Comment mieux répondre aux pro- blèmes de santé mentale des personnes et faciliter la coopération des acteurs sanitaires, sociaux et médico- sociaux ? Deux rapports, inscrits dans le droit-fil des orientations définies dans le plan d'action en santé mentale présenté en novembre dernier (1), formulent une série de recommandations axées sur la nécessité de décloisonner les pratiques, de mieux associer l'usager et de travailler en réseau. Sachant que le Conseil supérieur du travail social, dont la date d'installation de la nouvelle équipe n'est pas encore connue, doit également réfléchir à la place des professionnels du social dans le champ de la santé mentale (2).
« Il convient de mettre en place résolument un mode de fonctionnement participatif décloisonné et citoyen pour l'ensemble des partenaires concernés par la santé mentale des Français. La philosophie est la démocratie sanitaire, l'outil est le réseau », écrit le docteur Jean-Luc Roelandt dans son rapport sur « la démocratie sanitaire dans le champ de la santé mentale », rendu public le 18 avril. Commandé par Bernard Kouchner dans le prolongement du premier rapport « de la psychiatrie vers la santé mentale » (3), ce document explore les pistes permettant de renforcer la place des usagers dans le champ de la santé mentale et d'améliorer le partenariat entre les acteurs.
S'il relève l'existence du nouveau cadre d'expression des usagers - en particulier la possibilité pour les associations de malades de se faire agréer introduite par la loi du 4 mars 2002 (4) -, le rapport invite à tenir compte de la spécificité des associations d'usagers de la santé mentale : notamment, la présence prépondérante des associations de familles et le faible développement des associations d'usagers-patients. Au-delà, Jean-Luc Roelandt souhaite pérenniser le financement des associations et assurer la représentation des usagers dans les conseils de service des secteurs de psychiatrie. Pour les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile, il estime que la médecine scolaire, le médico-social, la protection judiciaire de la jeunesse ainsi qu'un psychiatre devraient intégrer ce conseil.
Quant au travail en réseau, s'il est désormais reconnu par les textes, il reste insuffisamment investi par les professionnels et les usagers. Les conseils de secteur, préconisés par le législateur il y a 30 ans pour favoriser la coordination des partenaires, sont peu nombreux. Et, selon le médecin, les secteurs de psychiatrie restent encore trop hospitalocentriques. Très peu de véritables réseaux en santé mentale se sont concrétisés depuis 1999. Les initiatives sont souvent informelles et les plus intéressantes en termes de santé publique sont celles dans lesquelles les élus sont fortement impliqués. Souvent partiel, mais néanmoins considérable pour ses promoteurs, ce travail d'ouverture reste malheureusement peu valorisé.
Comment décloisonner les pratiques ? Le document formule plusieurs recommandations pour mettre en place les contrats pluriannuels de santé mentale entre les préfets, les directeurs des agences régionales de l'hospitalisation et les élus locaux. Prévus par le plan gouvernemental pour la santé mentale, ceux-ci devaient être intégrés dans une prochaine loi sur la santé mentale, devenue aujourd'hui hypothétique.
Toutefois le rapport souhaite aller plus loin en développant le partenariat au niveau du bassin de santé ou du territoire pertinent ainsi qu'au plan communal ou intercommunal. Enfin, il émet quelques propositions concrètes de décloisonnement des pratiques.
Comment les métiers doivent-ils évoluer pour favoriser le partenariat en santé mentale ? C'est cette question qu'a examinée le groupe de travail constitué à la direction générale de la santé (DGS) (5) dans le cadre du suivi du volet psychiatrie des protocoles relatifs à l'hôpital des 13 et 14 mars 2000 conclus entre certaines organisations syndicales et le gouvernement. Et dont les travaux, que les ASH ont pu se procurer, pourraient donner lieu à une circulaire d'orientation sur les pratiques professionnelles en santé mentale. Sachant qu'un autre groupe de travail animé par la direction des hôpitaux et de l'offre de soins réfléchit à « l'évolution de l'organisation du fonctionnement de l'offre de soins en psychiatrie pour répondre aux besoins en santé mentale ».
Objectif du groupe de travail de la DGS ? « Améliorer la prise en charge des difficultés liées à une souffrance psychique ou un trouble mental avéré, en s'attachant à la personne qui souffre et à ses besoins. » Pour cela, il préconise une approche par compétences et non par métiers, identifiant trois niveaux d'intervention complémentaires : les intervenants spécialisés en psychiatrie (équipes de secteur, psychiatres et psychologues libéraux), les professionnels de soins primaires (médecins, équipes thérapeutiques des centres de soins...), les intervenants de première ligne auprès de personnes en difficulté psychique ou atteintes de troubles mentaux (travailleurs sociaux, associations, dispositifs d'accueil et d'écoute...). Le groupe veut « impulser un réel travail en réseau » fondé sur des échanges interprofessionnels inscrits dans la durée, grâce à l'institution d'une instance locale de régulation des pratiques soignantes et sociales (impliquant également des professionnels libéraux et des représentants des familles et usagers). En outre, il propose de faire émerger une fonction de « technicien réseau » pour aider à leur mise en place.
Le rapport décline ensuite des principes généraux relatifs à chaque niveau d'intervention, précisant chaque fois quel doit être le rôle des professionnels spécialisés du champ sanitaire, des professionnels de soins primaires et des intervenants de première ligne en matière de prévention, d'urgence et de soins. Le rapport préconise notamment une coordination des interventions du secteur de psychiatrie en matière de prévention. Pour la majorité du groupe du travail (certains membres y étant opposés), il s'agirait de définir une fonction de « coordinateur de prévention » qui proposerait, en concertation avec l'équipe, un programme d'interventions et assurerait sa mise en œuvre. Tâche qui, au vu d'expériences de terrain menées en ce sens, pourrait être confiée à un assistant de service social ou à un psychologue. Le groupe de travail suggère également de regrouper ces coordinateurs en équipe intersectorielle au sein d'un même département. Autre souhait : renforcer l'accueil dans les plus brefs délais des personnes malades dans les secteurs de psychiatrie et en libéral. La commission demande ainsi d'augmenter les permanences d'ouverture des centres médico-psychologiques et de confier cette fonction d'accueil à des infirmiers de secteur psychiatrique. Voire d'instituer des services d'accueil et d'évaluation dans les hôpitaux généraux hors des services d'urgence. Par ailleurs, il est suggéré de mettre en place des protocoles de fonctionnement des équipes afin de mieux distribuer le rôle de chacun. Et, en cas de prise en charge de patients atteints de pathologie lourde, d'identifier une fonction de « professionnel référent du soin au long cours » qui pourrait être confiée à une équipe associant des professionnels libéraux et de secteur. Enfin, le groupe souhaite voir développer la présence des intervenants spécialisés (publics ou libéraux) dans les institutions médico- sociales pour assurer la complémentarité des prises en charge sanitaire et sociale.
S'il faut développer le partenariat entre le sanitaire et le social, pas question néanmoins de mélanger les genres. Le rapport est très ferme sur ce point : « Il est essentiel de distinguer dans le champ de la prévention, ce qui est de l'ordre du fait psychique et ce qui relève du fait social. » « Dans certaines situations, des facteurs de résilience tenant à l'environnement social contribuent à la prévention de la souffrance psychique, voire de la maladie mentale, au même titre qu'un soin », expliquent les auteurs, insistant sur la nécessité de favoriser les échanges entre personnels sociaux et spécialisés en psychiatrie sans vouloir transformer les premiers en thérapeutes. Par contre, le groupe de travail souligne l'importance d'offrir, lors des prises en charge sociales, « un cadre adéquat à l'expression des difficultés psychologiques » des personnes accueillies et le rôle essentiel des psychologues.
Par ailleurs, « la compétence des intervenants de première ligne pour l'accompagnement des personnes atteintes de troubles mentaux doit être amplifiée », estime le rapport, voyant dans ce travail « un temps pré-thérapeutique » d'élaboration progressive d'une demande de prise en charge par la personne elle-même. Pour faire alterner ou coexister, chaque fois que c'est nécessaire, des phases coordonnées de prise en charge sanitaire ou sociale, les auteurs recommandent que le thérapeute chargé du suivi crée « un cadre thérapeutique » associant l'équipe pluriprofessionnelle du secteur et les intervenants du champ social. Le rapport met en avant la nécessité que ces intervenants soient soutenus (grâce à un travail de supervision) par les professionnels spécialisés.
Autant d'orientations qui passent, entre autres, par l'ouverture des formations et notamment la mise en place de modules communs aux différents métiers. Mais aussi, par « une politique active » de renforcement des moyens de la psychia- trie générale et infanto-juvénile et par un partenariat entre les différentes institutions au niveau local.
(1) Voir ASH n° 2237 du 16-11-01.
(2) Voir ASH n° 2232 du 12-10-01.
(3) Voir ASH n° 2222 du 6-07-01.
(4) Voir ASH n° 2251 du 22-02-02.
(5) Sur « l'évolution en santé mentale : recommandations relatives aux modalités de prise en charge de la souffrance psychique jusqu'au trouble mental caractérisé ».