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Un déclin inexorable ?

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Promouvoir la responsabilité des parents autour d'un usage maîtrisé du budget familial : tel est l'objectif, ambitieux, de la tutelle aux prestations sociales enfants. Mais encore faudrait-il, pour qu'elle remplisse son office, que la mesure soit mieux intégrée dans le dispositif général de protection de l'enfance.

A l'interface du droit et de l'action sociale, la tutelle aux prestations sociales enfants  (TPSE) vise à pallier un état de danger pour les enfants en aidant les familles en péril économique à retrouver la capacité de mieux assumer leurs responsabilités. Confié par le juge des enfants à un service de tutelle aux prestations familiales, l'exercice de la mesure est assuré par un de ses délégués à la tutelle. Travailleurs sociaux agréés, ces derniers disposent d'un outil d'intervention concret - tout ou partie de l'argent des prestations sociales versées aux familles (1)  -, qui sert de point d'appui à une large action dont la vocation éducative est centrale. Destiné à ce que les parents parviennent à mieux maîtriser leur budget et améliorent ainsi les conditions de vie familiale, ce travail de conseil et d'accompagnement s'avère d'autant plus délicat à mener que la situation des familles bénéficiant d'une TPSE est souvent très dégradée.

Depuis la mise en place du dispositif (loi du 18 octobre 1966), l'évolution conjuguée des modes de consommation et de l'environnement économique ont considérablement vulnérabilisé les ménages. La tutelle aux prestations sociales enfants touche aujourd'hui principalement une population endettée, voire surendettée, vivant souvent des seules prestations sociales et de diverses aides exceptionnelles (comme l'aide à l'éner- gie). Ainsi la moitié des familles concernées n'ont plus aucun lien avec le travail (et parfois même plus d'Assedic), précise Daniel Buchet, responsable du bureau des minima sociaux à la caisse nationale des allocations familiales (CNAF)   (2). Ces foyers ont de nombreux enfants à charge : trois dans un tiers des cas, quatre ou plus pour un autre tiers (contre respectivement 19 % et 6 % dans la moyenne des familles allocataires). Facteurs de précarisation forte, la mono- activité est souvent présente dans les foyers bi- parentaux, et la monoparentalité est une autre caractéristique fréquente des familles dont les prestations font l'objet d'une tutelle (un tiers des bénéficiaires de la mesure sont dans ce cas, contre un quart chez l'ensemble des allocataires).

Or, paradoxalement, alors que le nombre d'allocataires en difficulté n'a pas diminué au cours des dernières années - tandis que l'âge des enfants donnant droit à prestations était progressivement relevé (de 16 à 18 ans, puis 20 et 21 aujourd'hui pour les aides au logement et le complément familial)  -, le nombre de mesures de tutelle a, lui, fortement décru, fait observer Daniel Buchet. Meilleur travail social préventif en amont ? Existence, désormais, de véritables mesures de règlement des situations de surendettement ? Sans trancher, le responsable de la CNAF note que le nombre de mesures en faveur des enfants était de 26 440 en 2000 contre 38 771 en 1994 - soit une diminution de 32 % en sept ans. Outre cette régression globale, les TPSE s'avèrent très inégalement réparties sur le territoire : leur taux de fréquence (rapporté au nombre d'allocataires) varie de un à dix selon les départements, sans que les différences de contextes socio-économiques puissent expliquer l'ampleur de ces écarts, précise Henry Noguès, professeur de sciences économiques à l'université de Nantes. Les cultures locales en revanche, et les habitudes de travail des acteurs semblent mieux à même de rendre compte de l'importance des variations. Ainsi, précise Mohamed Boumekrane, directeur général de l'Union départementale des associations familiales du Rhône, « très rares sont les services de la TPSE qui ont été impliqués et inscrits dans les schémas départementaux de protection de l'enfance »   (3). Elle serait, de ce fait, moins naturellement prescrite.

« Accessoire  et annexe »

Pour Thierry Fossier, vice-président du tribunal de grande instance de Grenoble, le déclin de la tutelle aux prestations sociales enfants est lié au bon fonctionnement de la « mesure-reine » représentée par l'assistance éducative en milieu ouvert  (AEMO). Certains juges des enfants considèrent d'ailleurs que la TPSE ne devrait même pas faire partie de leur champ principal de compétence, ajoute Robert Bidard, vice-président de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. Il est vrai aussi que, faute de formation ad hoc à l'Ecole nationale de la magistrature, les juges des enfants connaissent mal le dispositif. Souvent cependant, précise le magistrat, « nous l'intégrons à nos pratiques comme une mesure accessoire et annexe, servant les objectifs d'une mesure d'aide éducative retenus comme prioritaires ». Mais encore faut-il, pour qu'ils la prononcent, que les juges soient saisis d'une demande de mise sous tutelle. Or les professionnels des services sociaux départementaux, « signaleurs » potentiels des situations, se méfient d'un dispositif souvent instrumentalisé pour le traitement de certains surendettements graves, voire pour permettre l'entrée d'un travailleur social au domicile de justiciables réticents à toute intervention.

Evoquant davantage l'incapacité que la responsabilisation parentale, l'intitulé même de la TPSE joue en sa défaveur. « Mesure d'aide familiale et d'assistance budgétaire rendrait mieux compte de l'objet de nos actions et des compétences à mobiliser », estime Serge Roche, président du Carrefour d'échange technique TPSE (CETT). Ou bien : « mesure de conseil budgétaire familial », suggère l'Union nationale des associations familiales. Outre cet obstacle sémantique, la tutelle aux prestations sociales enfants souffre aussi de l'image de « contrôle des gueux » qui lui reste associée - et se trouve périodiquement actualisée par les discours appelant à une police des familles de mineurs délinquants.

Ces représentations négatives contribuent à expliquer un recours souvent très tardif au dispositif. « Paradoxalement, ce qui pourrait être une chance, un point d'appui pour reconstruire, intervient souvent in extremis  », souligne Henry Noguès. Les délégués à la tutelle se retrouvent alors face à des situations critiques, car fortement dégradées au plan économique et social, voire médical. Or ce qui est fait dans l'urgence n'est pas toujours très satisfaisant pour le plus long terme, ajoute Henry Noguès qui dénonce l'utilisation de la TPSE comme « voiture-balai » de l'intervention sociale. « Une organisation plus concertée avec les circonscriptions et secteurs d'action sociale d'une part, et avec les divers services de conseillers en éducation sociale et familiale d'autre part, pourrait faciliter un diagnostic plus précoce des difficultés familiales et mieux insérer la mesure de tutelle dans des stratégies éducatives en amont », estime aussi Mohamed Boumekrane.

Une mesure éducative parmi d'autres

Pour que la tutelle aux prestations sociales enfants puisse efficacement jouer son rôle, il faut la repositionner clairement dans le champ de la prévention et de la protection de l'enfance, défend Robert Bidard. Apparaissant comme assez largement détachés de l'enjeu éducatif de la mesure, la composition et le fonctionnement des commissions départementales des tutelles- instances de régulation et d'organisation de la TPSE - devraient être revus pour en faire de véritables lieux d'échanges et de débat, ajoute-t-il. Mais cette rénovation seule serait insuffisante si cette mesure ne trouvait pas sa place dans les schémas départementaux de protection de l'enfance.

Pour les spécialistes du CETT, le devenir de la mesure passe nécessairement par une réécriture des textes qui l'encadrent. Faut-il pour autant les transférer du code de la sécurité sociale au code civil pour qu'ils figurent aux côtés de l'assistance éducative ? Un simple renvoi explicite du premier recueil au second, afin que la mesure soit accessible à partir des articles 375 et suivants du code civil, serait tout aussi judicieux, estime Robert Bidard. C'est une question de stratégie. « Régulièrement, en effet, l'assistance éducative, qui fait partie de la compétence du juge des enfants, se trouve remise en cause, explique le magistrat. On hésite donc un peu à toucher à l'édifice, même sur des points de détail, de peur que l'ensemble ne s'effondre. »

Le but néanmoins reste le même : rendre la tutelle aux prestations sociales enfants plus lisible et repérable afin que les magistrats l'intègrent facilement à leur pratique, comme un élément du dispositif général de protection de l'enfance. Relancée sur une nouvelle dynamique, la TPSE retrouverait alors toute son utilité : celle d'être une mesure éducative, parmi d'autres, venant enrichir la palette des interventions pour soutenir les familles en difficulté.

Caroline Helfter

VERS UNE DÉMARCHE CONTRACTUELLE ?

Comme le Carrefour d'échange technique TPSE, l'Union nationale des associations familiales  (UNAF) - dont les Unions départementales des associations familiales suivent environ deux tiers des tutelles aux prestations sociales enfants  (TPSE)  -, se dit très attachée à la judiciarisation de la mesure. Dans le même temps, cependant,  pour faire de la TPSE un outil « qui soit du ressort à la fois de la protection judiciaire et de la prévention, il faut trouver un espace entre la mesure d'assistance éducative d'origine administrative et la mesure d'assistance éducative prononcée par le juge, explique Monique Sassier. Une mesure contractuelle, sous le contrôle du juge, permettrait d'occuper cet espace », précise la directrice générale adjointe de l'UNAF. Cette optique préserve la désignation de la mesure et l'inscrit dans le champ de la décision judiciaire, tout en préconisant que le délégué qui la met en œuvre recherche, par une démarche de travail social, la coopération de la famille. L'Etat, par ses travailleurs sociaux, et dans le cadre d'une mesure judiciaire, se donne un droit d'intervention.  « La mesure de “conseil budgétaire familial” pourrait donc s'organiser dans cette perspective claire et être considérablement évolutive, au sens où elle s'adapterait à la situation de chaque famille », ajoute Monique Sassier. Une famille pauvre peut n'avoir besoin de rien d'autre que de ressources, une autre doit bénéficier de nouveaux droits, telle autre encore se trouve en difficulté quant à l'exercice de l'autorité parentale. Aussi conviendrait-il de lier plus étroitement la définition de la mesure et son application, c'est-à-dire mieux identifier les fonctionnements et dysfonctionnements familiaux avec le souci de rendre aux familles une réelle capacité d'être acteurs. « L'accord à rechercher, commente Monique Sassier, ne porte pas sur l'opportunité de la mesure - elle reste une décision judiciaire imposée - mais sur les conditions de son déroulement : celles-ci doivent faire l'objet d'un travail de contractualisation avec les intéressés pour qu'ils puissent se saisir de l'aide mise en place. » Aussi, une fois décidée, la mesure pourrait ne devenir effective qu'au bout d'un laps de temps déterminé, permettant au délégué d'établir, avec la famille, un bilan exact de sa situation, assorti de propositions sur l'affectation des prestations. Bilan de la situation, objectifs visés et moyens utilisés pour les atteindre constituent autant d'éléments concrets et précis qui doivent être au cœur de ce débat avec les familles, dans un souci de promotion de leurs responsabilités. « De décideur unique, le juge, donnant mission explicite au professionnel de permettre à une famille de retrouver une place dans le fonctionnement social, deviendrait ainsi le garant d'une intervention positive », souligne Monique Sassier.

Notes

(1)  Les prestations pouvant faire l'objet d'une mise sous tutelle sont : l'allocation pour jeune enfant, les allocations familiales, le complément familial, l'allocation de logement familiale, l'allocation d'éducation spéciale, l'allocation de soutien familial, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation de parent isolé, l'allocation parentale d'éducation, l'allocation d'adoption, la rente d'orphelin par accident du travail. En revanche, le revenu minimum d'insertion ne peut être, sauf exception, placé sous tutelle par le juge des enfants.

(2)  Lors d'une rencontre sur la TPSE, organisée les 11 et 12 mars à Paris, par le Carrefour d'échange technique « tutelle aux prestations sociales enfants »  - Rens. APEA, Service Tutelle, Serge Roche : 69, avenue de Toulouse - 34070 Montpellier - Tél. 04 67 42 66 44.

(3)  In « Tutelles aux prestations sociales enfants »  - UNAF - Réalités familiales n° 61 - 6 €.

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