Recevoir la newsletter

Du professionnalisme en protection de l'enfance

Article réservé aux abonnés

C onfrontée à d'importants enjeux, la protection de l'enfance exige, plus que jamais, un réel professionnalisme, tant à l'endroit de la famille, de l'institution, que du politique, soutient Charles Ségalen, éducateur spécialisé.

« Des enjeux importants traversent le champ de la protection de l'enfance dans le fil des récents rapports Naves-Cathala, Deschamps, Roméo et de la réforme de la loi de 75 adoptée début 2002. Ils sont repérables notamment à la chute de l'activité d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) judiciaire :9 % sur l'ensemble des services parisiens (1). Des bouleversements plus conséquents sont à prévoir selon la manière dont évolueront la notion de danger et les réponses qu'elle entraîne.

La question des besoins et des moyens, inséparables, se pose à différents niveaux, eux-mêmes indissociables : la famille, l'institution, le politique. Y correspondent trois espaces d'engagement professionnel : celui de l'intervenant dans le dossier d'assistance éducative, celui de la direction dans le dossier institutionnel, celui de l'association dans le dossier politique. Posée à chacun de ces stades en termes de repérage des besoins et des moyens, la question de la protection de l'enfance requière un même professionnalisme.

Ce professionnalisme suppose à chacun de ses niveaux d'exercice une égale transparence de positionnement. La réciprocité à cet endroit participe de la déontologie, du cadre, de la loi, de ce qui fait tiers. Attendre de chacun qu'il dise son implication, ses avancées dans le dossier qui lui revient, comme celles qu'il attend de l'autre, est à la base du principe du professionnalisme. C'est l'assise même du mouvement associatif.

L'exercice du professionnalisme, tant à l'endroit de la famille, de l'institution que du politique, se mesure à la capacité de problématisation et, au besoin, de conflictualisation des intérêts contraires. De transformation, autrement dit, des rapports de force en rapports de sens. A défaut, on veille à disposer de toujours plus de réponses que de questions ; le “pensé” cède le pas à l'“agi”.

Dans le remue-ménage que connaît actuellement la protection de l'enfance, on peut observer la place accordée aux passages à l'acte, qu'ils soient incités (“50 % de placements en moins”, claironne le politique) ou réalisés (11 % de signalements en plus pour 9 % d'AEMO judiciaire en moins). Le tout sur fond de campagne médiatique sans précédent en forme de procès de la profession, à coup de discours simplificateurs et démagogiques.

Ne pas personnifier les enjeux

Face à cette idéologie de la communication fondée sur une économie de l'argumentation, la tentation est grande pour se préserver de cloisonner, d'individualiser ou de personnifier les enjeux, les questions.

Les tensions et les torsions que subit actuellement la protection de l'enfance témoignent d'ajustements sociétaux relatifs à une perte de “garants métasociaux” (Touraine)  ; à savoir l'ambition ou la sécurité que représentaient l'Etat-nation, le travail, un type donné de société. Il s'agit d'un déficit provisoire, néanmoins dommageable, des catégories du collectif, des raisons comme des façons d'être ensemble.

De tels passages à vide, déroutants, voire insécurisants, peuvent inciter à s'entourer de précautions, d'isolant ou encore d'ignorance. Il en va ainsi de replis parfois légitimes, voire salutaires. Ils peuvent conduire à les revendiquer, ce qui tient du militantisme, d'un militantisme. Militantisme qui s'emploie alors à ne pas questionner ou à taire, forme de “passion de l'ignorance” (Autès) ou d'hallucination à l'envers : on n'a rien vu, rien entendu dire.

C'est, par-delà l'insignifiance, une violence sourde- forme de militantisme sans cause - qui vient, naturellement, s'emparer de ces non-lieux de parole familiaux, institutionnels ou sociétaux. A l'image du non-lieu à assistance éducative, fruit de l'abandon de la compétence du juge des enfants au civil, appelé à se développer autant que la profession pour sa part, en silence, s'y prêtera.

Pour couvrir ce silence, un prêt à penser- cache- misère militant - le temps qu'il peut, opère. On a ainsi avancé que la chute d'AEMO judiciaire tenait à l'insatisfaction des magistrats pour tel service, pour prétendre désormais devant l'évidence des chiffres parisiens qu'il s'agirait d'un phénomène limité à ce département. Ceux-là militeront jusqu'au bout qui affirmeront bientôt qu'il ne s'est guère étendu au-delà de l'Hexagone...

On a aussi argué de la nécessité d'un rééquilibrage de l'AEMO en faveur de celle administrative, contractuelle, sous-employée dit-on. Démenti des chiffres de l'Observatoire de l'enfance en danger de Paris : l'AEMO administrative, ´´solidaire'', chute de 8 %.

Militantisme qui s'ignore ne doute de rien. Le nez dans le guidon, on a déjà trouvé comment ne pas penser plus loin : pourquoi s'émouvoir de la disparition de l'enfant en danger à Paris quand, généreusement (les économies d'AEMO aidant), la ville dope son budget de prévention spécialisée de 40 % ? Qui s'élèvera contre les vertus de la prévention ? On omet seulement de préciser le commerce dont il s'agit, mieux repérable si on raisonne en termes de santé publique : accroître de 40 %le budget de la prévention est une avancée, sauf à décréter conjointement la disparition de 50 % des traitements.

Non à la privatisation de la protection de l'enfance

Ramener la notion de danger à une question d'offre et de demande - ´´contractualisation'' oblige - contient cette fabuleuse découverte : le danger est soluble dans le marché. La preuve est bientôt faite pour un futur ministre de l'Education nationale qu'on peut supprimer d'un seul coup l'obligation et l'échec scolaires.

La protection de l'enfance “article 375” est pensée en termes d'autorité publique appelée à seconder, restaurer ou pallier l'autorité parentale. Prétendre faire passer l'autorité judiciaire pour désuète n'est entendable que pour autant qu'une autre autorité s'exerce. Laquelle ? Si elle existait cela se saurait, car il n'y aurait nul besoin, justement, de recourir au judiciaire. Et s'il fallait en inventer une autre à quoi bon se défaire de celle-ci, surtout si celle-là n'a pas vu le jour ? La ´´contractualisation'', la ´´parentalité'', le ´´droit des familles'' sont autant d'idées généreuses, à condition de ne pas s'inscrire dans une volonté de ´´libéralisation'' - de privatisation - de la protection de l'enfance.

“50 % de placements en moins, 49,9 % d'enfants en danger en plus”, déclare l'Anpase (Association nationale des professionnels de l'aide sociale à l'enfance).

C'est au nom du droit des familles qu'auront été livrés à leur destin 50 % d'enfants faisant précédemment l'objet d'une mesure de protection judiciaire. Au nom d'un certain droit des usagers, “cheval de Troie de l'idéologie libérale”, avance le mouvement Education et société. Ces mêmes familles, demain, seules ´´responsables''de leur malheur, permettront de distinguer les familles “contractualisables'', méritantes, des autres, méprisables ; les bons des mauvais sauvages, indique Michel Autès dans “Le travail social ou les aventures de Tintin au Congo” (2).

A quelle fin conforter cet abandon - ce reniement - de la double compétence du juge pour enfants (civile et pénale), avancée de la France, qui sert depuis toujours d'assise à notre pratique professionnelle ?Une avancée qui date (1958), prétendent certains, qui oublient qu'il est des avancées sociales encore antérieures : les congés payés, c'est en 1936.

C'est bien en termes de professionnalisme que se posent les questions qui suivent. Si la notion de danger devait être revue radicalement, c'est soit :

 une question d'erreur d'appréciation : on se sera mépris ou égaré dans le prétendu flou présidant à cette notion. Auquel cas nous devons dès à présent et ce, considérablement, revoir nos critères d'évaluation. En effet, ces 50 %d'enfants de trop à l'ASE comme toutes ces mesures d'AEMO qui entretiendraient l'illusion du danger, n'est-ce pas nous qui les préconisons et les traitons ? Dans le cas où nous ne changeons rien profondément, et sans attendre, à notre pratique, c'est soit que nous persistons dans notre aveuglement, soit que nous estimons savoir ce qu'est protéger un enfant. Auquel cas, c'est ceux qui prétendent le contraire les victimes du flou. Il nous appartient alors - institution, association - de le faire savoir à la profession, aux autorités administratives, politiques, concernées par la question. Ce qui, répétons-le, à moins de travailler dans la protection du silence, ne peut être gardé pour soi ;

 une question purement politique, auquel cas il nous appartient d'occuper dans le débat public une posture professionnelle, sachant qu'il n'est de place -comme dans tout dossier de protection de l'enfance - pour la neutralité que complaisante et en ce sens, parfaitement militante. Cette question, en effet, se doit d'être débattue quelle que soit la porte d'entrée sur un plan technique et politique, l'économie de l'un ou l'autre conduisant à autant de pseudo-débats techniques que de pseudo-débats politiques.

C'est dire la responsabilité qui revient à chacun, d'un strict point de vue professionnel, de défendre, par-delà l'activité, la protection de l'enfant. Peut-on défendre les besoins de l'enfant dans la famille plus que dans la population ?

La protection de l'enfance est le fruit non du paternalisme mais du militantisme de la génération qui nous a précédés. Il faudra pour s'en ´´libérer'' faire preuve d'un individualisme pouvant compter par-dessus tout - c'est sa définition -sur des militants qui s'ignorent.

Les temps sont moins rudes quand, dans la tourmente, on gagne en visibilité. La protection de l'enfance et sa technologie de pointe, embarquées sur une mer hostile n'ont pas tant à craindre, tel un Titanic, de se prendre le premier iceberg libéral européen venu que, cédant à ses sirènes, de s'engager dessus.

Charles Ségalen Educateur spécialisé : 1, rue de l'Aqueduc - 78170 La-Celle-Saint-Cloud Tél. 01 39 18 29 22 meilavern@club-internet.fr.

Notes

(1)  Observatoire de l'enfance en danger de Paris, statistiques 2000.

(2)  In Cultures en mouvement n° 42 - Novembre 2001.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur