Mal-être et tensions sociales, empoignades et surenchères politiques : est-on vraiment fondé à se focaliser ainsi sur l'insécurité ?Il est vrai qu'en dehors même de toute polémique, le défaut d'informations plurielles et fiables représente un obstacle de taille à toute réflexion soucieuse de prendre une plus exacte mesure de la réalité. Aussi la remise à plat des connaissances sur la délinquance et l'insécurité que proposent les chercheurs réunis autour de Laurent Mucchielli et Philippe Robert est-elle salutaire. Véritable boîte à outils permettant de mettre en questions la vulgate généralement disponible, cet « état des savoirs sur le crime et la sécurité » constitue une mine, synthétique, claire et pédagogiquement exposée. Evolutions de la loi pénale et des régulations attendues de la justice, variété des comportements délinquants, rôle des différents acteurs amenés à concourir au repérage des faits et à la mise en œuvre de sanctions : sous le feu croisé des contributions présentées, présupposés ou préjugés, arguments et certitudes les plus souvent avancés se trouvent éclairés et remis en perspective. Bien sûr, comme le souligne Philippe Robert à propos du sentiment d'insécurité, il est toujours malaisé de transformer en sujets de recherche des notions participant du sens commun, surtout lorsqu'elles font l'objet de controverses enflammées. C'est pourquoi l'histoire et la sociologie sont utilement mises à profit pour analyser tant les grandes tendances de la délinquance que la manière dont s'en saisit le débat public. Ainsi l'émergence de la préoccupation sécuritaire est-elle assez précisément datée : elle fait suite, dans la deuxième partie de la décennie 70, à la polarisation des esprits sur les risques d'importation d'un terrorisme maoïste d'une part, sur les mouvements sociaux de l'autre (Larzac, Lip, procès de Bobigny et répression de l'avortement, régionalismes breton et occitan...). Il n'y avait guère de place, alors, pour l'agression ou la prédation. Les changements de registres, conduisant à la redéfinition des options politiques, sont analysés par plusieurs chercheurs. Maryse Esterle-Hedibel pointe, par exemple, le tournant formé, dans les années 90, par l'irruption du péril jeune qui évacue les problèmes sociaux des banlieues paupérisées, et Francis Bailleau la tendance, qui n'est pas seulement hexagonale, à réévaluer la responsabilité des mineurs au détriment de leur éducabilité.
En aval mais aussi en amont des processus formels de constitution de la délinquance, les logiques de prise en charge de « l'enfance en danger de devenir dangereuse » ne sont pas elles-mêmes dénuées d'effets pouvant s'avérer pervers. C'est l'un des enseignements du travail sur l'itinéraire de trois mineurs que présente Cécile Carra dans Délinquance juvénile et quartiers « sensibles ». Initialement membres de la même bande, Slimane, Farid et Kamel ont suivi des cheminements qui deviendront divergents :multirécidiviste, le premier est le seul à avoir persévéré dans une carrière délinquante ; le deuxième a bifurqué pour entrer dans une marginalité assistée lui permettant, à la fois, d'accéder à une reconnaissance sociale et à des aides ; le troisième, enfin, s'est progressivement engagé dans la voie de l'insertion professionnelle. Recoupant les témoignages des principaux acteurs impliqués dans ces trois « histoires de vie » (parents, enseignants, travailleurs sociaux de secteur, de prévention spécialisée, du service éducatif auprès du tribunal, notamment), Cécile Carra interroge avec finesse l'incidence qu'a pu avoir leur intervention sur le parcours des intéressés pour repérer les mécanismes de production de la délinquance et les contextes favorables au changement.
Objets et sujets de mises en scène médiatiques, dans un jeu d'instrumentalisation réciproque dont le sociologue Guy Lochard analyse l'évolution à la télévision, les jeunes de banlieue peuvent aussi, pour peu qu'ils en aient l'occasion, devenir critiques de ces représentations et construire d'autres discours sur eux-mêmes et leur milieu. Utilisant le théâtre ou la vidéo, de telles expériences, réalisées en France et au Brésil, sont ainsi relatées dans Images et discours sur la banlieue.
Crime et sécurité, l'état des savoirs - Sous la direction de Laurent Muchielli et Philippe Robert - Ed. La Découverte - 24,50 € . Délinquance juvénile et quartiers « sensibles ». Histoires de vie - Cécile Carra - Ed. L'Harmattan -18,30 € . Images et discours sur la banlieue - Sous la direction de Marilia Amorim -Ed. érès -21 € .