La tonalité très répressive prise par la campagne électorale en matière de délinquance des mineurs n'en finit pas de susciter des réactions (1). Ainsi, une pétition lancée par la Fédération syndicale unitaire (FSU) (2) et un projet élaboré à l'initiative de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) (3) viennent mettre en garde contre la stigmatisation d'une partie de la jeunesse, celle, en particulier, issue des catégories sociales les plus défavorisées. « C'est [...] tout un pan de la jeunesse qui est ainsi déclaré irrécupérable, et dont le seul avenir ne pourrait être que l'enfermement, la mise au ban de la société », dénonce le texte de la FSU, en réaction à la position adoptée par de nombreux candidats à la présidentielle - tous ceux de droite, Jean-Pierre Chevènement et Lionel Jospin - en faveur de centres fermés. De telles structures, dont la dernière a été fermée en 1979 (4), ont été un échec, « parce que chercher à éduquer et à réinsérer un jeune quand il est enfermé, quand il n'a aucun choix possible, aucun espace de liberté, c'est mission impossible », soulignent les pétitionnaires. Il faut également, ajoutent-ils, « tordre le cou » à plusieurs idées reçues. 87 % des affaires de mineurs sont poursuivies, contre 28 % de celles concernant les majeurs et l'ensemble des condamnations et décisions prononcées par les tribunaux et juges des enfants a plus que doublé au cours de la décennie écoulée, objectent- ils par exemple à la prétendue « impunité » des mineurs. Quant à l'affirmation qu'une trop grande place aurait été accordée à l'éducatif, elle vient se heurter aux chiffres :seulement 3 000 éducateurs dans le service public de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et 362 juges des enfants. « Osons l'éducatif ! », concluent-ils, en estimant que « seule une politique d'éducation et de prévention ambitieuse se donnant comme projet de combattre les inégalités et les exclusions, de lutter contre l'échec scolaire, d'ouvrir de réelles perspectives d'avenir pour les jeunes en difficulté peut constituer une réponse et réduire les tensions sociales ».
La plate-forme de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, rédigée par un groupe de professionnels de l'enfance (magistrats, éducateurs, assistantes sociales, enseignants, psychiatres), des élus, des policiers, des universitaires et des responsables associatifs, s'inquiète, de son côté, « d'un discours, et plus grave, d'une pensée qui laisserait dans un face-à-face violent et destructeur une société et sa jeunesse qui prend, aux yeux de beaucoup de responsables politiques et institutionnels, les allures d'une nouvelle classe dangereuse ». Ses auteurs soulignent que « le discours politique sur la jeunesse ne peut se réduire à une stigmatisation de la délinquance juvénile à laquelle on promet une tolérance zéro. Il doit proposer un projet collectif défendu par des responsables crédibles et non discrédités. » Un projet dont ils ébauchent les grands axes. En premier lieu, mieux connaître la délinquance des mineurs, par une mise en cohérence des chiffres émis par les différentes institutions et la « création d'une instance indépendante d'observation des différents types de délinquance et d'évaluation des politiques menées » (5). Il convient également de « structurer » le débat public, par exemple en formant mieux les journalistes au traitement de ce sujet, ou en demandant, à l'échelon local, aux tribunaux, à la PJJ, à l'aide sociale à l'enfance et au secteur associatif d'établir un rapport annuel sur la justice des mineurs et la protection de l'enfance. Il faut aussi « définir et mettre en œuvre une politique globale de prévention », développer l'accès au droit, et « diversifier et améliorer les réponses au traitement de la délinquance ». Sur ce dernier point, les rédacteurs demandent notamment un renforcement de l'ordonnance de 1945, entre autres par une augmentation des moyens des services éducatifs, « afin d'assurer l'exécution des mesures éducatives prononcées ». Par man- que d'effectifs, environ 80 % de celles-ci sont actuellement exercées plus de trois mois après avoir été ordonnées.
(1) Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.
(2) Contact : SNPES-PJJ-FSU : 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 11 49 -
(3) AFMJF : Tribunal pour enfants de Paris - Palais de Justice - 75055 Paris-Louvre RP-SP - Tél. 01 44 32 65 13.
(4) Voir ce numéro.
(5) Sylvie Perdriolle, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, a également proposé, le 27 mars, devant la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, la mise en place d'un observatoire et d'un comité scientifique. Le cabinet Cirese concluait lui aussi à la nécessité de créer une instance indépendante d'observation et d'analyse de la délinquance des mineurs. Voir ASH n° 2256 du 29-03-02.