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Les commissariats saisis par le social

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Ils sont aujourd'hui une dizaine de travailleurs sociaux à intervenir au sein des commissariats. Mal connus, ils inaugurent pourtant, sur le terrain, une méthode de partenariat entre le social et le répressif. Au bénéfice des usagers.

L'exercice du travail social à l'intérieur d'un commissariat commence tout juste à se faire connaître. Il lui aura fallu dix ans pour sortir de l'ombre. En 1991, le premier poste est créé au commissariat central de Limoges à l'initiative du directeur départemental des polices urbaines (1). Son constat : 60 à 70 % des interventions policières n'ont pas de caractère pénal. Saisis pour des conflits dont la problématique sociale est souvent évidente, les policiers détiennent de nombreuses informations qui se perdent, faute de compétences adaptées. C'est ainsi que Marie-Françoise Maurelet- Debord, assistante sociale polyvalente de secteur, prend de nouvelles fonctions au commissariat central de Limoges.

En 1996, un poste similaire voit le jour à Maubeuge, un autre à Mantes- la-Jolie en 1997, deux à Trappes et à Châteauroux en 1999. Les commissariats de Dijon et des Mureaux suivent le mouvement en 2000 avant Bordeaux, Lyon et Nantes l'an dernier. On compte actuellement une dizaine de postes en France. Et le phénomène semble prendre de l'ampleur. « Nous sommes régulièrement contactés par des élus et des institutions qui souhaitent mettre en place ce type d'emploi chez eux », précise Thierry Couvert-Leroy, médiateur social du commissariat de Trappes.

Recrutés par des villes, des communautés d'agglomérations ou des conseils généraux, les travailleurs sociaux de commissariat ont pour particularité d'œuvrer au sein des services de police, sans être soumis à la hiérarchie policière. Installés dans les commissariats centraux et disposant généralement de leur propre bureau, ils peuvent exploiter les informations sociales de police pour proposer leur aide. La « main courante », véritable livre de bord du commissariat, permet de détecter les situations dans lesquelles le social pourrait apporter une réponse. « Il faut savoir lire entre les lignes pour repérer les personnes qui auraient peut-être besoin d'une aide, précise Paule Nicolas, éducatrice spécialisée au commissariat central des Mureaux. J'envoie des courriers pour leur proposer mes services et je rencontre environ 30 % des publics contactés. » En connaissant déjà la problématique ayant motivé la venue au commissariat, le travailleur social peut entrer plus rapidement dans le vif du sujet et soumettre aux intéressés une orientation spécialisée comme la prise en charge de l'alcoolisme ou des violences conjugales.

Les policiers orientent eux-mêmes parfois les personnes qu'ils reçoivent. « Une plaquette à la disposition des usagers et donnée par le policier décrit mes fonctions et indique leur gratuité, explique Isabelle Paineau, assistante sociale au bureau d'aide aux victimes à Nantes, situé dans l'hôtel de police. Mon but est l'accueil immédiat des victimes pour entendre leur souffrance. Je mène aussi un travail classique auprès des personnes en difficulté. » Certains interviennent d'ailleurs uniquement à la demande, sur saisine policière. C'est le cas de Valérie Lelong, éducatrice spécialisée au commissariat de Maubeuge, recrutée essentiellement pour intervenir auprès des mineurs.

Les auteurs de délits entendus par la police sont également parfois adressés aux travailleurs sociaux qui peuvent, par exemple, recadrer la loi avec un mari violent ou un jeune délinquant. L'intervention débouche généralement sur une réorientation du public vers les autres services sociaux qui pourront lui apporter une réponse et un accompagnement. Par exemple, l'auteur ou la victime d'une même situation de violence conjugale pourra être dirigé vers un hébergement d'urgence et un service de médiation familiale. Ce qui, bien sûr, suppose tout un travail en réseau avec les assistants sociaux des circonscriptions, foyers d'accueil et autres partenaires.

THIERRY COUVERT-LEROY (2)  : « UNE PAROLE LéGITIME SUR L'INSéCURITé »

Que peut apporter votre fonction au débat sur l'insécurité ? - Elle met en évidence la nécessité d'articuler actions répressive et éducative. La lutte contre l'insécurité ne passe pas forcément par une augmentation du nombre de policiers ou de travailleurs sociaux, mais par l'élaboration d'une méthode pour travailler ensemble. Et notre expérience peut faire avancer la réflexion en instaurant des rapports de confiance entre ces deux univers. Notre présence au sein des commissariats nous permet, en tant qu'acteurs sociaux, de comprendre certains comportements policiers ; et, en retour, nos interventions montrent concrètement aux forces de l'ordre ce que peut apporter l'action éducative à l'action répressive. J'ajoute que, dans les débats qui se développent sur l'insécurité, notre parole apparaît légitime. Je suis ainsi régulièrement sollicité par les groupes de réflexion qui se mettent en place localement autour de ce thème. Quelles sont vos attentes ? - Nous avons le sentiment d'être mal connus et reconnus. Par exemple, je m'interroge sur la volonté du nouveau ministre délégué à la ville de développer des services d'aide d'urgence aux victimes d'actes de délinquance (3) . Les travailleurs sociaux des commissariats interviennent déjà essentiellement sur l'aide aux victimes. Nous avons interpellé le ministère de l'Intérieur pour savoir s'il y avait une volonté de développer les expériences existantes, mais nous n'avons à ce jour aucune réponse. Pourtant, notre action sur le terrain participe à l'instauration d'un climat de sécurité. Propos recueillis par I. S.

Un rôle de « facilitateur »

Le professionnel peut aussi « faciliter l'usage des services de police » en préparant les personnes à un dépôt de plainte. « Certaines victimes appréhendent une visite au commissariat, explique Paule Nicolas. Elles sont envoyées par d'autres travailleurs sociaux et ont besoin d'informations. Je leur explique comment se déroule la procédure et les différents scénarios que peut choisir le tribunal. » Des travailleurs sociaux comme Marie-France Maurelet-Debord, en poste à l'hôtel de police de Limoges depuis plus de dix ans, vont aussi accompagner les policiers lors d'interventions spécifiques, comme l'expulsion d'un squat. Ces prérogatives sont généralement négociées lorsque la relation de confiance est déjà bien installée.

Qu'ils soient victimes, auteurs ou simples témoins, ceux qui poussent la porte du commissariat viennent de tous les horizons. Certains d'entre eux qui auraient besoin d'intervention sociale sont pourtant inconnus des travailleurs sociaux, car ils n'en ont jamais fait la demande. Le caractère souvent très intime des déclarations à la police permet alors de découvrir des situations difficiles ignorées des services sociaux.

Si les publics divergent un peu, les problématiques se ressemblent. « Il s'agit, dans 60 % des cas, en premier lieu de violences conjugales et de différends familiaux, constate Thierry Couvert-Leroy. Nous repérons aussi beaucoup de problèmes de voisinage à l'origine de visites au commissariat, des situations dues à l'alcoolisme, des hospitalisations à la demande d'un tiers et des fugues. Notre public est également constitué de victimes d'infractions pénales et de personnes fragiles, handicapées ou âgées, qui ont besoin d'un soutien. » De plus, ces personnes présentent fréquemment des problèmes de santé (dépression, troubles psychologiques ou alcoolisme).

Le contexte particulier du commissariat, qui implique souvent un traumatisme lié au délit, fragilise les publics. « Les personnes sont souvent en situation de crise puisque la rencontre est motivée par une intervention policière ou une visite au commissariat. Le premier terrain du dialogue est donc celui de la souffrance », remarque Paule Nicolas. Mais au-delà d'une écoute classique, le travailleur social n'interviendra que de manière ponctuelle. Sa mission est d'accueillir, de prendre en charge l'urgence puis d'orienter vers d'autres services.

Reste que la coopération entre deux univers culturellement aussi éloignés que la police et le travail social n'est pas toujours évidente. Installer son bureau dans un commissariat revient souvent pour le professionnel à tenter de convaincre un milieu totalement étranger, indifférent, voire hostile. Et, pour le monde du travail social, la fonction a pu apparaître d'abord contre nature. « Au début, les autres travailleurs sociaux me demandaient ce que je faisais chez les “flics”, se souvient Valérie Lelong. J'ai dû batailler pour expliquer ma fonction et nouer des relations de confiance avec eux. » Les professionnels en poste relèvent quant à eux que ce travail avec la police permet l'échange d'informations dans l'intérêt même de la personne. Ce qui exige bien évidemment des règles claires de part et d'autre pour éviter le mélange des genres et un respect de la déontologie de chacun.

Tous les professionnels mettent en avant l'aspect nouveau de leur fonction et leur grande marge d'initiative. A chaque installation, il a fallu poser les bases de ce poste un peu insolite, ce qui a donné une liberté d'action appréciable. « Ma mission est l'amélioration de l'accueil dans les commissariats pour toutes les personnes, auteurs ou victimes, et le soutien aux policiers dans leurs relations avec le travail social, affirme Philippe Leyreloup, coordinateur social à l'hôtel de police de Lyon. C'est un poste dont le champ d'intervention est extrêmement vaste. » D'où une surcharge de travail, ajoute-t-il, estimant nécessaire que, dans une grande métropole comme Lyon, son poste soit démultiplié. Dans les secteurs plus modestes, le travail est forcément moins lourd. Les travailleurs sociaux se sentent néanmoins souvent très isolés. « J'ai peu de contraintes de la part de mon employeur puisque je ne suis jamais au centre communal d'action sociale, observe Thierry Couvert-Leroy. Par contre, cette situation entraîne un manque de soutien. »

QUI SONT-ILS ?

Qu'ils soient assistants sociaux, éducateurs spécialisés de formation, ou encore titulaires d'un diplôme universitaire de développement social (pour le médiateur de Trappes), les travailleurs sociaux des commissariats, âgés de 27 à 55 ans, viennent d'horizons divers. Mais tous ont une expérience professionnelle de plusieurs années. Sous l'intitulé de coordonnateur, médiateur ou travailleur social, ils peuvent être salariés d'une collectivité locale (conseil général, commune ou communauté d'agglomérations), d'une association ou d'un centre communal d'action sociale. Créés souvent à l'initiative de la direction départementale de la sécurité publique, les postes peuvent être orientés sur l'aide aux victimes, ou plus polyvalents, comme celui de Lyon. Les salaires oscillent entre 1 375  € et 2 290  € nets par mois.

Pour ébaucher les contours de ce qu'il considère un peu comme « un nouveau métier », ce professionnel a réuni, le 12 mars dernier, la dizaine de travailleurs sociaux exerçant en milieu policier en France. Il s'agissait de confronter les pratiques afin de dégager les grandes lignes d'une fonction encore mal définie. Car tous les postes existants ont été institués au gré des volontés locales, sans concertation, ni cadre précis. Les intervenants ont donc décidé de créer « un lieu d'échange et de communication » sur leur pratique. Objectif ? Sortir de l'expérimentation pour faire reconnaître et développer la fonction.

Florence Pinaud

Notes

(1)  Voir ASH n° 1789 du 12-06-92.

(2)  Thierry Couvert-Leroy est médiateur social du commissariat de police de Trappes : place des Merisiers - BP 206 - 78195 Trappes cedex - Tél. 01 30 50 72 12.

(3)  Voir ASH n° 2264 du 24-05-02.

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