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« Mineurs délinquants : les centres fermés ne sont pas une solution digne de notre pays »

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D irecteur d'une maison d'enfants à caractère social, Williams Malaret demande, avec véhémence, aux hommes politiques, de renoncer à proposer « un enfermement renforcé de la jeunesse en difficulté ».

« L'insécurité est à l'évidence une réalité, même si elle est sans doute moins univoque qu'on se plaît à la montrer, et qu'il conviendrait de parvenir à distinguer réalité et sentiment. Cela dit, interroger les solutions mises en œuvre ou prônées pour améliorer la situation est une nécessité, un devoir éthique, surtout lorsque, comme c'est le cas actuellement dans la campagne électorale, certains hommes politiques ou candidats de tout bord, et non des moindres, sont d'accord pour la réouverture des centres fermés pour mineurs délinquants. Devoir éthique, surtout lorsque, comme c'est mon cas, on est depuis longtemps un acteur de l'action sociale, précisément auprès de la population dont il est question. Population en grande difficulté familiale, personnelle, sociale, mais dont la richesse réelle, profonde, n'a d'égale que la bêtise de cette proposition commune d'en revenir à des “solutions” d'enfermement d'un autre âge.

En effet, il s'agit bien d'un retour et non, comme on veut nous le faire croire, d'une “solution” nouvelle. Toute personne un peu éclairée sur ces questions sait que les centres fermés ont existé en France jusque dans les années 70-80. Devant l'échec total de cette solution (1), professionnels et décideurs de la protection judiciaire de la jeunesse (éducation surveillée à l'époque) ont eu le courage, l'intelligence, l'humanité aussi, d'en convenir et de chercher, notamment avec le secteur associatif, des solutions alternatives crédibles.

Ce qui fut fait et, quoi qu'on en dise, pas si mal. Car l'excellent travail quotidien, difficile, des milliers de travailleurs sociaux de ce pays, en milieu ouvert comme en institution, dans le secteur public comme dans le privé, porte ses fruits, donne des résultats. Des solutions nouvelles, originales, transversales ou multi-partenariales, sont trouvées, mises en œuvre. Pas de miracle, ni ici ni ailleurs, mais un tissage patient de liens, une écoute permanente au-delà des mots, non exempte de coups de gueule et de ras-le-bol, l'ensemble apportant, lorsque le temps nous est donné, un réel mieux-être et de nombreuses réussites au plan de l'insertion sociale pour une grande majorité de jeunes accompagnés.

Notre travail est celui-là, pas parfait, mais bien fait et en recherche constante d'amélioration. C'est à ce titre que l'on est en droit de se demander pourquoi à notre connaissance, faisant fi de tous les principes démocratiques dont les candidats et leurs états-majors se gaussent depuis des semaines, aucune personne qualifiée ni instance habilitée, tel le Conseil supérieur du travail social, n'a été consultée préalablement à cette regrettable décision de réouverture des centres fermés pour mineurs délinquants.

Non à une justice d'exception pour les mineurs

Car ce choix-là, contestable s'il en est, traduit purement et simplement le début de l'abandon de la primauté de l'éducatif sur le répressif, choix qui se repère également dans le projet de comparution immédiate des mineurs, très contesté par les magistrats de la jeunesse eux-mêmes (2). Ce traitement et cette justice des mineurs, expéditive, d'exception, est inacceptable. D'autant plus que le dispositif actuel, même si des améliorations sont toujours possibles, permet déjà de répondre aussi, si besoin, par la répression.

Pourquoi, s'il faut enfermer des jeunes, ne pas oser les mettre en prison puisqu'il s'agit d'une privation de liberté ?Savez-vous qu'aujourd'hui, contrairement à ce que beaucoup de concitoyens s'imaginent, les magistrats pour enfants incarcèrent des mineurs délinquants ? Deux fois plus en 2000 que par le passé. Je ne suis pas sûr qu'il faille s'en réjouir, mais au moins s'agit-il d'une prison, nommée comme telle, et non d'un ersatz dont on change le nom, croyant sans doute, de manière illusoire, changer la réalité par un tour de passe-passe. Car si l'on doit parfois exclure temporairement un jeune de la société civile, autant le faire vraiment, clairement, courageusement, et nommer prison ce qui est prison, afin que le jeune lui-même soit dans une réalité compréhensible, cohérente, par nature structurante, au contraire du non-dit ou des réalités travesties qui, semant le trouble, ne permettent l'élaboration d'aucune relation de confiance.

Est-il besoin d'inventer une nouvelle sorte d'enfermement, de renforcer “le grand continuum carcéral” comme dit Foucault. Mieux vaut se contenter d'utiliser ce qui existe à bon escient, avec humanité, ce qui présuppose d'ailleurs que l'amélioration des conditions d'accueil dans les prisons françaises, a fortiori pour les mineurs, soit une réelle priorité politique. Voilà bien un chantier prioritaire (3). Pourquoi, plutôt que d'aller dans le sens de “solutions” d'exclusion et d'injustice sociale, ne pas oser des propositions nouvelles. Il m'en vient une à l'esprit, mais je suis certain qu'il y en a d'autres. Chacun d'entre nous, parce qu'il en a bénéficié, sait combien la transmission des savoirs, d'une ou de plusieurs cultures, aura compté dans sa vie, dans ce qu'il est aujourd'hui. La rencontre avec le beau, le laid, le vrai, l'authentique, avec l'histoire des hommes, de leurs idées, de leurs luttes, de leurs œuvres, de leurs croyances, parce que porteuses de valeurs et de prise de conscience, à partir des mots qui les font vivre, peut enclencher en chacun un mécanisme réel de compréhension, de sentiment d'appartenance et, dans le cas qui nous occupe - les jeunes en grande difficulté -, de réparation.

Dans cet axe, pourquoi ne pas oser ce que je nommerai, de manière impropre, mais le temps presse, une “injonction culturelle”, sorte “d'alternative culturelle à l'incarcération”. Il s'agirait de proposer de limiter ou de réduire la peine des jeunes qui acceptent de reprendre réellement leurs études et obtiennent un ou plusieurs diplômes qualifiants, posant l'hypothèse que les enseignements d'une part, la réussite d'autre part, peuvent à terme aider les personnes à se découvrir d'autres centres d'intérêts, de nouveaux modes de relation, un nouveau fonctionnement personnel, en un mot être facteur de transformation positive de la personne.

Place à l'utopie

Utopique, bien sûr, et alors ? La scolarité obligatoire est fondée sur quoi ? Ceux qui rêvent d'être président de la République, sont portés par quoi ? J'ose espérer par un peu, au moins, d'utopie. Car rappelons-nous que Freud lui-même a tenu à désigner trois impossibles dans la vie de tout homme : psychanalyser, éduquer, gouverner. Si cela doit certes nous rendre modestes, cela peut aussi, la tâche étant a priori impossible, nous amener à laisser une place réelle à l'utopie, fondatrice d'espoir, de sens et donc d'un meilleur sort pour ceux dont on s'occupe, même si la réalité atteinte n'est pas tout à fait celle que nous visions au départ. »

Williams Malaret Educateur spécialisé, directeur d'une MECS et de l'association Directeur 64 : Pyrénées action jeunesse - 18, rue Louis-Barthou - 64110 Gelos -Tél. 05 59 06 07 67.

Notes

(1)  Voir l'article du Monde du 23-03-02, « Le centre de Juvisy, fermé en 1979, une prison qui ne veut pas dire son nom, prête à exploser à tout moment » et ASH n° 2257 du 5-04-02.

(2)  Le Monde du 4-04-02.

(3)  Voir le rapport annuel 2001 de Claire Brisset, défenseure des enfants, cité dans Le journal du droit des jeunes de janvier 2002, avec le commentaire suivant : « La défenseure pointe dès lors les conditions indignes d'incarcération des mineurs qui font de la France un pays barbare dans le cercle des pays nantis d'Europe ».

TRIBUNE LIBRE

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