« Les services permettant aux personnes en perte d'autonomie (passagère ou définitive) de recourir aux aides dont elles ont besoin pour l'accomplissement des actes de la vie courante et leur maintien à domicile se présentent comme un des enjeux importants de nos sociétés. A la fois parce que l'allongement croissant et continu de l'espérance de vie augmente, de façon quasi mécanique, l'importance de ces besoins et que, simultanément les transformations profondes de nos modes de vie dans les sociétés urbaines tendent à ce que chacun souhaite un maintien au domicile le plus longtemps possible, alors que les solidarités familiales et de voisinage se délitent.
Le développement de ces services est devenu un objectif de plus en plus clairement affiché par les pouvoirs publics, notamment par les collectivités territoriales, particulièrement depuis le début des années 80. Mais il faut constater que cette dernière période a été marquée par des logiques de financement contradictoires, dont la superposition a contribué à déstabiliser l'environnement de ces activités en pleine mutation. L'enchevêtrement d'un système de financement de l'offre, de dispositifs de solvabilisation de la demande par des aides accordées aux bénéficiaires et de dispositifs d'insertion inadaptés pour le recrutement de personnel ont conduit à rendre les formes de concurrence inintelligibles pour des structures préoccupées par leur développement à long terme et la recherche des investissements matériels et immatériels qui l'accompagnent.
Au moment où une nouvelle conjonction de mesures et de dispositifs se fait jour (mise en œuvre de l'allocation personnalisée d'autonomie ; réforme du CAFAD ; création d'un fond de modernisation de l'aide à domicile, etc.) et où, simultanément, une pénurie de main-d'œuvre touche l'ensemble des entreprises de ce secteur, il paraît judicieux d'envisager une démarche territoriale d'animation et d'actions susceptibles de répondre aux exigences de professionnalisation de l'offre de service, afin de favoriser son développement.
L'aide à la structuration de ce champ d'activités passe nécessairement par l'exploration et le développement simultanés d'au moins trois des pôles de structuration de ces activités, ainsi que par leur articulation.
La professionnalisation des prestataires de services
Si cette “entrée” apparaît comme la plus évidente, il est d'autant plus nécessaire de le faire avec circonspection. Par professionnalisation, il convient, en effet, d'entendre les dynamiques de formation professionnelle, mais aussi les processus de reconnaissance institutionnelle de ces professions, leurs statuts, les conventions collectives qui les concernent, les dispositifs internes aux organisations de service, aux regroupements qui permettraient la capitalisation des expériences, l'évolution, la validation des savoir-faire et des connaissances (1). Autrement dit, concernant la professionnalisation, il s'agirait, parmi d'autres points, de se préoccuper de la formation des prestataires de services, d'aider à la structuration professionnelle des structures de services et de former les personnels d'encadrement ou bien encore de favoriser la mise en place de “plates-formes territoriales de formation” permettant la construction de formations, dont la conception et la réalisation intégreraient les différents opérateurs locaux.
La professionnalisation des prestataires et des structures qui les emploient est la condition nécessaire, mais non suffisante, pour le développement de ce champ d'activités. Il convient, parallèlement, d'initier une approche suscitant diverses actions (groupement d'employeurs, plate-forme de services, etc.) qui permettent de structurer et de promouvoir l'offre de service.
La solvabilisation de la demande
En théorie, de tels services sont, avant tout, des constructions sociales locales qui nécessitent la constitution de marchés dans une économie locale fondée sur des réseaux. Mais ce principe s'affronte concrètement au fait que ces services se solvabilisent par le recours à des dispositifs de financement actuellement d'une grande complexité et qu'il s'agit à la fois de rémunérer à sa juste valeur le service proposé, tout en permettant l'accessibilité des services par le plus grand nombre. Se fait donc jour également la nécessité, pour accompagner le développement de ce secteur, d'une réflexion territoriale susceptible de préparer un processus de solvabilisation, passant par la mise à plat des ressources publiques existantes, des possibilités de ressources marchandes (paiement de services par les usagers) et la prospection de nouveaux financeurs publics, para-publics ou privés.
Quoique la nécessité de conduire une telle démarche territoriale semble admise par la plupart des acteurs intervenants dans ce secteur (tutelles, financeurs, opérateurs, organisme de formation, etc.), sa mise en œuvre, nécessairement collective, se heurte à un certain nombre d'obstacles :
la constitution historique de ce secteur a déterminé un regroupement des acteurs en “familles” à la culture et aux conceptions parfois antagonistes (associations issues de l'action sociale, de l'économie sociale, de l'économie solidaire- dont les services de proximité ont servi de “creuset” conceptuel -, opérateurs issus des grandes entreprises industrielles de service) ;
cette constitution a été fortement déterminée, également, par des logiques de financement contradictoires, dont la superposition a contribué à déstabiliser l'environnement de ces activités en pleine mutation. Ce qui n'a fait que “crisper” encore un peu plus cette segmentation ;
la prédominance, enfin, du paradigme “former pour insérer”, qui a dominé les années 80 et 90 en posant comme principe, dans une période de fort chômage, que la qualification des personnes étaient une des conditions principales à leur insertion et au développement de nouveaux gisements d'emplois, a profondément modelé la représentation qu'ont les acteurs eux-mêmes de leur propre secteur. Notamment en minorant fortement les dimensions économiques et organisationnelles du développement de ce secteur et en privilégiant la dimension “emploi”, ainsi que les spécificités des services relationnels dans le champ des services (2), dont la performance économique et sociale peut de moins en moins être résumée par des indicateurs techniques “objectifs” de productivité et de croissance “réelle” ; ainsi qu'en “autonomisant” les prestations proposées par les opérateurs de formation qui tendent de plus en plus à qualifier des personnes et de moins en moins à professionnaliser des futurs salariés. Il faudrait, sur ce point, prendre le temps de démontrer comment ces processus se sont constitués. Cela afin de ne pas proposer un constat qui risque d'être compris comme un jugement, ce qu'il n'est pas. Et pour ce qui est de la formation, montrer comment en répondant à une commande sociale, déterminée par le paradigme “former pour insérer”, s'est institué un modèle “d'enseignement” au lieu et place d'un modèle de “professionnalisation”.
Ces quelques éléments, trop vite décrits, permettent cependant de préciser les deux obstacles, auxquels se heurte la mise en œuvre d'une telle démarche :
d'une part, il s'agit de transformer la représentation que se font les acteurs de ce champ, étant entendu qu'il n'existe pas “une” représentation de ce secteur puisque la position et les intérêts de ces acteurs sont parfois divergents (associations se réclamant de l'économie solidaire et opérateurs issus ou proches des entreprises industrielles de service ou prestataires de services et opérateurs de formation, etc.) et qu'ils baignent tous dans une familiarité avec cette activité. Cette familiarité est aussi le principal obstacle à la connaissance complète du secteur ;
d'autre part, il s'agit de faire coopérer des acteurs qui sont le plus souvent entre eux dans des relations d'indifférence, de méfiance ou de concurrence.
En creux, ces obstacles dessinent deux conditions nécessaires à la réussite d'une telle démar- che : le temps et la légitimité de l'opérateur qui pourrait la conduire. Le temps, c'est celui nécessaire à la transformation des représentations et à l'apprentissage de pratiques de coopération (qui permettront peut-être la mutualisation de moyens par la suite). La légitimité de l'animateur, dont la position doit montrer l'évidence de la neutralité (au service de l'intérêt général et commun et non d'intérêts particuliers) et la compétence reconnue, à la fois sur le secteur et pour l'animation de telles démarches. »
Jean-Luc Charlot Chargé de mission « nouveaux services, emplois- jeunes ». Mission locale de l'agglomération caennaise : 1, place de l'Europe - 14200 Hérouville-Saint-Clair Tél. 02 31 46 21 46.
(1) Sur ce sujet, lire notamment : Joël Anne, Jean-Luc Charlot - Concevoir, exercer, enseigner le métier d'assistante de vie au domicile - Caen, Association Etre, novembre 2000.
(2) Les travaux de Jean Gadrey notamment, un des grands spécialistes de l'économie des services, portant sur l'analyse de la productivité de ces services, sont encore aujourd'hui partiellement méconnus, et en tout cas n'inspirent pas ou très peu les politiques et les analyses conduites à propos de ce secteur...