« Comment sanctionner sans exclure davantage ? » C'est autour de cette interrogation que se sont rassemblés les magistrats, les professionnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), des services sanitaires et sociaux, de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire sous l'égide de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) (1) et de l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP). Souhaitant faire entendre la voix des aménagements de peine, des alternatives à l'incarcération et du nécessaire accompagnement social des personnes sous main de justice, ils sont convaincus, pour la plupart, que derrière ces sanctions d'un autre type se trouve une partie des clés de la non-récidive. Comment travailleurs sociaux, juges et administration pénitentiaire peuvent-ils améliorer l'accompagnement de ces personnes, sachant que « l'administration pénitentiaire n'est pas une administration sociale », a tenu à rappeler Isabelle Gorce, sous-directrice des personnes placées sous main de justice au ministère de la Justice.
« Les personnes les plus souvent condamnées par la justice appartiennent à des franges bien particulières de la société », rappelle le sociologue Philippe Cambessis. Ainsi la population carcérale actuelle est-elle socialement très marquée. Elle est en majorité constituée d'hommes plutôt jeunes, ayant quitté très tôt le système scolaire (21 % des entrants en prison sont illettrés), pauvres (entre 20 et 30 %d'indigents repérés à la mise sous écrou) et aux réseaux sociaux réduits. La problématique de leur réinsertion, des conditions de la non-récidive mais aussi des conditions de l'aménagement des peines (avoir un domicile et un travail) se pose donc de manière singulière.
Autre élément de la donne : les politiques pénales changent et modifient les besoins d'accompagnement social. Au-delà des orientations affichées que sont le développement des solutions de troisième voie (alternatives aux poursuites) et des réponses immédiates (traitement en temps réel), il faut mesurer les conséquences de la judiciarisation croissante d'un certain nombre de problèmes sociaux et notamment « le traitement des troubles psychiatriques par le pénal », pointe Jean-Paul Jean, substitut général près de la cour d'appel de Paris.
Les travailleurs sociaux des prisons, des associations de réinsertion, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), des associations travaillant sous mandat de justice sont présents à tous les stades du parcours judiciaire. Avant jugement, en cours d'exécution de peine - incarcération, mesures alternatives, peines aménagées... - et à la sortie de prison, ils mesurent bien à quel point les difficultés souvent présentes avant le jugement n'ont pas disparues et viennent se cumuler avec celles issues de l'expérience carcérale.
Les CHRS, pour qui l'accueil des publics sortant de prisons fait partie des missions d'origine, sont aux premières loges pour observer la situation. Et leur constat des lacunes de l'accompagnement social en prison rejoignent ceux du Service régional d'accueil, d'information et d'orientation aux sortants de prisons (SRAIOSP) (2), une unité du service pénitentiaire d'insertion et de probation de Paris. L'indigence d'un grand nombre de libérés (un détenu sur cinq sort avec moins de 50 F en poche) est aggravée par l'impréparation de la sortie et souvent le déni de droit. Ainsi, « nombreuses sont les personnes qui sortent de maison d'arrêt
ou de centres de détention sans aucuns papiers, sans dossier de revenu minimum d'insertion, de couverture maladie universelle ou du Fonds de solidarité pour le logement instruit et sans le kit de sortie (tickets de transport, argent, carte téléphonique...) dont elles doivent normalement bénéficier », dénonce Sophie Lebris, conseiller d'insertion et de probation au SRAIOSP. Faut-il rappeler qu'avec un travailleur social pour 100 détenus, les actions des professionnels, assistants sociaux, conseillers d'insertion et de probation semblent de fait limitée. « Nos missions apparaissent désormais recentrées sur la gestion administrative des mesures pénales », déplore d'ailleurs l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP) - CGT, plaidant contre la dérive bureaucratique de la réforme des SPIP initiée en 1999. Quant aux commissions d'indigence, censées repérer et traiter les situations de grande pauvreté en prison, elles sont encore trop souvent inexistantes.
Comment dès lors ne pas souhaiter que se développent les expériences de coopération entre prisons et CHRS, qui permettent une intervention en amont, à l'instar de la convention passée il y a un an entre la maison d'arrêt du Mans et le CHRS L'horizon ? « Celle-ci prévoit nos interventions dans les murs afin de préparer les sorties notamment en termes d'ouverture des droits », explique Michel Sellier, directeur du centre. Ce dernier accueille également des détenus en permission de sortie, une seule fois ou régulièrement, dans l'optique de préparer leur éventuelle venue à leur sortie. « La convention permet de formaliser les rapports, d'avoir une base de discussion en cas de hiatus et de poser le fonctionnement qui va respecter les missions de chacun. Elle prévoit aussi une évaluation régulière de notre activité et de nos procédures de travail », précise Michel Sellier. Relativement rare sur le territoire national, ce type de convention dépend trop souvent de la bonne volonté des acteurs locaux. En outre, débordés par d'autres publics « beaucoup de CHRS ne s'intéressent pas aux personnes sous main de justice et sont parfois rebutés par les rigidités et les lourdeurs de l'administration pénitentiaire », regrette Raymond Kohler, secrétaire général de la FNARS et aumônier de prison.
Mais au-delà de l'accueil des libérés de prison et de la préparation à la sortie, la FNARS souhaitent que les associations puissent s'engager davantage dans l'accueil et l'accompagnement des personnes pouvant bénéficier d'une mesure alternative ou d'aménagement de peine et plaide d'ailleurs pour un usage plus fréquent de ces dernières, meilleures garantes le plus souvent de la réinsertion sociale et de la compréhension par le justiciable du sens de la sanction. Les cas de figure sont extrêmement divers depuis le placement extérieur en fin de peine qui peut être réalisé en CHRS, via les mesures de réparation et de médiation jusqu'aux injonctions de soins et aux contrôles judiciaires socio-éducatifs pris en charge par des associations habilitées.
En milieu ouvert, la palette des peines, des problématiques et des profils sociaux des personnes est plus variée qu'en prison. Il s'agit, pour les intervenants sociaux à la fois de proposer un accompagnement qui intègre l'expérience pénale, un travail sur le sens et l'acceptation de la sanction ; une aide concrète à la gestion et à l'aménagement de la sanction ; une action de réinsertion sociale et professionnelle et parfois une démarche de soins ou d'aide à l'émergence d'une telle demande. « Toute la difficulté est alors d'être à la fois dépositaire d'un mandat judiciaire et fournisseur d'aide », soulignent de nombreux professionnels. La recherche de l'adhésion de la personne est alors souvent au cœur de la démarche. A terme, l'objectif de l'accompagnement est toujours le retour au droit commun dans des conditions qui permettent la non-récidive. Pour Philippe Pottier, enseignant chercheur à l'ENAP et anciennement éducateur en centre de détention, « il y a besoin, pour cela, d'espaces de parole sous forme d'entretiens individuels mais aussi de groupes et d'espaces culturels, d'expression. Or, paradoxalement, cet aspect de l'accompagnement est encore moins présent en milieu ouvert qu'en prison, car hors les murs les objectifs posés sont souvent quantitatifs, pressants, en termes d'insertion. »
Refusant d'être réduits à un mandat de « contrôle pénal général », les intervenants sociaux des SPIP et associations mandatées appellent de leurs vœux « une conception plus dynamique de l'exécution des peines de la part des juges d'application des peines », qui permette de faire évoluer, d'assouplir, d'adapter les parcours initialement prévus. « L'administration pénitentiaire propose des parcours de formation et de travail pré-formatés et peu de choses pour les personnes qui ne rentrent pas dans ces logiques programmatiques », reconnaît d'ailleurs Isabelle Gorce, qui prône le développement de parcours plus individualisés autorisant « le butinage ».
Reste à améliorer un partenariat parfois encore artisanal ou « mal assis » entre justice et monde associatif. La justice devra d'abord balayer devant sa porte : rigidités de l'administration pénitentiaire et méconnaissances mutuelles entre juges, administration pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse. En outre, certaines associations chargées notamment d'appliquer les mesures de médiation et de réparation dénoncent le flou des engagements et des rapports avec le ministère en matière de contractualisation, de contrôle, de compétences requises. La circulaire du 26 février dernier du ministère venant préciser le cadre de la politique associative de la justice (3) viendra-t-elle clarifier la situation ?
Au 1er janvier 2001, l'administration pénitentiaire comptait 47 837 personnes incarcérées et 141 697 personnes prises en charge en milieu ouvert. Avant la sanction, en alternative aux poursuites ou à la détention provisoire :
la médiation pénale (loi du 4-01-93 réformant le code de procédure pénale) ;
l'injonction thérapeutique (loi du 31-12- 70) ;
l'ajournement avec mise à l'épreuve ;
l'enquête sociale rapide (art.41 et 81 du code de procédure pénale et circulaire du 17-04-89) ;
le contrôle judiciaire socio-éducatif (loi du 17-07-70 ; circulaire du 28-12-70 ; circulaire du 4-08-82 et art. 137 du code de procédure pénale). Les sanctions alternatives à la prison et les aménagements de peine :
le travail d'intérêt général (art. 131-8 et suivants et art. 132-54 du code de procédure pénale) ;
le sursis avec mise à l'épreuve (art. 132-40 à 132-53 du nouveau code pénal) ;
le placement sous surveillance électronique (loi du 19-12-97) ;
le placement extérieur (art. 72 et D. 126 à D. 136 du code de procédure pénale) ;
la libération conditionnelle (art. 729 à 793 du code de procédure pénale) ;
la semi-liberté (art. 133-26, D. 137 et D. 138 du code de procédure pénale). Source : Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale.
Le partenariat semble, en tout cas, encore à construire et les fossés administratifs et culturels à combler. La difficulté, voire le plus souvent l'impossibilité pour les élèves assistants sociaux de réaliser leur stage en milieu pénitentiaire est à cet égard éloquente. « La réglementation pénitentiaire s'y oppose et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales ne reconnaissent pas toujours les centres de détention comme terrain de stage », explique Christian Chassériaud, directeur de l'Institut du travail social de Pau. Mais « le partenariat ne pourra se faire en dehors d'un partage de valeurs entre l'administration pénitentiaire et les intervenants sociaux sur la sanction et la conception des parcours d'insertion », estime Isabelle Gorce, qui invite les acteurs concernés à une réflexion sur le sujet à travers l'élaboration d'une nouvelle convention entre la FNARS et le ministère de la Justice.
Valérie Larmignat
(1) Journées d'étude « Sanction pénale et accompagnement », organisées les 7 et 8 mars 2002 à Agen, par la FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.
(2) SRAIOSP : 4, rue Ferrus - 75004 Paris - Tél. 01 44 32 72 33.
(3) Voir ASH n° 2254 du 15-03-02.