C hoc », « consternation », mais aussi « vigilance » et « mobilisation ». Les réactions du mouvement associatif devant les résultats du premier tour de l'élection présidentielle et la présence du candidat du Front national (FN) au deuxième tour continuent de converger (1), au nom même des valeurs associatives. « Le moment est important et solennel, estime Hubert Prévot, président de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA). La plupart de nos associations et la CPCA elle-même n'ont pas pour habitude ni vocation de prendre parti lors des élections politiques. Mais c'est la raison d'être de nos associations qui, depuis 100 ans, travaillent à créer une société démocratique ouverte, [...] permettant la participation de tous à la vie civique, qui est en cause. »
Chacune dans son secteur, les associations sont nombreuses à exprimer la même analyse. Ainsi, pour Jean-Michel Bloch-Lainé, président de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), elles « fondent leurs projets sur des valeurs partagées de primauté de la personne, de respect des différences, d'ouverture [...], de générosité, de lucidité. La xénophobie, le racisme, le mépris, le repli, la haine, la violence, voilà ce qui leur est étranger, voilà ce qui ne leur paraît pas français. » De même pour la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, dont l'action « repose sur des valeurs qui prônent la dignité de l'homme, favorisent la citoyenneté et l'accès au droit pour chacun [...] sans aucune exception ». Ou encore pour l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes (Unasea), dont le « combat est celui de la justice sociale, de l'humanisme et de la tolérance [...] consacré dans la devise républicaine “Liberté, Egalité, Fraternité” », qui exige de refuser toute compromission avec des positions de « stigmatisation [...] du fait de l'origine, de l'histoire, des appartenances culturelles ou de la situation sociale ». Le Secours catholique évoque « l'unité de la famille humaine » et des principes qui conduisent à dire « non à la préférence nationale, non au rétablissement de la peine de mort, non au repli sur soi ». « L'exclusion, loin de mettre fin aux violences, les nourrit et les multiplie », ajoute l'association Espoir à Colmar.
Dans son domaine d'action, l'Union nationale des associations familiales rappelle, par la voix de son président Hubert Brin, qu'elle a « toujours défendu l'ensem-ble des familles, françaises et étrangères », qu'elle « ne peut accepter plusieurs catégories de familles avec des droits différents », ni que « certaines d'entre elles soient désignées comme responsables de tous les maux de nos concitoyens ».
Le Mouvement français pour le planning familial refuse aussi un projet qui « privilégie les familles nombreuses françaises, abolit les droits des familles monoparentales », « enferme les femmes dans un statut de reproductrices » et les « renvoie à la maison ». Le Collectif national pour le droit des femmes s'inquiète tout particulièrement de la possible remise en cause des acquis de ces dernières années, notamment de la loi du 4 juillet 2001 sur l'avortement et la contraception. Celle-ci « peut être d'autant plus facilement balayée, précise- t-elle, que les décrets d'application ne sont pas tous parus et que les conditions matérielles d'application n'ont pas été créées ».
De son côté, l'Union nationale HLM rappelle « son attachement aux valeurs fondamentales de solidarité et de non- discrimination » qui l'amène à loger, « dans les mêmes conditions », « toute famille ayant besoin d'un logement en fonction de sa situation économique ou sociale ». Même son de cloche à la Fédération hospitalière de France et aux conférences des doyens, directeurs et présidents d'établissements sanitaires et médico-sociaux, qui soulignent « les règles inaltérables qui régissent le service public hospitalier :l'universalité, la lutte contre l'exclusion et la ségrégation, l'attention aux plus démunis ».
Pour sa part, Forum réfugiés refuse des « thèses incompatibles avec les droits de l'Homme et spécialement avec le droit d'asile et la protection des réfugiés », appelant à « redoubler de vigilance et de détermination pour que toute personne fuyant la persécution continue à pouvoir déposer une demande d'asile et que celle-ci soit étudiée avec toutes les garanties du droit ».
Nombre de gens du voyage « sont nés dans les camps d'internement de Vichy » et « savent ce que coûte un chef d'Etat d'extrême droite qui pratique une politique discriminatoire et raciste », note Marguerite Gille, présidente de l'Union nationale des institutions sociales d'action pour les Tsiganes. En refusant « les projets politiques qui s'appuient sur l'idéologie sécuritaire, l'intolérance vis-à-vis des manières de vivre de chacun [...], le développement de la haine et du mépris », elle incite les associations à informer les voyageurs de leurs droits, notamment civiques.
« Les électeurs handicapés ne peuvent oublier que le président du FN a déclaré un jour “qu'on aidait trop les handicapés” et préconisait leur “rejet dans les hameaux”, rappelle le Collectif des démocrates handicapés. Ce serait l'avant- dernière étape de notre disparition finale/sociale. » Une inquitéude partagée par l'Association nationale des parents d'enfants aveugles ou gravement déficients visuels avec ou sans handicaps associés, face « aux forces qui ont de tout temps prôné discrimination et exclusion de ceux qui ne sont pas “comme les autres” ».
En même temps que « l'appel à la haine » de l'étranger et le « rejet de l'autre », c'est « l'injustice sociale » du projet de l'extrême droite que dénonce la Ligue des droits de l'Homme. « Jean-Marie Le Pen prétend représenter les “petits” et les “sans-grade” », s'indigne-t-elle, en lisant dans son programme « l'épuration de la magistrature, mais aussi le démantèlement de la sécurité sociale, des impôts directs, du droit du travail. Derrière “les Français d'abord”, c'est “les privilégiés d'abord” », estime-t-elle.
Dénonçant également la volonté du Front national de quitter l'Union européenne « au profit d'un repli identitaire et protectionniste qui conduirait notre pays à l'isolement et à la régression », la CPCA rappelle que « le mouvement associatif français se mobilise pour une Europe plus généreuse et plus participative ».
Très nombreuses sont donc les associations qui, à l'instar de la CPCA elle- même, ont appelé à manifester pacifiquement le 1er mai et à « faire du deuxième tour un engagement citoyen pour les droits de l'Homme et les valeurs de la démocratie » en condamnant « toute velléité de s'abstenir ». Fonctionnant sur le principe de l'unanimité, la conférence n'est pas allée jusqu'à appeler à voter pour l'autre candidat (deux fédérations sur 15 ne souhaitant pas sauter ce pas), mais le message est clair, affirme Hubert Prévot. L'ensemble des membres du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep) s'est prononcé, lui, pour « le seul candidat républicain, Jacques Chirac ». De même que l'Uniopss, l'Unasea, la Fédération nationale de la mutualité française, le Planning familial, la Fédération des malades et handicapés. Ou encore le Syndicat national employeur des centres sociaux et associations de développement social local et le Syndicat national des cadres du secteur sanitaire et social CFE-CGC. « Le débat n'est pas de choisir entre des partis, mais [...] entre la démocratie et le fascisme », tranche la fédération Coorace (Comités et organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi).
Au-delà du 5 mai, nombreuses sont aussi les associations à appeler à la poursuite de la mobilisation. La CPCA fera des propositions avant les législatives et interpellera tous les candidats sur la place faite « aux acteurs de la vie associative qui créent des liens sociaux et développent la citoyenneté participative ». Non sans s'interroger elle-même sur l'actuel déficit en la matière. C'est aussi « l'importance du mécontentement des citoyens, particulièrement des plus modestes », qui explique l'abstention et les résultats électoraux, insiste la Confédération nationale du logement. « L'insécurité sociale n'a fait l'objet d'aucun débat », pointe le collectif Chrétiens contre la précarité, en évoquant la pauvreté et l'exclusion. « Ce fossé grandissant entre les habitants d'une même ville [...] et d'un même pays n'a aucun caractère inéluctable : le combattre est une priorité pour tous », juge Profession ban-lieue. « Il est urgent d'agir autour de valeurs collectives, plaide la Confédération nationale des foyers ruraux, de créer ou de recréer de solides liens sociaux, d'instituer d'authentiques lieux de parole et de faire en sorte que nul ne se sente en France écarté de la République. »
M.-J. M.
(1) Voir les premières réactions, ASH n° 2260 du 26-04-02.