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Un rond qui sait être carré

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Comment un ancien éducateur spécialisé devient-il secrétaire général de la fédération CFDT Santé-sociaux, puis patron de la confédération ? Parcours.

« C'est un rugbyman : il sait prendre des coups mais aussi en donner », juge son prédécesseur à la tête de la fédération CFDT Santé-sociaux, Marc Dupont. « Sous des dehors un peu ronds, il a des côtés carrés, estime également Yolande Briand, qui lui a succédé dans la fonction. Ceux qui s'imaginent quelqu'un de parfaitement consensuel vont avoir des surprises. Il respecte les autres mais il sait aussi décider et faire respecter ses priorités. Tant mieux. La CFDT a toujours eu des “patrons à poigne”, des responsables “poil à gratter”, capables de bousculer tout le monde, y compris les militants. Lui aussi sera de cette trempe, il imprimera sa marque. » Tel est, du moins pour deux personnes qui ont travaillé de près avec lui, l'homme qui vient d'être élu, le 30 mai, à deux jours de son 46eanniversaire, secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail. Mais qui donc est François Chérèque ?

Un héritage encombrant

L'héritier de son père, Jacques Chérèque, jadis numéro 2 de la CFDT ?Evacuons d'emblée cette question saugrenue, ne serait-ce que parce que le « paternel » a quitté ses fonctions syndicales en 1984. Bien peu de ceux qui ont eu à élire le fils ont connu l'ancien métallo, ses grosses moustaches et sa faconde (un trait de caractère qui n'a pas non plus fait partie de l'héritage). La référence au père a dû plus souvent l'agacer que le servir, lui à qui elle a d'abord valu -l'anecdote est véridique - de se voir refuser l'adhésion à la CFDT alors qu'il était à l'école d'éducateurs -et délégué élu de sa promotion. Le syndicat était tenu par les « coucous » d'extrême gauche contre lesquels ferraillait la direction confédérale. Sur son seul nom, le postulant fut éconduit. « Même avant ce veto sectaire, commente-t-il, je n'ai jamais eu de penchant pour l'extrême gauche. Ni d'ailleurs la moindre tentation envers la politique. »

Tout en revendiquant son propre cheminement syndical, François Chérèque ne renie pas pour autant la marque d'une « famille portée sur le social »  - sa mère a terminé sa vie active dans l'alphabétisation - qui lui a fait considérer comme normal de se syndiquer aussitôt que salarié. C'est en tout cas à ses parents qu'il doit d'être né à Nancy, le 1er juin 1956, et d'avoir débarqué à 12 ans à Sarcelles (Seine-Saint-Denis). Quatrième d'une fratrie de cinq garçons, il se distingue de ses frères matheux en n'étant « pas du tout scientifique » et en choisissant, « dès la seconde », un métier tourné vers les enfants. Peut-être sous l'influence d'un orthophoniste psycho- motricien de son entourage ? Il vérifie son choix en devenant moniteur de colonies de vacances et en gagnant son argent de poche comme baby-sitter. L'un des ses anciens voisins de tour, Gérard Prier, aujourd'hui permanent à l'Association des paralysés de France, se souvient du succès de ce grand gaillard auprès des jeunes parents.

Après le bac, il choisit de se débarrasser du service militaire avant d'entrer, en 1975, à l'école d'éducateurs de Neuilly- sur-Marne (Seine-Saint- Denis). Jacques Chirac, alors Premier ministre, vient de lancer le premier plan de lutte contre le chômage incluant une mesure d'insertion des jeunes sortant de l'armée. Grâce à cela, il bénéficie d'un salaire durant sa formation et gagne fièrement son indépendance dès 18 ans. De cette période, il retient surtout les trois stages sur le terrain, réalisés successivement dans un institut médico-éducatif de Garges- les-Gonesse (Val-d'Oise), dans un foyer de jeunes filles de la DDASS à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) - il est le premier homme à y entrer -, enfin dans un hôpital psychiatrique de jour, dans le XVIIIearrondissement de Paris. Il est ainsi l'un des premiers éducateurs recrutés dans l'une des premières structures du genre. Ces « expériences importantes » le confortent dans son orientation professionnelle et dans son intérêt pour la psychiatrie.

C'est donc dans un hôpital de jour, le centre Jean-Wier, à Puteaux (Hauts-de- Seine), ouvert à peine depuis un an, qu'il s'engage pour son premier emploi, en 1978, et adhère à la CFDT. En 1980, il quitte la région parisienne pour s'installer dans les Alpes- de-Haute-Provence. Avec l'idée (qui ne se concrétisera pas) d'ouvrir à terme, avec quelques amis, un centre de vacances offrant une respiration aux enfants handicapés confinés en établissements urbains. En attendant, il est entré au service de pédo-psychiatrie du centre hospitalier de Digne, qui réfléchit justement au lancement d'hôpitaux de jour dans le département. Il s'engage résolument dans le projet. « A l'époque, raconte-t-il, la psychiatrie était encore très traditionnelle. Tous les enfants pris en charge l'étaient en hospitalisation complète. A Digne, le pavillon des enfants était cerné par une haute grille. On y retenait des grabataires et des adolescents en crise, des gamins perturbés et des autistes profonds... Il s'agissait donc de développer des modes d'intervention variés et de proximité comme le suivi à domicile, les hôpitaux de jour ou les appartements thérapeutiques. A mon arrivée en 1980, une cinquantaine d'enfants étaient hospitalisés, sept ou huit à mon départ. C'était une période d'innovation très intéressante. Lors de mon retour en Ile-de-France, j'ai été frappé par la pauvreté de la pédo-psychiatrie en grande banlieue. Et dans certains départements, elle perdure. » Aujourd'hui encore, même si c'est de loin, François Chérèque s'intéresse toujours à la question et lit les articles qui lui tombent sous la main. « J'ai le sentiment de n'avoir pas été au bout de mes passions au plan professionnel », avoue-t-il dans

un court instant de regret. Cette expérience hospitalière a, en tout cas, durablement marqué sa conception du syndicalisme. « La réflexion et les projets d'évolution étaient souvent portés par les adhérents CFDT, qui d'ailleurs partaient nombreux vers les nouvelles structures. Notre militantisme n'était pas “anti”, mais “pour”. Je ne distinguais pas trop mes investissements professionnel et syndical, c'était la même démarche. »

C'est pourtant le syndicalisme qui l'éloigne par étapes de son métier. « Dans ce petit département, explique-t-il, notre syndicat était le plus important par le nombre d'adhérents. Beaucoup de sections ne bénéficiaient pas du droit syndical. Il fallait les aider, prendre nos responsabilités. En 1986, j'ai donc accepté un mi-temps pour l'union départementale, un mi-temps à l'hôpital. Je pensais m'engager pour cinq ou six ans... » Mais cette activité interprofessionnelle, d'abord vécue « comme une contrainte », lui fournit rapidement des « ouvertures intéressantes ». Il participe à des commissions qui planchent sur l'insertion, l'emploi, les personnes âgées, l'aménagement de la montagne, etc. « J'y trouvais mon compte. J'avais le sentiment de peser sur l'évolution du département. » Entre temps, il a rencontré Marinette, sa compagne depuis 20 ans (aujourd'hui cadre infirmière), avec qui il a eu deux garçons. Bref, il a fait souche à Digne et s'y sent chez lui. Quand il est sollicité, en 1992, pour venir à la fédération Santé-sociaux, le choix est « difficile ». Le travail de « développeur » qu'on lui propose l'intéresse, mais il avait quitté la région parisienne sans idée de retour. D'ailleurs, quand la famille dit oui, elle s'installe en grande banlieue, à Melun (Seine-et- Marne), « pour la qualité de vie », quitte à la payer de longs trajets quotidiens. Un choix qu'il maintient encore à ce jour, lui qui - militant bien de son temps - n'a pas trop laissé dévorer son espace privé (familial, sportif, culturel) par ses responsabilités.

A la fédération Santé-sociaux, il vit la secousse des grèves de 1995 (auxquelles la CFDT ne s'associe pas) comme une « révolution culturelle » et un salutaire exercice pour « tenir la ligne » contre les courants dominants. Selon lui, la fédé s'était aguerrie pendant le conflit des infirmières de 1988, à l'époque où les coordinations avaient plus le vent en poupe que les syndicats et où l'organisation avait signé l'accord de sortie de crise contre l'avis d'une partie de ses troupes. « Après cela, des journalistes ont prédit la fin de la CFDT dans le secteur. Or nos effectifs n'ont cessé de progresser depuis. » Avec 133 000 adhérents, la fédération est même la plus nombreuse de la confédération. François Chérèque porte aussi à son bilan la signature des accords de réduction du temps de travail, dans le secteur privé puis dans le public. Et les 7 000 accords locaux négociés dans la foulée. « A chaque fois, nous nous sommes interrogés sur le contenu et la méthode, avons poussé au débat dans chacun des syndicats. Je suis parti sur cet acquis. » Un bilan que contestent évidemment ses collègues des organisations non-signataires, Marie- Thérèse Patry de SUD par exemple, pour qui « les emplois n'ont pas été créés en conséquence » et entraînent l'obligation de « travailler plus en moins de temps », ce que ne compense pas l'intérêt des jours de congés supplémentaires.

Parmi ses troupes en tout cas, François Chérèque laisse une image positive. Si lui-même se reconnaît une qualité, c'est la capacité, et le goût, d'animer des équipes. Celle de la fédération Santé-sociaux en atteste volontiers. « Il sait aider les gens à sortir le meilleur d'eux-mêmes, à prendre toutes leurs dimensions », estime Sébastien Bosch, le nouveau secrétaire général adjoint. Ses anciens collaborateurs le décrivent « d'humeur égale, sauf le lundi matin ! », et le créditent d'une grande capacité d'écoute. Il a « beaucoup de sang- froid, avec toujours un peu de distance et d'humour ». « Un humour parfois caustique », précise Philippe Maillard, qui relève aussi son côté « vite passionné sous une apparence discrète et placide ».

Une transition tranquille

C'est donc bien auprès de quelqu'un qui campe sur la même ligne qu'elle que Nicole Notat vient discrètement « tâter le terrain » vers la fin 2000. François Chérèque se fait alors à l'idée - qui semble à tout le monde « naturelle » - de devenir l'un des dix membres de la commission exécutive confédérale, au côté de Nicole Notat, lors du congrès de 2002. Mais quand la secrétaire générale lui annonce, avant l'été 2001, son souhait de dételer et de lui passer la main, le défi change de nature. Le poste est exposé, ce n'est pas elle qui le démentira. Avant de « sauter ce grand pas », il se donne le temps de la réflexion, l'espace d'un été. Le Rubicon franchi, il quitte donc sa fédération pour entrer à la commission exécutive confédérale dès le 18 octobre 2001 et bénéficier de huit mois de classes auprès de la sortante. Soucieuse de lui ménager une transition beaucoup plus tranquille que celle qu'elle a elle-même connue en 1992, elle l'associe à toutes les rencontres importantes et le présente à tous les interlocuteurs possibles. Avec une mission en propre : la préparation des élections prud'homales du 11 décembre prochain. Excellente occasion pour courir l'Hexagone, prendre le pouls des militants et se faire mieux connaître de toute l'organisation. Sans compter que le sujet lui va comme un gant, lui qui ne se résout pas à ce que la France ne compte que 10 % de salariés syndiqués. L'implantation sur les lieux de travail, « seule source de notre légitimité », constitue même son souci numéro 1. « Il y a du travail à faire pour améliorer l'image du syndicalisme sur le terrain !, reconnaît-il . Mais, pour peser au plan national ou débattre de la mondialisation, nous serons plus crédibles si nous sommes capables d'influer à temps sur le projet industriel de l'entreprise et d'améliorer concrètement le sort des salariés. »

« Avec sa double expérience, professionnelle et interprofessionnelle, des secteurs public et privé, François Chérèque paraît bien préparé à sa tâche, estime un ancien responsable confédéral. S'il a une faiblesse, c'est son manque d'expérience internationale. » L'intéressé ne dément pas ce point, même s'il a siégé au comité exécutif de la Fédération syndicale européenne des services publics. Il comprend l'espagnol mais n'a, dit-il, « qu'un anglais scolaire », qu'il souhaite améliorer s'il trouve le temps de prendre des cours.

Reste à vérifier si, comme ses amis le croient, l'homme a les dimensions de sa nouvelle fonction. Dont le charisme particulier qui permet de se faire entendre -trente secondes par-ci, trois minutes par-là - au travers des médias. Saura-t-il faire partager, au-delà des 830 000 adhérents revendiqués par la CFDT, sa conception d'un « syndicalisme de transformation sociale », capable de « participer à la définition de l'intérêt général » et gagnant plus de place pour le contrat par rapport à la loi ? Prenant « le monde tel qu'il est », en faisant la part belle à la négociation et au compromis, mais « sans jamais perdre de vue l'ambition d'une société plus égalitaire et plus solidaire »  ? L'automne social et le test national de représentativité syndicale du 11 décembre offriront les premières réponses.

Marie-Jo Maerel

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