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L'alternance mise à mal par la difficulté à trouver des stages

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Dénoncée chaque année, la carence des terrains de stage pour les étudiants assistants sociaux perdure. Une situation qui remet en cause le fonctionnement de l'alternance et amène les écoles et les conseils généraux à développer des initiatives novatrices.

« Nous assistons depuis dix ans à une évolution de l'alternance, observe Dominique Susini, responsable de la commission assistants de service social du Groupement national des instituts de travail social. Le décalage entre la théorie et la pratique s'amenuise, car il y a une transmission de savoirs théoriques de plus en plus importante sur le terrain de stage et, inversement, les centres de formation deviennent des lieux d'apprentissage pratique, où l'on apprend le travail en partenariat. » Néanmoins, il est toujours aussi difficile pour les étudiants assistants sociaux d'obtenir un terrain de stage qui corresponde à leurs attentes et aux exigences de la loi.

En Ile-de-France, cette problématique n'est pas récente. Elle est au centre des préoccupations de l'Association des centres de formation d'assistants de service social d'Ile-de-France (1), qui regroupe les 12 écoles franciliennes. En province, les difficultés existent aussi avec une disparité dans les situations. « Dans les départements ruraux, ce sont les distances et les frais de déplacement qui poseront problème, et dans les régions urbaines, à l'instar de Paris, ce sera la présence de plusieurs centres de formation qui entrent en compétition pour trouver des terrains de stage », explique Dominique Susini.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'une pénurie générale car les offres de stages existent. Mais plutôt d'une inadéquation entre ces dernières et la demande. « Les étudiants trouvent toujours un stage, mais c'est souvent en catastrophe, loin de chez eux, et rarement dans un service qu'ils choisissent », déplore Brice Mendes, président du Mouvement national des étudiants et des travailleurs sociaux. Bien que l'alternance soit inscrite

dans l'arrêté du 16 mai 1980 (modifié) qui définit le contenu de la formation, force est de constater qu'elle reste le parent pauvre du cursus. Le temps de formation passé sur le terrain ne fait pas l'objet d'une note comptant pour l'obtention du diplôme. De plus, les étudiants trouvent souvent un stage dans l'urgence, ce qui rend le choix du terrain souvent illusoire, comme le souligne Philippe Mondolfo, enseignant chercheur à l'Institut universitaire technologique de Paris-XIII. « Finalement, nous nous débrouillons toujours, mais la qualité du contenu des stages n'est pas nécessairement au rendez-vous. Dans une enquête réalisée auprès de mes étudiants, seule la moitié obtenait satisfaction sur leur demande de stage de polyvalence. »

La formation comporte 14 mois d'apprentissage pratique répartis sur les trois années d'études. La difficulté principale pour les étudiants et les centres de formation est de respecter l'obligation d'effectuer au moins un stage de cinq mois en polyvalence de secteur. Celui-ci s'accomplit au sein des conseils généraux qui embauchent 40 % des 38 000 assistants de service social. Ils devraient accueillir 2 000 stagiaires par an pour faire face aux besoins. Ce qui est loin d'être le cas et les écoles ont recours aux dérogations. Pour résoudre ce problème délicat, une note de service de la direction générale de l'action sociale (DGAS) du 18 décembre 2001 (2) a étendu la possibilité d'effectuer le stage de polyvalence à d'autres services qui développent des méthodologies d'intervention similaires : action éducative en milieu ouvert, aide sociale à l'enfance, suivi du revenu minimum d'insertion, missions locales, accompagnement logement, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, centres communaux d'action sociale, dispositifs d'urgence sociale... « C'est une solution d'urgence motivée par l'absence des offres en polyvalence de secteur et qui ne tient pas compte des réalités de terrain. Elle n'a, a priori, pas résolu le problème », insiste Brice Mendes pour qui, « seule la valorisation statutaire du rôle des formateurs pourra faire évoluer les choses ».

Un statut pour les formateurs de terrain

Il semble bien que ce soit là que le bât blesse. Les décideurs locaux reprochent aux centres de formation de ne pas associer suffisamment les formateurs de terrain au cursus de formation, tandis que ces derniers blâment les départements de peu se mobiliser pour inciter les professionnels à accueillir des stagiaires. « L'arrêté de 1980 stipule que c'est un lieu qui est agréé comme site qualifiant, et non une personne. Cela signifie que les conseils généraux ont une mission de formation à remplir pour les stages de polyvalence, ce qui est loin d'être fait », poursuit Dominique Susini.

La question de la reconnaissance du statut de formateur de terrain reste entière. Si certains conseils généraux accordent des compensations financières ou un temps dégagé sur les horaires de travail des formateurs, la pratique est peu courante et l'accueil de stagiaires relève souvent du bénévolat et du militantisme. De plus, la majorité des formateurs n'a pas suivi la formation dispensée à cet effet dans les centres de formation initiale. Sans leur offrir la moindre évolution professionnelle ou financière, elle bloquerait leur droit à la formation pour plusieurs années. Ils ne pourraient donc pas envisager une formation qualifiante comme le diplôme supérieur en travail social. « Ne peut-on pas imaginer un statut qui englobe cette fonction avec des passerelles vers des postes d'enseignement ? », questionne Albert Klein, directeur de l'Institut régional du travail social  (IRTS) d'Aquitaine (3). D'autant plus que l'importance du turn- over sur les postes de polyvalence, la mise en place des 35 heures ou encore le travail en urgence concourent largement à ce déficit d'offre.

Des réponses apportées localement

Depuis plusieurs années, pour faire face à cette situation, certains centres de formation passent des conventions avec les conseils généraux ou organisent des bourses aux stages en contrepartie d'une période d'exercice due à l'institution, comme dans les Hauts-de-Seine. Seulement, ces pratiques induisent des logiques de concurrence entre les centres de formation, ainsi que le souligne Philippe Mondolfo. « Dans le Val-d'Oise, il est très difficile d'obtenir un stage si l'on n'est pas membre de l'Ecole pratique de service social de Cergy. Ce problème se retrouve dans les Yvelines car les départements arguent de leur convention pour légitimer leur refus. »

En province, les écoles développent aussi des actions partenariales avec les conseils généraux. L'IRTS d'Aquitaine ne se contente pas d'organiser des réunions d'information regroupant les stagiaires et les formateurs de terrain dans ses locaux, mais ses personnels se déplacent au sein des circonscriptions pour inciter les professionnels à accueillir des étudiants. Le conseil général du Doubs rémunère les stagiaires devant effectuer de longs trajets afin de régler les difficultés liées aux dépenses occasionnées. « Les étudiants qui sont en stage à plus de 20 km bénéficient de cette allocation. La démarche est intéressante pour les stagiaires, car ils seront nombreux, par la suite, à travailler en milieu rural et cela leur permet de découvrir ce cadre de travail », ajoute Dominique Susini, qui est également directeur de l'IRTS de Besançon. L'Ecole normale sociale de l'Ouest (4) a signé une convention avec le département de la Loire-Atlantique pour trouver le nombre de places suffisant. Mais selon Jacqueline Le Bail, sa directrice, les solutions globales passent par le décloisonnement de la polyvalence de secteur. « Il faut sortir de la logique : un étudiant pour un moniteur de stage-assistant social pour promouvoir la notion de site qualifiant. Ce n'est plus la spécialité professionnelle mais le service rendu qui doit définir l'intérêt du stage. La personne référente pourrait, par exemple, être un éducateur spécialisé. Nous aurions ainsi accès à des terrains de stage comme les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les missions locales, où nous envoyons peu d'étudiants, car il y a peu d'assistants sociaux susceptibles d'être référents. Faire un stage dans ces structures donnerait certainement l'envie d'y travailler. »

Par ailleurs, les évolutions récentes des politiques de la ville et les perspectives ouvertes par la loi de modernisation sociale qui mettent l'accent sur le partenariat interdisciplinaire pourraient inciter les départements à conduire une politique plus volontariste sur la question des stages. « Les assistants sociaux ont trop été cantonnés dans la relation de travail individuel. Aujourd'hui, avec la multiplication des intervenants,  il faut appréhender l'usager dans sa globalité, tout en prenant en compte son environnement et cela nécessite un partenariat avec d'autres professions que beaucoup d'assistants sociaux n'investissent pas », observe Jacques Ladsous, vice-président du Conseil supérieur du travail social. L'accueil de stagiaires, formés davantage au partenariat et à la prise en compte des territoires, pourrait, selon certains, favoriser l'évolution des pratiques.

La notion de territoire est d'ailleurs au cœur de la « charte de collaboration pour la formation initiale des assistants de service social », signée le 25 octobre 2000 par l'Association des centres de formation d'assistants de service social de l'Ile-de-France, les conseils généraux des départements franciliens et le centre d'action sociale de la Ville de Paris. L'objectif est de regrouper les offres et les demandes sur l'ensemble de la région, afin de permettre une meilleure adéquation de la formation aux besoins territoriaux. Martine Noalhyt, présidente de l'association, affirme : « Nous voulons nous attacher à promouvoir la notion de sites qualifiants. Dans la charte, c'est la construction d'un projet et non une personne qui est agréée comme terrain de stage. » La charte tente ainsi de clarifier les relations entre les acteurs en définissant très précisément les modalités du partenariat pédagogique terrain-centre de formation, de contractualisation et de suivi des stagiaires, d'initiation aux méthodologies d'intervention. Des grands principes destinés à être déclinés localement au travers de protocoles d'accord conclus avec chaque conseil général. Dès 2001, quelques stagiaires franciliens ont pu profiter du dispositif par le biais d'un partenariat avec la délégation interministérielle à la ville. Des élèves de l'Ecole normale sociale de Paris ont été en stage en binôme auprès d'un chef de projet et d'un responsable de circonscription. Il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan de l'initiative, mais selon Geneviève Crespo, déléguée régionale Ile-de- France de l'Association française des organismes de recherche en travail social, « il est plus structurant pour le stagiaire de suivre un projet de A à Z que de travailler sur plusieurs dispositifs, car la complexité de la polyvalence ne permet pas d'en saisir toutes les facettes ».

Mais, l'enjeu immédiat, au-delà de la sensibilisation des futurs professionnels à cette nouvelle dimension de l'action sociale, est de résoudre le manque des terrains de stage en polyvalence. Encore faut-il que la charte s'applique bien sur toute la région et concerne une majorité d'étudiants.

La question des stages appelle donc une mobilisation et une réflexion de l'ensemble des acteurs. D'autant que, l'ouverture programmée, dès la rentrée de septembre 2002, de 600 places d'assistants de service social exige que les besoins soient couverts pour mettre en œuvre l'alternance. La question devrait être abordée par le groupe de travail sur l'alternance dans les formations sociales qui devrait se mettre en place à la direction générale de l'action sociale conformément au schéma national des formations sociales. Elle sera aussi examinée dans le cadre de la réforme du diplôme d'Etat d'assistant de service social dont le groupe de travail a été, enfin, relancé.

Cédric Morin

Notes

(1)  Association des centres de formation d'assistants de service social d'Ile-de-France : C/o école de service social de la CRAMIF : 26, rue des Peupliers - 75013 Paris - Tél. 01 45 89 62 49.

(2)  Voir ASH n° 2243 du 28-12-01.

(3)  IRTS d'Aquitaine : 9, avenue François-Rabelais - BP 39 - 33401 Talence - Tél. 05 56 84 20 20.

(4)  ENSO : Unité pédagogique nantaise - 7, rue Charles- Perrault - 44400 Rezé - Tél. 02 40 84 04 85.

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