Recevoir la newsletter

Les enjeux de l'évaluation

Article réservé aux abonnés

La loi rénovant l'action sociale pose le principe de l'évaluation des établissements et services sociaux et médico- sociaux. Selon la façon dont le dispositif va se mettre en place, l'évaluation pourra améliorer la qualité des services rendus. Ou uniformiser les politiques. Enjeux.

Logique : après l'accréditation dans le secteur sanitaire, le tour de l'action sociale devait arriver. Mais la configuration politique s'avère un peu différente. Exit le terme accréditation, très mal vu dans le secteur, car associé à une sanction et à des pratiques de gestion, repoussée l'idée d'une agence nationale à l'instar de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé (ANAES), aux conséquences trop onéreuses pour le budget de l'Etat. La loi du 2 janvier 2002 tente de mettre en cohérence besoins sociaux et services rendus en posant notamment le principe, désormais incontournable, d'une évaluation interne, tous les cinq ans, et externe, tous les sept ans, des activités et de la qualité des prestations de près de 25 000 établissements et services sociaux et médico- sociaux. Elle crée un Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale, chargé de valider ou d'élaborer les bonnes pratiques professionnelles (1) et de donner son avis sur le cahier des charges et sur les organismes habilités. Un marché à prendre, des positionnements associatifs à assurer, des outils d'évaluation à promouvoir et une (ou des) éthique à défendre : les enjeux sont multiples, qui vont se traduire dans le contenu des décrets d'application dont certains projets circulent déjà.

Qui dit évaluation, dit amélioration de la qualité des services rendus à l'usager. Encore faut-il être d'accord sur l'objet de cette évaluation, la méthodologie utilisée et la façon dont on interprète les résultats. Or ces dernières années, les référentiels qualité ont poussé comme des champignons. Soit pour anticiper les conséquences de la loi, comme le reconnaît Jean-Marc Ducoudray, conseiller de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei), soit pour « coller à la logique de la démarche qualité déjà entreprise dans nos structures », relève Emmanuel Bon, directeur national Qualité à l'Association des paralysés de France (APF).

Dans le secteur des personnes âgées, la loi sur la prestation spécifique dépen- dance liait déjà financement et qualité, obligeant les opérateurs à imaginer des outils adaptés à leur spécificité. Entre AGGIR, Angélique (2) et Eva (3), destinés aux établissements pour personnes âgées dépendantes, et la nouvelle norme AFNOR des services aux personnes (4), « notre secteur est paré », estime Alain Villez, conseiller technique à l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux  (Uniopss). « Près de 40 %des établissements ont déjà utilisé Angélique. » Côté handicap, le secteur associatif n'a pas chômé non plus, proposant une gamme de produits différents, mais de sensibilité proche. Le Syndicat national des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et de services spécialisés  (Snapei) a conçu un référentiel de bonnes pratiques orienté sur les services à la personne, complété par un second outil permettant de mesurer la qualité de la prestation effectivement servie. Pour répondre aux souhaits des familles qu'elle fédère, l'Unapei a, elle, créé un outil spécifique d'évaluation du besoin d'accompagnement de la personne handicapée mentale, associé par la suite à une méthode d'évaluation de la structure, permettant la mise en place de plans d'amélioration de la qualité. Autre logique à l'APF, qui a choisi de structurer d'abord une démarche qualité en interne au sein d'une vingtaine de sites pilotes et ensuite seulement de bâtir un référentiel, qui n'était pas un objectif en soi. Quant à l'Association nationale des centres régionaux pour l'enfance et l'adolescence inadaptées  (Ancreai), elle a également mis au point une méthode d'évaluation interne qu'elle estime adaptée, plus largement, au champ social et médico-social. L'ensemble des prestations de ces promoteurs sont vendues aux adhérents et aux institutions intéressés avec formation sur sites, suivi et accompagnement de la démarche, etc. Intérêt non négligeable : « à terme, l'agrégation des informations remontant de nos adhérents (centres d'aide par le travail, instituts médico-éducatifs...) devrait nous permettre d'apprécier au plan national la qualité moyenne de nos établissements », souligne Anne-Valérie Dommanget, responsable de la démarche qualité au Snapei qui confie que la Croix-Rouge et la Fédération des infirmes moteurs cérébraux sont intéressées par leur produit.

Construire un référentiel commun ?

Pivot du dispositif d'évaluation, comment le conseil national va-t-il trancher entre des outils dans le fond assez proches qui vont sans doute refléter, dans certains cas, d'anciennes querelles de chapelle, parfois aussi d'authentiques différences ? « Entre les uns et les autres, de nombreux items se croisent. Il y a un tronc commun mais des spécificités », reconnaît volontiers Anne-Sophie Dommanget. Même écho à l'APF, en train, d'ailleurs, de se rapprocher de l'Unapei.

Le projet de décret prévoit que le conseil soit divisé en quatre sous-sections thématiques :exclusion, personnes âgées, handicapés, enfance-famille. Difficile en effet d'utiliser Angélique, par exemple, dans le secteur de l'enfance. Ces sous- commissions valideront sans doute des outils adaptés à leur champ s'ils existent, ce qui n'est pas le cas dans le champ de l'exclusion. « Ce n'est pas une priorité pour nos adhérents », estime Jean-Paul Peneau, au nom de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale  (FNARS).

Rien n'oblige en tout cas le conseil à ne valider qu'une seule méthode. Mais il pourrait aussi demander aux opérateurs de construire un référentiel commun, si chacun des outils présente des points forts et faibles. « Ce qui pourrait susciter un rapprochement des pratiques », fait remarquer Jean-François Bauduret, conseiller technique à la direction générale de l'action sociale (DGAS). Dans le secteur du handicap, les uns et les autres ne sont pas contre. Jusqu'à un certain point. « On peut alléger, amender, mais non se mettre en porte-à-faux par rapport à nos adhérents », prévient Anne-Sophie Dommanget. « Il y a des spécificités à préserver. » Stratégie ou pas, le Snapei a balisé le terrain en choisissant dès le départ l'AFNOR comme maître d'œuvre. « Si cette méthode devient une norme homologuée par l'Etat, on devient incontournable. »

Cohérence et faisabilité

Nul besoin d'être grand clerc pour saisir l'importance de la composition du conseil qui devrait intervenir dans l'année. Lequel devrait évidemment comporter notamment des représentants des grandes associations qui ne pourront pas se prononcer sur leurs propres outils afin de ne pas être juge et partie. Mais dans les couloirs, on évoque des jeux d'alliance possibles pour contourner la question. En tout cas, les décideurs/ financeurs, comme l'Etat, y seront minoritaires, assure-t-on à la DGAS. Laquelle plaide pour des outils qui soient utilisables à la fois en évaluation interne et externe par souci de cohérence et de faisabilité. Du point de vue des associations, « le choix des produits en amont sera important », observe Jean-Yves Barreyre, délégué régional Ancreai Ile-de-France, « pour qu'à terme les schémas d'organisation sociale et médico-sociale ne dictent pas aux associations le contenu de leurs projets ».

L'enjeu économique à terme n'est donc pas négligeable pour les promoteurs dont les méthodes seront validées. « L'intérêt n'est pas mercantile », dément Anne-Sophie Dommanget, « le coût de notre investissement ne nous permettra pas de rentrer dans nos fonds », ce que confirme Jean-Marc Ducoudray. Un coût que les établissements et services vont devoir prendre en compte dans leur budget, car l'auto- évaluation leur incombe. Dans le secteur des personnes âgées, « les petites associations vont avoir un cap financier difficile à passer », pronostique Alain Villez. En revanche, le secteur handicap n'est pas inquiet ; sans doute parce qu'il a davantage de ressources pour faire face. Envisagée comme un outil de management interne, la démarche peut être prise en compte dans les plans de formation : le Snapei a passé un agrément avec Promofaf dans ce sens. « On peut mutualiser le financement sur plusieurs exercices », ajoute Anne-Sophie Dommanget. De son côté, l'APF a demandé à ses structures d'intégrer cette dépense dans leur budget 2002. Surprise : « Localement, quelques directions départementales des affaires sanitaires et sociales sont prêtes à donner un coup de pouce. Et des conseils généraux ont accepté de donner une aide exceptionnelle la première année », constate avec satisfaction Emmanuel Bon. Au-delà de l'aspect financier, les équipes réagissent bien dans l'ensemble dès qu'elles se sont appropriées la démarche, constatent les promoteurs dans le secteur handicap. « Dans dix ans, l'évaluation de la qualité sera complètement intégrée dans l'activité des établissements et tout le monde sera formé », assure Jean-Yves Barreyre. « En attendant, bon nombre de gestionnaires d'établissements pour personnes âgées ne savent pas utiliser ces outils », avertit Alain Villez. « Il y a un vrai problème d'ingénierie. »

L'habilitation des organismes qui seront chargés d'auditer en externe risque en toute logique d'attiser les convoitises. Là encore, le conseil aura un rôle majeur à jouer lors de l'habilitation et surtout de l'élaboration du cahier des charges que ces derniers devront respecter. Lequel devra tout à la fois définir une méthodologie et une déontologie pour qu'il soit légitime. Et légitimé. Premier garde-fou : « le projet de cahier des charges sera soumis au conseil », assure Jean-François Bauduret, le deuxième consistant à ce que l'évaluation des évaluateurs soit prévue par décret pour éviter, entre autres, les rentes de situation. Ces derniers étant, en somme, « accrédités » à durée déterminée. Cette garantie éthique suffira-t-elle à rassurer ? Les grandes associations risquent néanmoins de faire la pluie et le beau temps en faisant valider leurs critères d'évaluation, craignent certains observateurs. D'où l'idée défendue par l'Ancreai de créer dans les régions avec, entre autres, l'appui des conseils généraux, des groupes d'évaluation de la qualité qui auraient pour tâche l'observation des besoins, l'évaluation et l'animation régionale de façon à articuler évaluation externe et interne et de faire remonter des propositions au conseil national. « Ce qui permettrait aussi d'articuler l'évaluation des besoins sociaux dans le cadre des schémas à celle des services rendus, et de mettre ainsi en cohérence l'architecture du dispositif », souligne Jean-Yves Barreyre. Ces commissions régionales pourraient être animées... par les CREAI qui pourraient alors se positionner non plus sur l'évaluation interne mais externe. Mais dans ce cas, il faudrait alors changer leur statut, ces derniers ne pouvant en même temps recevoir des subsides associatifs, être appelés à siéger dans des conseils d'administration des associations et satisfaire aux conditions d'indépendance nécessaires. Un repositionnement stratégique qui suscite, on le devine, des états d'âme dans les troupes...

Concernant l'évaluation externe, imposée par le Parlement, la question financière n'est pas tranchée. L'hypothèse d'un fonds de concours alimenté par l'Etat, l'assurance maladie, les départements et les cotisations des établissements a été quasiment écartée. La DGAS envisage plutôt la création d'une caisse pivot ou d'une agence qui mutualiserait les cotisations des établissements. Leur obole, dont la base de calcul n'est pas encore fixée, serait associée à celle de l'Etat, de la sécurité sociale, etc. « Il faudra évidemment prévoir des mesures nouvelles », admet Jean-François Bauduret. Ainsi qu'une base légale. Et du temps avant que le souci de la qualité soit perçu comme une exigence constante et non une fin en soi. En attendant une future agence nationale de l'accréditation ?

Dominique Lallemand

Notes

(1)  Voir ASH n° 2248 du 19-02-02.

(2)  Mis au point par la DGAS en concertation avec les grandes fédérations associatives.

(3)  Elaboré par la Fédération hospitalière de France, en lien avec la DGAS, l'Ecole nationale de la santé publique et l'ANAES.

(4)  Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur