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Délinquance des mineurs : non aux centres fermés

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C es structures seraient « une poudrière où le répressif prendra toujours le pas sur l'éducatif », prévient Jean Guery, directeur régional honoraire de la PJJ, qui a dirigé un établissement de ce type. Un point de vue instructif à l'heure où presque tous les candidats à l'élection présidentielle ont inscrit cette mesure à leur programme.

« Chacun des candidats à l'élection présidentielle croit avoir trouvé le remède miracle à l'insécurité, née notamment de la délinquance juvénile. Comme si tous les mineurs généraient de l'incivilité, de l'insécurité, de la violence. Comme si ces fameux mineurs délinquants n'étaient pas les enfants de quelqu'un. Ce qu'ils font, ils l'ont appris autour d'eux. Ils ne vivent pas sur la planète Mars, mais parmi nous.

Ce qui est proposé, outre l'abaissement de la majorité (17, voire 16 ans), par certains n'est que le retour à des méthodes qui ont démontré leur inefficacité. Au-delà des maisons de correction fermées à la Libération avec la promulgation de l'ordonnance du 2 février 1945 qui crée le juge des enfants et l'administration de l'éducation surveillée, une politique de centres fermés avait été prévue dans le cadre du IVe plan (1962- 1966). En fait, quatre établissements (institutions spéciales d'éducation surveillée) y seront consacrés : trois partiellement (près de Toulouse, de Lyon et de Lille) et Juvisy-sur-Orge (Essonne). En fait, sous la poussée syndicale du SNPES-FEN, un seul centre, celui de Juvisy, sera ouvert en 1970, les autres étant banalisés dans leur fonctionnement.

Le centre de Juvisy fit, dès l'origine, l'objet d'une attention soutenue de la part de la chancellerie. Mais dans l'idéologie éducative d'après mai 68, ce type d'établissement était anathématisé et son personnel condamné au titre d'une espèce de complicité coupable. C'est pourquoi, outre les cadres, le personnel administratif et de service, ne furent affectés que des éducateurs de la promotion 1968-1970, n'ayant pas d'autres choix à la sortie de l'Ecole de l'éducation surveillée. Prévu pour un effectif de 72 (6 groupes de 12 jeunes), l'établissement n'en dépassa jamais la moitié, d'ailleurs bien vite ramené à 27 (3 x 9) pour des raisons liées aux contraintes architecturales, compte tenu d'un encadrement toujours minoré (quatre éducateurs par groupe). Conçu par un architecte, grand prix de Rome, selon les principes du panoptisme de Jérémie Bentham, pour un coût très élevé (1 830 000  €, équipement compris), le centre de Juvisy aurait dû offrir une sécurité totale, avec ses grilles et sas d'entrée, saut-de-loup et ses hauts murs, chambres fermées à clé aux fenêtres inouvrables, dont les verres étaient incassables... Et pourtant, il y eut quelques évasions, de jour comme de nuit : petits gabarits passant à travers les barreaux des grilles, sportifs franchissant le mur...

Un établissement « Cocotte-minute »

Placés soit, assez rarement, par un juge des enfants, soit par, le plus souvent, un juge d'instruction d'une des juridictions d'lle-de-France, les mineurs faisaient l'objet, durant un mois et demi, d'une observation du comportement et des conduites. Un rapport, dit de synthèse, était alors diligenté avec des propositions d'orientation. Ce document comprenait l'étude des situations judiciaire (antécédents), familiale (enquête sociale), scolaire (niveau des apprentissages), professionnelle (orientation, appétences, possibilité), psychologique (intelligence, performance, tests projectifs), médical (bilan de santé) et psychiatrique. Il s'agissait donc de faire rapidement en milieu clos, voire de refaire la plupart du temps, une observation précédemment conduite par les services de milieu ouvert des consultations d'orientation éducative (COE) et/ou des centres d'observation publics d'éducation surveillée (COPES), comme celui, voisin, de Savigny-sur- Orge. L'intérêt était réel, notamment pour les fugueurs à répétitions ou quelques jeunes criminels, délinquants primaires, que l'autorité judiciaire n'avait pas voulu placer en détention. Les autres jeunes faisaient partie des mineurs placés successivement, c'est-à-dire écartés de leur milieu habituel, selon l'appellation qu'ils avaient, eux-mêmes, théorisée sous la formule pertinente des “3 Y” : Savigny, Juvisy... Fleury. Car, comme l'a montré l'étude réalisée en 1977 par Francis Baillaud, sociologue au CNRS, le devenir des jeunes placés à Juvisy était à près de 80 % la détention après récidive (s).

La pression subie par le personnel était telle qu'à certains moments l'établissement ressemblait à une véritable “Cocotte-minute”, qui au lieu d'exploser implosait. D'où une gestion locale très difficile des ressources humaines. Le personnel d'éducation, affecté en septembre, posait déjà sa demande de mutation en décembre, qu'il pouvait voir acceptée pour la rentrée suivante !Une des tares de ce type d'établissement avait été de ne pas avoir prévue du personnel de surveillance. L'éducateur se confondait donc, à tout instant, avec le porte-clés.

Par ailleurs, le temps de placement à Juvisy n'était pas pris en compte au titre de la détention provisoire. Ce qui amenait nombre de jeunes à préférer le “rien faire” du quartier des mineurs des prisons de Fresnes ou de Fleury.

De plus, comme nombre de préconisations n'étaient pas réalisables dans les autres lieux de placement, soit par mauvaise volonté des responsables locaux à accueillir ces mineurs “difficiles”, soit par manque réel de places dans les foyers, le centre de Juvisy fut amené à conserver un effectif “observé” important. Afin que ces jeunes ne perdent pas leur temps, ils étaient scolarisés, mis au travail ou en apprentissage sur place et suivis par le personnel de l'établissement. Ils bénéficiaient alors d'un régime quasi identique à celui de leurs homologues placés dans des structures ouvertes. Ce faisant, la banalisation du centre fermé s'opérait de manière la plus pragmatique.

Ainsi, avec l'engorgement, les placements au titre de l'enfermement se réduisaient décourageant les demandeurs judiciaires. La cohabitation entre ceux qui sortaient et ceux qui ne le pouvaient pas devenait de plus en plus fine à gérer.

Tant et si bien que, comme l'infans juvisicus n'existait pas, le garde des Sceaux, Alain Peyrefitte, père de la loi “Sécurité et liberté”, banalisait, en 1979, le fonctionnement de l'établissement de Juvisy, mettant ainsi un terme à l'expérience des centres fermés dans l'éducation surveillée.

C'est pourquoi faire resurgir au firmament médiatique de la sécurité les vieilles lunes des centres fermés est pour les politiques, désemparés, une arme qu'il faut les dissuader d'utiliser. Qu'ils sachent bien qu'il n'y a pas, aujourd'hui, d'administration capable de mettre en place une telle politique éducative de l'enfermement ;que les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse n'y sont aucunement préparés, ni formés ; que leurs syndicats y sont résolument opposés ; que ce sera d'un coût prohibitif ; que le temps de l'opérationnalité ne pourra être inférieur à trois ans, et encore, compte tenu des règles administratives et financières de l'Etat ; que ce sera, enfin, dans chacun de ces établissements, une poudrière où le répressif prendra toujours le pas sur l'éducatif. Ce n'est certes pas ce qui est visé !

Les véritables  solutions

Mieux vaudrait s'attaquer avec vigueur aux véritables causes de la délinquance, que d'ailleurs tout le monde connaît :

 lutte contre le business (recel et trafic de drogue), véritable économie souterraine qui fait vivre les cités ;

 lutte contre le chômage, la déscolarisation, aides aux familles.

Bref, il faut :

 développer de la prévention spécialisée et du travail social ;

 remettre les services publics au cœur des quartiers au service de ces publics ;

 “refonder” la protection judiciaire de la jeunesse sur sa mission éducative au pénal (abandon au profit des conseils généraux de la prise en charge au civil des 0-13 ans), ce qui suppose de nouvelles modalités de recrutement et de formation. » Jean Guery Directeur régional honoraire de la protection judiciaire de la jeunesse et ancien directeur du COPES de Juvisy : 36, chemin de la Côte-Sainte-Epine -07300 Saint-Jean-de-Muzols -Tél. 04 75 08 06 54.

TRIBUNE LIBRE

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