La montagne aurait-elle accouché d'une souris ? Il semblerait, au regard des réserves qu'a d'ores et déjà suscité le document de la Commission nationale pour l'autonomie des jeunes remis le 13 avril au gouvernement (1). Des critiques qui émanent d'ailleurs surtout d'organisations ayant participé à ses travaux et qui ne se reconnaissent pas dans le texte final. Ainsi, l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) évoque une « occasion man- quée » et un rapport « sans ambition ». Pour la Fédération des mutuelles de France (FMF), « la commission est passée totalement à côté de son sujet » et son rapport « ne répond ni à la hauteur de l'enjeu ni à l'urgence de la situation ». « Misérables rustines », renchérit Agir ensemble contre le chômage (AC !). Et certains n'hésitent pas à dénoncer, à l'exemple de la CGT, la « pression du ministère du budget qui, par son diktat sur la “nécessaire” maîtrise des dépenses publiques, a pesé en permanence sur les travaux de la commission », contribuant à « niveler par le bas toutes les propositions novatrices ».
La déception paraissait, cependant, difficilement évitable, tant c'est le lot commun des larges instances de concertation - la commission présidée par Jean-Baptiste de Foucauld compte 72 membres (2) - de produire des résultats qui ne satisfont véritablement personne. Surtout lorsque le sujet est propice aux polémiques. L'autonomie des jeunes constitue en effet, depuis de nombreux mois, une « patate chaude » que les pouvoirs publics ne se résolvent pas à saisir à pleines mains, effrayés par la perspective de dépenses importantes, mais également par de fortes oppositions idéologiques entre les tenants de la « familialisation » des aides et les partisans de leur individualisation. Alors que la question des jeunes adultes devait être le dossier prioritaire de la conférence de la famille en 2001, le gouvernement a renoncé à instaurer une allocation autonomie et concentré ses efforts sur l'accès au logement. La création de la commission elle-même, votée le 4 juillet dernier à la suite d'une proposition de loi communiste, a pu être perçue comme une démarche dilatoire permettant de repousser les décisions. D'autant plus que divers travaux, notamment du Commissariat général du Plan et du Conseil économique et social (3), étaient déjà venus explorer la question.
Que propose la commission pour la génération actuelle des jeunes adultes qui « se distingue des générations précédentes, à la fois par un allongement massif de la durée des études[...] et par des conditions d'accès au marché du travail plus chaotiques », ce qui accroît leur dépendance financière vis-à-vis de la famille ? Son projet s'inscrit dans le cadre général d'une « autonomie responsable et solidaire ». Responsabilité et solidarité doivent s'exprimer, insiste le rapport, entre la collectivité et les jeunes, mais aussi entre les familles et les jeunes « pour conduire dans de bonnes conditions cette progression vers l'autonomie qui diminue la dépendance sans dissoudre les liens », entre les jeunes eux-mêmes, « ce qui conduit [...] à ne pas mettre sur le même plan la situation d'un jeune sans formation ni emploi ni revenu et le désir d'autonomie résidentielle choisie d'un jeune étudiant ou d'un jeune adulte ayant un emploi stable » et, enfin, entre le système productif et institutionnel et les jeunes. Il convient aussi, souligne le document, de placer la jeunesse « au cœur de la rénovation du contrat social », notamment par la mise en place de l'éducation-formation tout au long de la vie, le retour au plein emploi, « priorité fondamentale », et une répartition plus claire et efficace des compétences de l'Etat, des collectivités locales, des partenaires sociaux et des jeunes eux-mêmes pour les questions qui les concernent.
En 2000, hors dépenses éducatives et hors dépenses des collectivités locales, les aides publiques en direction des 16-25 ans s'élevaient à l'équivalent de 15,5 milliards d'euros. Plus de la moitié (7,9 milliards d'euros) sont destinées à favoriser l'insertion professionnelle : contrats emploi-solidarité, emplois-jeunes, programme TRACE... Environ un tiers (4,4 milliards d'euros) sont constituées de prestations familiales et sociales ou d'aides fiscales pour les familles (quotient familial, réduction d'impôts pour frais de scolarité, déduction de pension alimentaire). S'y ajoutent les aides au logement (1,5 milliard d'euros) et les bourses d'études (1,7 milliard d'euros) versées aux lycéens et aux étudiants.
Concrètement, la commission propose un « compromis évolutif en deux étapes ». La première, portant sur les cinq prochaines années, ne remet pas en cause, pour l'essentiel, les aides sociales et fiscales actuelles aux familles. Elle s'articule autour de cinq actions prioritaires. D'une part, reconfigurer le service public de l'orientation, par le développement de niveaux territoriaux ouverts à l'ensemble des partenaires (système éducatif, parents, collectivités locales, entreprises, représentants des jeunes...). Il faut aussi « rendre effectif le droit des jeunes à une expérience professionnelle et à un emploi » en donnant plus de cohérence, de lisibilité et d'efficacité aux dispositifs d'insertion professionnelle et d'aides à l'emploi. Ainsi, « le principe serait posé que chaque jeune doit pouvoir accéder à une formation en alternance ou à un emploi », et l'Etat, les régions, les partenaires sociaux et les grands réseaux associatifs davantage mobilisés « pour qu'aucun jeune ne se trouve sans proposition précise ». Les aides publiques devraient quant à elles être ciblées « en fonction inverse du degré de qualification [...] et non plus en fonction des dispositifs utilisés ». Troisième axe, l'institution d'une allocation unique de formation bénéficiant à la fois aux lycéens et aux étudiants, qui viendrait se substituer au système « relativement complexe et opaque » des bourses. Elle serait accordée, comme celles- ci, en fonction des ressources des familles, et n'empêcherait pas non plus le versement des prestations familiales. Mais son barème serait unique pour les étudiants et les lycéens et les plafonds de revenus y ouvrant droit revalorisés de 25 %. Cinq annuités de cette allocation de formation pourraient, si elles n'ont pas été versées entre 18 et 25 ans - par exemple parce que le bénéficiaire potentiel a travaillé -, être reportées dans le temps, constituant ainsi, quatrième priorité, une « contribution de la collectivité à l'éducation tout au long de la vie ». Enfin, la commission plaide, dans cette première étape, pour l'extension du programme TRACE, qui « devrait à terme pouvoir accueillir 150 000 jeunes », et, en amont de ce dispositif, pour la mise en place d'un « revenu contractuel d'accès à l'autonomie » pour les jeunes « qui sont dans des situations telles que leur entrée dans un processus d'insertion professionnelle est problématique ». Ce revenu, de l'ordre de 380 € par mois, serait versé pendant six mois, renouvelables une fois, en contrepartie d'un engagement à suivre un parcours menant à la formation ou à l'emploi.
La plupart de ces mesures ont été en général bien accueillies, car considérées comme des améliorations des aides existantes. Avec quelques nuances toutefois. Ainsi, le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d'éducation populaire (Cnajep) regrette que la contractualisation intervienne seulement pour ceux qui n'entrent dans aucun autre cadre. « Pourquoi demander plus en termes d'engagement et de résultat à ceux qui, finalement, sont dans la situation la plus incertaine et la plus inégalitaire ? » La CGT craint, quant à elle, que le report de cinq annuités de l'allocation de formation ne permette de « faire l'économie d'une formation initiale de base solide permettant l'accès à un premier emploi qualifié ». Surtout, la plupart des critiques, comme celles formulées conjointement par l'UNEF, la FMF, la Fédération syndicale unitaire (FSU), la Mutuelle des étudiants, SOS racisme, la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) et l'Union nationale des lycéens (UNL), portent sur le maintien du « jeune adulte, pourtant majeur civilement, en situation de minorité sociale », du fait de l'adossement de l'allocation aux ressources familiales et non à celles du jeune. Autre reproche : « Nous ne comprenons pas comment on peut parler d'un système incohérent, illisible et injuste socialement pour ensuite ne faire que des propositions qui s'inscrivent dans ce système », explique l'UNEF . Une critique que les rapporteurs avaient par avance désamorcée en avançant que « la complexité résulte du souci d'être équitable et de s'adapter à la diversité des situations individuelles ».
Est-ce pour cette raison que la commission semble marcher sur des œufs en présentant la seconde étape de son « compromis » : axée sur l'individualisation des aides, elle consisterait à généraliser l'allocation de formation en l'attribuant à tous les jeunes en formation selon leurs ressources propres. Leurs parents ne bénéficieraient plus des prestations familiales, du quotient familial, ni de la déduction de pension alimentaire. « Cela suppose que les inégalités les plus criantes aient pu être préalablement réduites, en particulier que la situation de l'emploi des jeunes ait été considérablement améliorée », préviennent les rapporteurs. Autre condition posée : que les mécanismes d'éducation et de formation tout au long de la vie aient été mis en place par les partenaires sociaux. La commission propose d'ailleurs une évaluation dans cinq ans pour apprécier si les conditions de passage à la seconde étape sont réunies. Passage qui ne pourrait faire l'économie d'une « large concertation », « le principe et le contenu de cette deuxième étape ne faisant pas consensus à ce stade ».
On le croit volontiers au vu des réactions. Ainsi la CFTC et FO se montrent-elles réservées sur la généralisation de l'allocation de formation sans condition de ressources des parents, craignant en substance un délitement des liens familiaux. Il en va de même pour le conseil d'administration de la CNAF, pour qui les mesures de la deuxième étape non seulement sont « susceptibles de fragiliser les solidarités familiales », mais risquent également d'être « inutilement coûteuses ». Ce que ne conteste pas le rapport, pointant un « coût supplémentaire important pour les finances publiques avec un effet redistributif faible dans les conditions actuelles » (4). D'autres, à l'inverse, lui reprochent de manquer d'audace en remettant à plus tard l'éventualité d'une réforme en profondeur en la « soumettant à la réalisation de conditions économiques et sociales très aléatoires », déplorent ensemble l'UNEF, la FMF, la FSU, la Mutuelle des étudiants, SOS racisme, la FIDL et l'UNL. Lesquelles se demandent si ce rapport n'est pas finalement « très en retrait sur l'évolution du débat dans la société », « à l'heure où les acteurs du mouvement social, sociologues et politiques avancent de plus en plus nombreux l'idée d'une allocation d'autonomie ».
Céline Gargoly
Parallèlement aux deux étapes, la commission propose d' « agir simultanément sur les leviers de l'autonomie ». Notamment en traitant « de façon prioritaire » les sorties du système scolaire sans qualification ; en développant l'offre de logements pour les jeunes et en facilitant leur entrée dans un logement, par un assouplissement à court terme des conditions d'accès au Loca-pass, et, à moyen terme, en réfléchissant à la mise en place d'un dispositif généralisé de solvabilisation, dans l'esprit de la couverture logement universelle. Elle préconise également de « soutenir l'indépendance matérielle et financière des jeunes », entre autres par une révision à la hausse de la rémunération des contrats en alternance et des stages de la formation professionnelle et par une amélioration de la couverture sociale des jeunes, en particulier l'indemnisation de leur chômage.
(1) « Pour une autonomie responsable et solidaire » - Rapport au Premier ministre - Commission nationale pour l'autonomie des jeunes - Avril 2002.
(2) Parlementaires, élus locaux, représentants des partenaires sociaux, des associations de chômeurs, des mutuelles, de la caisse nationale des allocations familiales, du conseil national de la jeunesse, des organisations étudiantes et lycéennes, des fédérations de parents d'élèves et personnes qualifiées.
(3) Sur le rapport du Plan, voir ASH n° 2204 du 2-03-01, et sur l'avis du Conseil économique et social, voir ASH n° 2208 du 30-03-01.
(4) Alors que la première phase se ferait presque à coût constant, avec une « marge de manœuvre financière de l'ordre de 2 milliards d'euros », qui pourraient être trouvés « par redéploiements internes », « par une contribution accrue des régimes sociaux » et « par la recherche de recettes supplémentaires », comme la suppression de certains avantages fiscaux.