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« Travail social : du discours de la perte à celui de la renaissance »

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Selon Philip Mondolfo,  enseignant-chercheur en sociologie, la situation actuelle « ouvre des pistes pour repenser la place et les modalités d'intervention du travail social ».

« Nous pouvons analyser les dernières élections comme un constat de “faillite” des institutions d'intégration, qu'elles soient citoyennes (partis, syndicats, églises, associations) ou publiques (écoles, action sociale...). Pourtant, par-delà un certain désenchantement, cette situation ouvre des pistes pour repenser la place et les modalités d'intervention du travail social.

Déclin du pouvoir professionnel

Le travail social a été confronté ces 30 dernières années à un doute sur le sens de son action et à une perte de contrôle technique sur son champ et ses activités. On ne reviendra pas sur le rôle joué par la réforme politico-administrative de la décentralisation qui a renforcé le travail prescrit au détriment de l'autonomie relative des professions du social. On retiendra que la disqualification symbolique a été principalement portée par la sociologie critique des années 70 (Foucault, Castel, Verdès-Leroux, Donzelot...) qui a poussé jusqu'à la caricature le discrédit jeté sur le secteur en réduisant l'intervention des professionnels à une entreprise de domination. Cette analyse méconnaît la fonction anthropologique du “pouvoir” qui veut qu'aucune collectivité humaine ne puisse se passer d'instances capables d'énoncer et d'appliquer des règles pour vivre et agir en société (1). L'apport constructif de cette sociologie radicale consiste néanmoins à nous rappeler le rôle normatif des institutions, invitant les acteurs institués à s'interroger sur la façon dont eux-mêmes participent à la “stigmatisation” des usagers et à se demander comment ces derniers peuvent être pris en compte dans les processus d'expression de leurs attentes.

Deux événements donnent une actualité à ce recentrage. Lors des dernières élections le vote protestataire (2) a rallié la majorité absolue des ouvriers et des chômeurs (35 %), signifiant qu'une partie importante de la population ne se sent pas prise en considération. La question de la citoyenneté active de ces catégories est donc ouverte dans un contexte d'affaiblissement des instances de socialisation et de primauté donnée aux comportements utilitaires au sens où l'individu, ou le groupe d'usagers, est plus prompt à surcharger de demandes le système de solidarité qu'à manifester une volonté d'être respecté. Cette démarche participative est d'autant moins encouragée que les instances publiques privilégient les rapports bureaucratiques à tout fonctionnement permettant une véritable coproduction des réponses avec les usagers. Dans un tel contexte, le travail social n'a-t-il pas ici un rôle à jouer pour remettre de l'exercice démocratique au niveau où se posent les problèmes et où se forgent les actions ?Cette question fait écho à l'article de Bernard Cavat, vice-président d'Education et société (3) sur la place et le rôle du travail social dans notre société. Fustigeant la “prétendue neutralité technique de l'acte professionnel” il défend “une légitimité des acteurs sociaux à faire valoir une critique sociale appuyée sur leur propre capacité d'expertise” invitant les travailleurs sociaux et leurs institutions à “un véritable engagement professionnel prenant en compte les enjeux de citoyenneté et de démocratie”. Il conclut sur la proposition de faire reconnaître “une fonction de médiation sociale et d'accompagnement à la citoyenneté” en rendant “compatible engagement et militantisme avec l'identité professionnelle”. Il s'agit pour l'auteur de faire assumer par le travail social une fonction politique autrement dit la participation au surgissement et à l'expression de toute une série d'aspirations et de pratiques sociales bloquées, méprisées, de voix étouffées.

Participer à la  « politisation » de la société

Ce repositionnement est-il possible ? Au moment où la représentation du travail social n'a plus réellement de porte-parole historique, on pense en particulier au rapide déclin de l'ANAS, et se retrouve émiettée en de multiple boutiques corporatistes, la question d'un intellectuel collectif (4) capable de porter le projet d'une élaboration idéologique et culturelle nouvelle dans le secteur se pose. Bernard Cavat plaide pour “une confédération des organisations représentatives des acteurs professionnels du social” dans le cadre élargi d'une “conférence permanente des organisations professionnelles”. Pourquoi pas, à condition que ce soit une structure ouverte au non-institué capable de faire une place légitime aux paroles libres et créatrices. Reste la question du contenu. Proposer, comme le fait Bernard Cavat, que le travail social ait une “responsabilité démocratique” est intéressant mais à partir de quoi et comment ?En ce qui concerne le premier point, je considère que l'avancée considérable des problématiques territoriales et développementales impose le territoire comme scène incontournable de politisation et le développement comme modalité de construction de projets répondant aux préoccupations réelles ou fantasmées permettant “de prendre en compte la réalité des pauvres et les rêves de ceux qui sont sortis de la pauvreté”   (5). Dans cet esprit le travail social doit (re) faire de l'imaginaire un enjeu et un support d'action. Le second point concerne la professionnalité accompagnant un tel scénario. Sans renoncer à être un acteur de la redistribution-réparation, le travailleur social devra, à mon sens, ajouter la capacité à faire fonctionner des espaces “thérapeutiques” des phobies collectives au sein desquelles s'imaginent des réponses alternatives crédibles à la technocratie et aux populismes (6). Pour tenir cette posture il faudra au travailleur social se référer à trois identités croisées : professionnelle, salariée et militante, mises au service d'un concept global d'intervention articulant assistance, accompagnement de la personne, développement social et territorial. Cette “chimère” que j'ai appelé clinicien-développeur existe déjà à l'état embryonnaire (7). L'enjeu est donc moins de l'inventer que de vérifier sa pertinence et, si c'est le cas, de permettre que cette figure colonise le champ. A ce stade la question devient un problème de recherche-action pour valider le concept ou l'adapter, et de formation initiale et permanente pour généraliser le modèle. Dans cette perspective la réforme du diplôme d'Etat d'assistant de service social constitue une opportunité à saisir. Annoncé comme un toilettage puis remisé, le projet est aujourd'hui à nouveau exhumé avec un objectif de refonte en profondeur. C'est l'occasion d'avoir un débat audacieux sur le sens à donner à l'action sociale et sur la figure professionnelle à promouvoir au moment où le secteur souffre d'un déficit d'image qui le rend peu attractif. Faisons que cette réforme ne soit pas enterrée et devienne emblématique d'un changement, le signal fort que le travail social nouveau arrive. »

Philip Mondolfo Enseignant-chercheur en sociologie à l'université Paris-XIII, IUP Aménagement et développement territorial : 99, avenue Jean-Baptiste-Clément - 93430 Villetaneuse -Tél. 01 49 40 32 86 -E-mail : philip.mondolfo@libertysurf.fr.

Notes

(1)  Voir L'action contrainte. Organisations libérales et domination - David Courpasson - Ed. PUF 2000.

(2)  Pour Jérôme Jaffré il s'agit d'un vote pour un candidat ou un parti dont on ne souhaite pas au fond de soi-même qu'il gouverne. Le Monde du 28 et 29-04-02.

(3)  Voir ASH n° 2260 du 26-04-02.

(4)  Au sens gramscien de pôle organisateur d'une vision collective.

(5)  Propos du cinéaste Robert Guédiguian - Interview dans Le Monde du 2-05-02.

(6)  Pour Guy Hermet, directeur d'études à l'IEP, le populisme est non seulement une rhétorique c'est aussi un refus de la complexité des affaires publiques [...] qui prétend que tout peut être résolu immédiatement. Il suffit [...] de neutraliser les méchants. Les méchants, ça peut être le grand capital, l'euro, les technocrates de Bruxelles, la mondialisation : éliminons le mal et tout ira bien - Interview dans Le Monde du 19 et 20-05-02.

(7)  Voir Travail social et développement - Philip Mondolfo - Ed. Dunod, 2001.

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