« “Malaise dans le travail social” ; “les professionnels en panne de représentation” ; “quel avenir pour les professions sociales et leurs associations professionnelles ?”... Autant d'interrogations et d'analyses qui se multiplient dans notre secteur d'activité. Elles témoignent de l'inquiétude profonde des travailleurs sociaux quant à la reconnaissance tangible de leur place et de leur rôle au sein de notre société.
Pourquoi un tel enjeu identitaire pour les acteurs professionnels de l'intervention socio-éducative et, plus généralement, pour le travail social dans une société pourtant développée sur un modèle démocratique dont la dimension sociale est affirmée constitutionnellement ?
La réponse est à chercher dans le paradoxe étonnant des attentes contradictoires de la collectivité vis-à-vis des travailleurs sociaux. Au moment même où la fonction symbolique du travail social de prise en compte des laissés-pour-compte du développement économique se double d'une attente de médiation sociale indispensable à la lutte contre l'exclusion, le champ du politique semble de plus en plus étranger et distant, dans ses préoccupations, des professionnels du social. La présente campagne d'élection à la présidence de la République est le parfait exemple d'une incommunicabilité durable entre décideurs politiques et travailleurs sociaux. La complexité des rapports humains et des phénomènes sociaux nécessaires à appréhender pour traiter sérieusement de l'insécurité, de l'exclusion ou de l'expression citoyenne ne fait pas recette. On ne propose pas de renforcer les moyens et les dispositifs déjà existants et souvent pertinents ; on préfère additionner les recettes simplistes à plus-value électoraliste !
Conscients de l'incohérence que représente la mise à distance du travail social vis-à-vis du registre politique, nous avons été nombreux à promouvoir, à travers la constitution d'un mouvement de professionnels et citoyens, un autre type de positionnement :la remise en cause d'une prétendue neutralité technique de l'acte professionnel en travail social ; la défense d'une légitimité des acteurs sociaux à faire valoir une critique sociale appuyée sur leur propre capacité d'expertise ; le plaidoyer pour un véritable engagement professionnel prenant en compte les enjeux de citoyenneté et de démocratie... Nous considérons, aujourd'hui, pour les mêmes raisons, que la responsabilité actuelle des organisations représentatives des travailleurs sociaux est de promouvoir une culture professionnelle recentrée sur les enjeux démocratiques de notre société.
Cette responsabilité apparaît prioritairement du registre du politique ! Il faut entendre par là que la responsabilité des organisations professionnelles qui emploient, ou qui représentent les acteurs professionnels de l'intervention éducative et sociale, est d'assumer la fonction politique du travail social dans notre société : agir, en produisant de l'expertise technique, sur les processus démocratiques ;accompagner l'exercice d'une citoyenneté active pour les individus les plus fragilisés ; garantir l'émancipation des personnes dans le cadre d'une société solidaire.
Accepter de travailler collectivement les enjeux du travail social autour d'une fonction politique à la fois symbolique et concrète de vigilance démocratique, permettrait à chacun des acteurs de coordonner leur responsabilité réciproque :
Les structures employeurs ont à réfléchir à la notion d'institution trop souvent banalisée. De quels dispositifs doivent-elles se doter pour garantir le sens des pratiques et des missions ?Quels sont leurs référentiels en matière d'éthique et de projet de société ? En quoi sont-elles instituantes d'une posture professionnelle constamment à ré-interroger ?
Les organisations professionnelles structurées autour de la reconnaissance de diplômes ou de missions peuvent utilement s'interroger sur les conditions d'une reconnaissance des professionnels du secteur dans notre société complémentaire à celle des métiers et de la technicité des pratiques. Cette reconnaissance peut-elle s'appuyer sur la fonction de médiation sociale et d'accompagnement à la citoyenneté ?
Les mouvements et collectifs de travailleurs sociaux dits “citoyens” sont confrontés, quant à eux, à la question de l'engagement professionnel. Comment rendre compatible l'engagement et le militantisme avec l'identité professionnelle ? La vigilance démocratique et le souci éthique peuvent-ils se développer dans le respect des références institutionnelles ?
Nous considérons que cet ensemble coordonné de réflexion et de re-positionnement des acteurs professionnels du travail social peut s'appuyer, aujourd'hui, sur une action collective des organisations du secteur.
Concrètement, nous avons su ces dernières années agréger autour d'Education et société une dynamique largement décloisonnée et partenariale de mise en débats publics des grandes orientations des politiques sociales. De nombreuses organisations professionnelles se sont associées à cette démarche en investissant collectivement un espace de réflexion, d'analyses et de prises de position que nous avons intitulé “Groupe de réflexion sur le travail social et la démocratie”.
Il s'agit aujourd'hui d'aller plus loin dans une approche pragmatique préfigurant ce qui pourrait faire socle à une confédération des organisations représentatives des acteurs professionnels du social :nous proposerons dans les mois qui viennent des rencontres du social visant à la mise en place d'une conférence permanente des organisations professionnelles du secteur sur la responsabilité démocratique du travail social. »
Bernard Cavat Directeur d'association, vice-président du groupement Education et société : 116, rue de la Classerie - 44000 Rezé -Tél. 02 40 75 44 55 -