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PJJ : sortir des faux débats

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Education ou sanction ? Les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, même s'ils sont divisés sur le contenu à donner à ces termes, jugent le débat réducteur. D'autant plus qu'il laisse de côté la question cruciale des modalités du recrutement du personnel éducatif.

Peu de voix discordantes se sont fait entendre au cours de cette campagne dans le concert des candidats, qui, pour la plupart, sont tentés de renforcer la répression en durcissant les dispositions de l'ordonnance de 1945 (1) et en créant des structures nouvelles. Proposition vedette, la création de « centres fermés », dont, à vrai dire, les contours restent peu précis, mais dont on perçoit qu'ils auraient pour fonction de tenir, de façon durable, les jeunes multirécidivistes à l'écart de la société qu'ils viennent troubler.

Face au tour pris par le débat, qui exclut par ailleurs totalement la dimension du soin (2), de nombreux professionnels de la prise en charge des mineurs délinquants ont, ces dernières semaines, ressenti le besoin de prendre la parole. Ils ont souhaité défendre l'esprit du texte fondateur de la justice des mineurs et critiquer le concept d' « enfermement ». L'Association française des professionnels de l'éducation en lien avec la justice (AFPEJ), réunissant une centaine de cadres de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de responsables d'établissements associatifs, de psychologues (3), a dénoncé en février la tentation de « remettre en cause l'idée même d'un statut particulier du mineur dans le droit pénal et, par là, gommer la différence entre l'enfant et l'adulte pour non pas pouvoir punir le mineur, ce qui est possible aujourd'hui, mais bien pour le punir comme un adulte ». Quant à « enfermer les mineurs délinquants, plus ou moins longtemps, plus ou moins tôt, [...] c'est renvoyer aujourd'hui à plus tard un problème que l'on retrouvera aggravé demain, c'est compter sur des murs pour faire le travail des hommes ». La pétition lancée au début du mois à l'initiative du Syndicat national des personnels de l'Education surveillée (SNPES) -PJJ-FSU, majoritaire dans cette administration, rappelle de son côté les échecs de ce type de structures, disparues à la fin des années 70 « parce que chercher à éduquer et à réinsérer un jeune quand il est enfermé, quand il n'a aucun choix possible, aucun espace de liberté, c'est mission impossible » (4). Beaucoup, à l'instar de Martine Gross, responsable de la PJJ à la CFDT-Interco, condamnent « les réponses faites uniquement pour rassurer l'opinion, non pensées en termes de pédagogie, de prise en charge ».

La résurrection de l'idée de centres fermés était- elle prévisible ? C'est ce que pense le SNPES. Elle aurait germé sur le terreau des orientations prises par l'administration de la PJJ au cours de la seconde moitié des années 90. Ainsi, avec la création de nouvelles structures, comme les centres de placement immédiat (CPI) et les centres éducatifs renforcés (CER)   (5), c'est, selon lui, le sens de l'hébergement qui s'est modifié. « Le placement n'est plus considéré que comme une forme de sanction, un instrument de contention qui permet d'éviter la prison. Logiquement, à partir du moment où on veut que des structures aient la même fonction que l'incarcération, on aboutit aux centres fermés », estime Claude Beuzelin, secrétaire générale du SNPES. Particulièrement visés, les CPI, où « les trois quarts des jeunes arrivent avec cette alternative en tête : la prison ou le centre. La nécessité du placement dans sa dimension éducative n'est pas dite. Ce qui crée énormément de violence. »

Les éducateurs craignent d'autant plus de perdre leur âme que « le contenu du travail éducatif, qui devrait appartenir aux équipes, est de plus en plus imposé par la décision judiciaire », ajoute-t-elle, évoquant comme illustration de cette dénaturation les mesures de placement avec assignation à résidence. Et leur malaise est encore accentué par la pression qui pèse sur tous les acteurs de la chaîne pénale, à qui les citoyens et leurs représentants réclament des réponses rapides. « Le travail éducatif demande du temps. Ce qui ne correspond pas à la réponse que les politiques attendent », relève Martine Gross. Le magistrat Denis Salas résume d'ailleurs ainsi la situation nouvelle de l'éducateur : « Le voilà devenu, en somme, “le pompier de l'urgence” dans la gestion pénale du social. Lui qui avait conquis son autonomie professionnelle dans le cadre d'un mandat et construit ses outils dans un temps d'élaboration voit ce mandat brouillé et ce temps purement et simplement disparaître » (5).

Ce malaise n'est pas vécu unanimement avec la même intensité. Le Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse (SPJJ) - UNSA s'est, en 1993, créé « en réaction aux discours angéliques de ceux qui refusent toute sanction », selon Régis Lemierre, membre de son bureau. « Evidemment, on ne peut pas réduire l'adolescent à son acte, mais on ne peut pas non plus se désintéresser de ce dernier. A un moment, la sanction doit être posée, ce qui permet de travailler sur la culpabilité. C'est le travail des éducateurs de justice », insiste-t-il. Une ligne sur laquelle se retrouve l'AFPEJ. Tout en soulignant la stérilité du débat sur la délinquance des mineurs dès lors qu'il ne porte que sur le volet répressif, son manifeste fustige la « la posture d'angélisme qui nie la nécessité de marquer un coup d'arrêt à la fuite en avant que constitue pour des enfants ou des adolescents la délinquance, y compris par des moyens coercitifs ». Pour certains mineurs, « il ne peut y avoir de réponse, au moins dans les premiers temps, que sous la forme d'une aide sous contrainte ».

Ces prises de position irritent évidemment la secrétaire générale du SNPES.  « A travers les accusations d'angélisme, c'est un procès d'intention qui est fait à ceux qui défendent qu'avant tout on doit apporter des réponses éducatives. » S'il va de soi que l'éducation n'existe pas sans contrainte ni sanction, explique-t-elle en substance, « on fait l'amalgame entre la sanction pénale, décidée par le magistrat, et la sanction éducative, mise en place par l'équipe et organisée autour du projet construit avec le jeune. Or quand il y a confusion entre éducation et exécution des peines, c'est toujours au détriment de l'éducation. »

Les discussions, on le voit, sont âpres. Sont-elles cependant bien ciblées ? L'AFPEJ ainsi, contestant  « le manichéisme [...] qui met en scène l'affrontement entre tenants des solutions répressives d'un côté et défenseurs de la bienveillance éducative de l'autre, les uns étant naturellement conservateurs et les autres tout aussi naturellement progressistes », souhaite que l'on sorte de ces « faux débats  ». L'enjeu se trouve pour elle dans la qualité, et par conséquent dans les conditions de recrutement des adultes qui encadrent les mineurs délinquants. Adultes qui doivent tenir « le choc de ce qui est à la fois une rencontre et une confrontation ». Une position partagée par le collectif d'hommes politiques (de gauche), de juristes, et d'anciens professionnels de la PJJ, auteur, en février d'un appel « pour le maintien de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs et pour une réforme des modalités de recrutement des personnels de la PJJ » (6).

La création des nouvelles structures a rendu, il est vrai, cette question particulièrement cruciale. « Alors qu'il faudrait des professionnels aguerris et volon- taires sur les CER ou les CPI, les règles de recrutement rigides de la fonction publique et des règles d'affectation inadaptées font que les professionnels les plus jeunes et les moins expérimentés se retrouvent “au front” et sont mis en demeure d'affronter les situations le plus violentes ou le plus dégradées », constate le récent audit du cabinet Cirese (7). Le collectif se montrait plus brutal : « La majorité des personnels recrutés par voie de concours n'a sauf exception, aucune expérience professionnelle ou sociale susceptible d'apporter une stabilité émotionnelle et la maturité requises pour prendre en charge des groupes d'adolescents en rupture. »

Au-delà du cas particulier des CER et des CPI, c'est la PJJ tout entière qui est confrontée à la difficulté de la transmission des savoirs professionnels. Après une interruption à la fin des années 80, le recrutement a repris massivement ces dernières années, avec les 1 000 éducateurs promis lors du conseil de sécurité intérieure de juin 1998, et cet afflux important - qui reste cependant insuffisant au regard des besoins réels - pose incontestablement un problème de tuilage. D'autant plus, comme le relèvent les syndicats, que leur arrivée n'a pas été préparée. « Rien n'a été prévu pour les former et les encadrer », regrette le SPJJ. « Nous avons toujours dit qu'il faut des éducateurs. Mais les recrutements accélérés n'ont pas tout résolu. Certains, disposant d'une expérience professionnelle de trois ans n'ont reçu, pour être plus vite sur le terrain, qu'un an de formation. Ce qui a été perçu comme une formation “à deux vitesses” », explique Martine Gross.

Que faire, donc pour consolider les équipes ? Les différentes propositions formulées çà et là vont toutes dans le sens d'une diversification des profils. Déjà, le comité interministériel de réforme de l'Etat du 15 novembre 2001 a décidé une réforme du recrutement des éducateurs allant dans ce sens, avec la reconnaissance de l'expérience professionnelle à équivalence de diplôme, de nouveaux concours favorisant la candidature de personnes aux parcours personnels et professionnels plus variés... Le cabinet Cirese, va plus loin et propose de « mutualiser et mixer les ressources publiques et associatives dans un ensemble professionnel unique », ce qui permettrait de « composer des équipes hétérogènes qui puissent faire appel à des professionnels diplômés autant qu'à des contractuels expérimentés venant d'horizons variés ». Il recommande aussi que la PJJ puisse, au moins « pour ses dispositifs les plus exposés », déroger au statut de la fonction publique en matière de recrutement, d'affectation, de parité... Car en l'état actuel, le système interdit, à quelques rares exceptions, « toute cooptation d'équipe et tout recrutement par son responsable opérationnel », rendant impossible la constitution d'équipes  « expérimentées et diversifiées réunies autour d'un projet éducatif cohérent du moins ».

Dans le même sens va le collectif à l'origine de l'appel pour la réforme des modalités de recrutement, qui demande le rétablissement de la possibilité de recruter des contractuels expérimentés, disparue avec l'instauration d'un recrutement de masse selon les normes de la fonction publique à partir de la seconde moitié des années 60. D'où son souhait que les directions régionales puissent embaucher sans condition de diplôme « des personnels fortement motivés, paraissant disposer des qualités physiques et intellectuelles nécessaires à la prise en charge de groupes de mineurs en difficulté » pour des contrats à durée déterminée de trois à cinq ans, au cours desquels ils seraient tenus de suivre une formation théorique, en vue d'une titularisation.

LES NOUVELLES STRUCTURES

  Centres éducatifs renforcés (CER). Le gouvernement d'Alain Juppé a créé, en 1995, les unités éducatives à encadrement renforcé, accueillant pour des séjours de rupture de trois à cinq mois de petits groupes de mineurs multirécidivistes à qui on propose des activités impliquantes (sportives, humanitaires...) vécues avec le personnel éducatif. Après s'y être opposé, le gouvernement actuel les a relancées à la suite d'une évaluation favorable, confirmée aujourd'hui par le récent rapport d'audit. Les centres éducatifs renforcés, leur nouveau nom, sont aujourd'hui une cinquantaine, la plupart gérés par le secteur associatif habilité. On devrait en compter environ 80 en septembre.

  Centres de placement immédiat (CPI). Ces structures d'accueil d'urgence pour les mineurs dont le juge estime qu'ils ne peuvent rester dans leur environnement ont été créées par le conseil de sécurité intérieure de janvier 1999. Elles doivent permettre un bilan complet de la situation du jeune avant une orientation, ce qui est rarement le cas, selon le rapport Cirese. 43 centres existent aujourd'hui, une cinquantaine devraient fonctionner en septembre.

La vigilance des syndicats est grande face à ces propositions. Ainsi, l'embauche sans condition de diplôme n'est pas acceptée par le SNPES. « On est en train de dire que la prise en charge des jeunes en grande difficulté ne serait plus une question de professionnels. Or on sait les dérives auxquelles cela peut conduire, du type Cheval pour tous, où l'on n'était plus dans la relation éducative mais dans la relation d'inégalité où le plus fort fait régner la loi sur le plus faible », estime Claude Beuzelin. Laquelle réfute que seul le rapport de forces serait adapté pour la prise en charge de ces jeunes, même les plus durs : « Privilégier cette approche, c'est en quelque sorte les déshumaniser. »

C.G.

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  Voir ce numéro.

(3)  Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.

(4)  Voir ASH n° 2257 du 5-04-02.

(5)  Dans la revue Esprit de mars-avril 1998, consacrée au travail social.

(6)  Voir ASH n° 2250 du 15-02-02

(7)  Voir ASH n° 2256 du 29-03-02.

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