Huit ans après la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale des personnes détenues (1) et à quelques jours seulement des échéances électorales, Bernard Kouchner et Marylise Lebranchu ont présenté, le 16 avril, un programme pour l'amélioration de la prévention et de la prise en charge sanitaire des personnes détenues, au cours d'une conférence de presse troublée par les militants d'Act Up (2). Avec une ligne force : « Améliorer l'accessibilité et la qualité des soins aux personnes détenues tant en ambulatoire que sous le régime d'hospitalisation, pour les soins primaires comme pour les consultations spécialisées, pour les soins somatiques et psychiatriques. » « Ambitieux » dans ses enjeux, ce plan d'action reste pour le moins flou dans sa mise en œuvre. D'autant qu'aucun chiffrage financier n'a été donné et qu'il s'appuie sur une réforme de la loi pénitentiaire désormais hypothétique (3).
C'est sur la base du constat - parfois alarmant -dressé par un rapport conjoint des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales de juin 2001, seulement rendu public à cette occasion, que ce plan d'action a été élaboré. Etalé sur 2002-2005, il se décline autour de plusieurs thèmes :l'hygiène et les conditions de vie, l'offre de soins somatiques, les maladies chroniques, la santé mentale, la prévention du suicide, la prise en charge des auteurs d'infractions sexuelles, les addictions, la prévention du sida et des hépatites, le vieillissement et la fin de vie.
Au premier chef, il préconise de développer l'offre de soins. Ce, par un renforcement des unités de consultations et de soins ambulatoires. S'agissant de l'accès aux services de santé, la généralisation de bons devrait également permettre de contourner la demande de consultation médicale qui se fait actuellement par écrit. Un obstacle pour les détenus non francophones, illettrés ou faiblement scolarisés.
Mais c'est dans le domaine de la santé mentale que l'inadéquation entre le cadre carcéral, l'offre de soins et la pathologie est la plus criante, relève le gouvernement. Pour y remédier, il propose que l'agence régionale de l'hospitalisation analyse les besoins de santé mentale de la population détenue dans chaque région et élabore une réponse intersectorielle incluant les services médico-psychologiques régionaux, les secteurs de psychiatrie générale et ceux de psychiatrie infanto-juvénile. Outre une « réforme d'envergure » de l'hospitalisation pour motif psychiatrique des détenus, qui doit intervenir dans le cadre de l'éventuel projet de loi pénitentiaire, le plan indique que dix unités spécifiques- unités hospitalières sécurisées - devraient être créées permettant de recevoir les personnes détenues hospitalisées avec ou sans leur consentement. D'une capacité de 25 lits, elles devraient représenter un coût d'investissement de 13 millions d'euros et un budget de fonctionnement estimé à 26,30 millions. Parallèlement à la réorganisation des services ambulatoires et d'hospitalisation, la qualité des prises en charge devrait être améliorée. Le comité national d'éthique devrait ainsi être saisi afin de clarifier les conditions éthiques et déontologiques dans lesquelles les psychiatres et soignants en psychiatrie sont amenés à collaborer avec les services pénitentiaires et judiciaires pour l'application des peines. Une mission devrait également être confiée à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé pour définir l'adaptation des stratégies et des techniques de prise en charge des différentes pathologies.
Dans un autre registre, alors que le taux de suicide des détenus est sept fois plus important que dans la population générale et s'est accru en 2002 (deux suicides par semaine), le programme insiste pour que, lors des entretiens avec les personnes incarcérées, les personnels pénitentiaires soient très attentifs à tout élément leur permettant de remarquer la détresse d'une personne détenue. Un souci récurrent de la chancellerie (4) et qui devrait faire l'objet très prochainement d'une nouvelle circulaire pour expliciter la politique en la matière (actions de formation, amélioration du repérage, soutien aux détenus, suivis des personnels confrontés au problème).
En outre, le gouvernement met l'accent sur l'articulation entre les équipes somatiques et psychiatriques à travers la généralisation de commissions pluridisciplinaires facilitant le repérage des détenus à risque et associant les personnels pénitentiaires, sanitaires et socio-éducatifs. Et sur la possibilité pour les associations œuvrant notamment dans le domaine de la prévention du suicide de pouvoir intervenir auprès des détenus qui le souhaitent. Une action qui serait alors menée en partenariat avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation.
Autre axe d'intervention : les détenus âgés et en fin de vie. Au nombre de 100 à 350 selon le rapport conjoint, ils dépendent d'une aide partielle ou totale dans la vie quotidienne. Des aides d'ailleurs souvent apportées par des co-détenus de façon bénévole. Aussi, tout en rappelant que les détenus très gravement malades peuvent, depuis la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades (5), voir leur peine suspendue, le programme plaide-t-il pour rendre pleinement accessibles les prestations financières et de soins de droit commun (allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice pour tierce personne...). « Ces prestations doivent être financées dans les conditions courantes selon les cas par l'assurance maladie et les conseils généraux », est-il indiqué. Une pétition de principe qui nécessite, là encore, la réforme de la loi pénitentiaire.
S'agissant des auteurs d'infractions sexuelles, le ministre délégué à la santé et la garde des Sceaux proposent la création de pôles ressources pour leur prise en charge. Un travail en réseau - insuffisant pour le moment - des professionnels du sanitaire, de la justice et du social devra se développer.
(1) Voir ASH n° 1906 du 22-12-94.
(2) Voir ce numéro.
(3) Voir ASH n° 2254 du 15-03-02.
(4) Voir ASH n° 2149 du 14 -01-00 .
(5) Voir ASH n° 2251 du 22-02-02.