 06 07 94 16 75.

Notes

(1)  Auteur de Mettre en œuvre le développement social territorial. Méthodologies, outils, pratiques - Ed. Dunod, 2002.

TRIBUNE LIBRE

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