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Les grands enjeux sociaux de la présidentielle

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A un peu plus d'un mois de l'élection du prochain président de la République, les « ASH » démarrent une grande enquête sur les enjeux du scrutin pour le secteur social et médico-social. Jusqu'à la veille du premier tour, la rédaction déclinera plusieurs thèmes. Certains font la une de l'actualité, comme l'emploi ou la sécurité, décrétée « grande cause nationale » par les principaux candidats. D'autres, comme l'intégration ou la lutte contre l'exclusion, sont quasiment absents du débat électoral. Nous avons la conviction que tous constituent des défis à relever au cours du quinquennat à venir.

L'actuel président de la République doit, en grande partie, sa victoire de 1995 à sa promesse de réduire la « fracture sociale ». Sept ans plus tard - deux années de gouvernement Juppé, puis cinq de gouvernement Jospin -, le verdict est sans appel : « L'exclusion ne recule pas ; elle s'est modifiée », résume Jean-Paul Péneau, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale  (FNARS), au nom du groupe Alerte.

Depuis fin novembre 2001, ce collectif réunissant une quarantaine d'associations nationales de lutte contre la pauvreté et l'exclusion tente d'imposer cette thématique dans la campagne électorale. En vain. Avec la même ambition, quatre camions-podiums du Secours catholique sillonnent la France, du 15 au 31 mars, dans le cadre d'une campagne intitulée : « Candidat, tu m'écoutes ? ». L'association veut faire prendre en compte quatre thèmes prioritaires par les postulants à l'Elysée : l'accès aux droits, l'habitat, les emplois précaires, les demandeurs d'asile. Aura-t-elle plus de succès ?

Un oubli  : la lutte contre l'exclusion

Force est de constater que la lutte contre l'exclusion est la grande absente du débat présidentiel. Et cette absence n'est pas du goût des Français. Près des trois quarts estiment, en effet, que la situation des personnes les plus fragiles de notre société « n'est pas bien prise en compte par les candidats » (72 %) et que « l'on n'en parle pas assez » (74 %), selon un sondage CSA pour l'Uniopss, dont les résultats ont été présentés lors du XXVIIe congrès de l'association, les 26 et 27 mars à Tours. « Je me demande si la loi de lutte contre les exclusions de juillet 1998 ne sert pas d'alibi aux candidats à la présidentielle, observe le secrétaire général du Secours catholique, Pierre Levené. Ils font comme si elle avait réglé les problèmes. Evidemment, ce n'est pas le cas. »

Quel que soit l'heureux élu au soir du 5 mai, les exclus n'auront pas disparu comme par enchantement. Vote de la loi contre les exclusions, création des emplois- jeunes, mise en œuvre de la couverture maladie universelle..., Lionel Jospin peut s'enorgueillir d'un bilan plus qu'honorable en la matière. Reste que, si le nom- bre d'allocataires du revenu minimum d'insertion  (RMI) a commencé à baisser à partir du début 2000, repassant sous la barre du million l'an dernier, la France compte toujours 4,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, selon le dernier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, et plus de 3 millions de mal-logés, d'après la Fondation Abbé-Pierre. Un défi de taille pour le quinquennat à venir.

Soyons honnêtes, les prétendants à l'Elysée ne sont pas totalement muets sur le sujet. Mais aucun n'a inscrit la lutte contre l'exclusion au cœur de son projet présidentiel. Les propositions avancées relèvent plus de catalogues de mesures sectorielles que de véritables programmes cohérents.

Ainsi, sous la pression du groupe Alerte-  « Plus personne à la rue dans cinq ans, le voulons-nous ? », martèle le collectif depuis des mois -, le Premier ministre a pris un engagement spectaculaire en présentant son projet, le 18 mars : « Zéro SDF en 2007 », assorti de la mise en œuvre d'une « couverture logement universelle ». L'annonce tient du slogan et laisse sceptiques les acteurs de terrain. Dès le lendemain, Lionel Jospin nuançait sa promesse en précisant, sur France 3, qu'il s'agissait d'un « objectif idéal ». La candidate de Lutte ouvrière, Arlette Laguiller, en a profité pour lui demander de commencer, « dès aujourd'hui », par « interdire les expulsions ».

Si l'objectif « Zéro SDF » paraît difficile à atteindre, le principe d'une aide financière aux jeunes adultes sans ressources devrait connaître une traduction concrète au cours du prochain mandat présidentiel. La proposition figure au programme des deux principaux candidats, même si Jacques Chirac et Lionel Jospin réfutent, en chœur, l'idée d'instaurer un « RMI-jeunes ». En dévoilant son projet économique et social, le 27 février, l'actuel président de la République a proposé un « contrat d'insertion dans la vie sociale », qui donnera aux jeunes de moins de 25 ans les moyens de réaliser un projet d'insertion, associatif ou humanitaire. Pour le mener à bien, ils recevront « une ressource suffisante ». Son Premier ministre promet, quant à lui, un « contrat d'autonomie » pour les 18-25 ans. Les jeunes s'engageant dans une démarche de formation ou d'insertion pourront bénéficier d'une allocation, se substituant, pour partie, aux aides actuelles. Le candidat des Verts, Noël Mamère, et son homologue communiste, Robert Hue, défendent, eux aussi, l'idée d'un contrat d'autonomie, assorti, pour ce dernier, d'une allocation mensuelle de 700  €.

Par ailleurs, de nombreux prétendants à l'Elysée annoncent une hausse des minima sociaux en cas de victoire. Florilège : François Bayrou  (UDF) souhaite porter le SMIC à 1 000  € net en deux ans, Jean-Pierre Chevènement (Pôle républicain) propose 25 % d'augmentation sur les cinq prochaines années et Robert Hue (PCF) un coup de pouce immédiat de 10 %, première étape vers un SMIC brut à 1 372  € ; Noël Mamère (Verts) préconise un relèvement des minima sociaux et leur alignement à hauteur de 80 % du SMIC...

SPÉCIAL ÉLECTION

Dans ce numéro :  Les grands enjeux de l'élection  L'exclusion Dans le n° 2257 du 5-04-02 :  L'emploi  L'intégration Dans le n° 2258 du 12-04-02 :  La délinquance des mineurs Dans le n° 2259 du 19-04-02 :  Interview du sociologue Serge Paugam  La pénurie de travailleurs sociaux

La promesse du plein emploi

Si la forte croissance économique de la période 1997-2000 n'a pas permis de faire reculer l'exclusion, elle a, en revanche, couplée à des mesures phares comme les 35 heures et les emplois-jeunes, provoqué une très nette décrue du chômage (925 000 demandeurs d'emploi en moins au cours de cette période. Un peu plus de 2,2 millions étaient néanmoins encore inscrits à l'ANPE en janvier 2002).

« Pour aller vers le plein emploi » « une France active, qui tourne définitivement le dos au chômage » constitue le premier engagement de Lionel Jospin -, l'actuel locataire de Matignon promet 900 000 chômeurs de moins d'ici à 2007. Pour y parvenir, il suggère notamment une refonte des aides à l'emploi. Un nouveau « contrat de retour à l'emploi » (CRE) se substituerait, dans le secteur privé comme dans le public, à une grande partie de ceux existant aujourd'hui (CES, CIE...), à l'exception notable des emplois-jeunes.200 000 CRE seraient « affectés » aux plus de 50 ans. Après les emplois-jeunes, les emplois-vieux, en somme. Parallèlement, le candidat des socialistes veut instaurer un « droit à la formation tout au long de la vie ». Chacun disposerait d'un « compte formation », finançant la formation elle-même, et d'un revenu pendant la durée de celle-ci.

Cette préoccupation de la formation se retrouve chez Jacques Chirac, mais le président de la République privilégie néanmoins une baisse massive des charges sociales, générale ou centrée sur les jeunes. Dans le même esprit, le candidat UDF, François Bayrou, propose la création d' « emplois francs », dont les cotisations patronales seraient limitées à 10 % du salaire brut pendant cinq ans. Selon lui, cette mesure générerait « 800 000 emplois en deux ans ». Alain Madelin, le candidat de Démocra-tie libérale, veut, quant à lui, « faciliter l'embauche des premiers salariés au travers d'un chèque emploi dans les très petites entreprises ».

En matière d'emploi, la lecture des programmes des postulants à l'Elysée ne révèle donc pas de surprise. On en revient presque toujours aux mêmes recettes : à gauche, des emplois créés directement ou indirectement par l'Etat ; à droite, des allégements ou exonérations de charges patronales. Le futur président de la République devra faire preuve de plus d'imagination pour lutter contre le fléau des emplois précaires. Aujourd'hui, en France, on peut à la fois être salarié et pauvre. Une récente enquête de l'INSEE a recensé environ 1,3 million de travailleurs pauvres. De fait, la diminution du nombre de chômeurs s'est accomplie au prix d'un développement inquiétant de maintes formes de travail précaire : emplois à temps partiel (voire très partiel), contrats à durée déterminée, emplois- jeunes, intérim, contrats aidés... « Il faut lutter contre le développement des trappes à bas salaires, prévient l'économiste Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, dans Le Monde daté du 21 mars. En abaissant le coût du travail comme on l'a fait, on est passé d'une trappe à chômage à une trappe à bas salaires. Les entreprises n'augmentent pas les salaires de peur de perdre les allégements de charges, qui sont maximaux pour un salarié qui gagne le SMIC et diminuent ensuite pour ne plus rien représenter pour celui qui gagne 1,8 fois le SMIC. Les allégements de charges diminuent très vite. Les employeurs n'ont donc pas intérêt à faire évoluer leurs travailleurs peu qualifiés. » A méditer.

Décrétée « grande cause nationale » par les principaux candidats, premier thème de campagne aux yeux des Français selon les sondages, la lutte contre l'insécurité occupe une place de choix dans les programmes électoraux. Depuis la publication, fin janvier, des chiffres de la délinquance révélant, pour l'année 2001, une progression des faits constatés de 7,69 % par rapport à 2000, on assiste à une surenchère sécuritaire, les prétendants à l'Elysée s'accusant mutuellement de plagiat.

Le spectre de la délinquance juvénile

L'unanimité se fait autour de la nécessité de renforcer la répression des actes de délinquance. Jacques Chirac veut « imposer l'impunité zéro », quand Lionel Jospin « refuse l'impunité ». Mais, sur ce thème, c'est Jean-Pierre Chevènement qui a tiré le premier. Lors d'un meeting à Nice le 14 février, le candidat du Pôle républicain a affirmé qu'élu président de la République, il consacrerait les 100 premiers jours de son mandat à la mise en œuvre d' « un plan d'ensemble sur la sécurité ». L'ancien ministre de l'Intérieur préconise « trois projets de loi : l'un sur la délinquance des mineurs ; les deux autres programmant l'augmentation des moyens de la gendarmerie et de la justice ». Pour lutter contre l'insécurité, il faut un « électrochoc », prétend pour sa part François Bayrou  (UDF), en proposant un « Vendôme de la justice » dans le cadre d' « une démarche d'union nationale ». Dans son premier discours de candidat, prononcé le 19 février à Garges-lès-Gonesse  (Val-d'Oise), Jacques Chirac a décliné les axes de son programme de lutte contre « la montée de la violence », notamment la création d'un ministère de la sécurité intérieure. Cela constitue son principal « engagement pour la France ». Lionel Jospin lui répond en inscrivant, le 18 mars, dans son projet présidentiel, un ministère de la sécurité publique et un « contrat national de sécurité », prévoyant une augmentation des moyens de la police et de la gendarmerie. « Je considère la sécurité vraiment comme un défi, peut-être le défi prioritaire du prochain quinquennat », renchérit-il.

Cette course à la répression s'emballe dès que les candidats évoquent la délinquance juvénile. A croire que les mineurs délinquants constituent, aujourd'hui, le principal fléau de notre société. Presque tous les prétendants à l'Elysée préconisent une révision de l'ordonnance de 1945. Ce texte, déjà modifié à maintes reprises, n'est pas « un tabou », a tranché le Premier ministre.

Ainsi, François Bayrou  (UDF) veut créer « 10 000 places, soit dans des établissements spéciaux, soit dans des internats renforcés ». Avec Jacques Chirac, les multirécidivistes seraient placés, à titre provisoire et « sur mesure judiciaire », dans des « centres préventifs fermés », dans l'attente de leur jugement. Ces établissements seraient dotés d' « équipes éducatives spécialisées pour faire en sorte que ce temps de passage leur soit utile ». Après leur condamnation, ces mineurs seraient accueillis dans des « centres éducatifs fermés ». Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement promettent, eux aussi, le développement de « structures fermées » pour les mineurs récidivistes. Les deux candidats d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen (FN) et Bruno Mégret (MNR), proposent même d' « abaisser la majorité pénale à 10 ans ».

Dans ce concert, deux voix discordantes se font entendre. « Dans le débat sur l'ordonnance de 1945, nous ne voulons pas bouger d'un iota, déclare le candidat d'extrême gauche, Olivier Besancenot (LCR). Il faut privilégier l'éducatif par rapport au répressif. » « Opposé » aux solutions évoquées à droite comme à gauche, Noël Mamère (Verts) propose, quant à lui, la création de 10 000 emplois d'éducateurs de rue, futurs « hussards de la République ».

Si tous les candidats affirment, la main sur le cœur, vouloir préserver la double vocation éducative et répressive de l'ordonnance de 1945, le débat sur la délinquance juvénile, sur fond de surenchère électorale, laisse peu de place à la nuance. De fait, « qui est en danger : la France ou ses enfants ? », interroge l'association Défense des enfants International (DEI-France), dans son rapport 2002 publié mi-février, en dénonçant « la tournure démagogique que prend le débat sur la sécurité en France » concernant les enfants. Et l'association de répondre elle-même à la question : « Tout démontre que la France n'est pas en danger du fait de ses enfants, mais que trop d'enfants en France sont en danger. »

Des enjeux occultés

Une peur chassant l'autre, l'insécurité a remplacé l'immigration dans le débat électoral. Quoi qu'il en soit, le problème de l'intégration demeure entier. Voilà bien un défi à la hauteur d'un président de la République. Pourtant, on cherchera en vain, dans les programmes des candidats, des propositions sur ce thème. On notera juste, parmi les engagements de Lionel Jospin, sa volonté d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires lors des élections locales. Une mesure qui figurait déjà au nombre des 110 propositions du candidat Mitterrand en 1981.

Autres sujets occultés au cours de cette campagne présidentielle : le sort des familles - le thème n'est plus guère objet de polémique au sein de la classe politique - et celui des personnes handicapées. Pour ces dernières, le long débat autour de l'arrêt Perruche a pris l'opinion à témoin mais n'a pas permis de faire de leur situation un véritable enjeu électoral. La révision de la loi d'orientation de 1975 sur le handicap « devrait être un objectif prioritaire de la prochaine législature », a néanmoins déclaré, fin février, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, Elisabeth Guigou.

Enfin, quid du travail social ? Dans une lettre ouverte, diffusée pour signature aux professionnels, le mouvement Education et société s'évertue à interpeller les candidats, sur la forme interrogative : « Qu'attendez-vous, aujourd'hui, du travail social en France ? Etes-vous prêts à donner aux travailleurs sociaux les justes moyens de leur mission ? » On doute qu'il obtienne réponse à ses questions avant le 21 avril, date du premier tour de l'élection.

Jean-Yves Guéguen

RETRAITE : UNE OBLIGATION DE RÉFORME

« A mon sens, le dossier des retraites est le premier dossier qu'il faudra examiner » après les élections, a déclaré Lionel Jospin, le 21 février, lors de sa première interview télévisée comme candidat. A dire vrai, le prochain président de la République, quelle que soit son identité, n'aura guère le choix. A force d'être repoussée, la réforme des régimes de retraite est devenue urgente. Le rapport du commissaire au Plan, Jean-Michel Charpin, résume d'une phrase le choc démographique à venir : « On passe de quatre retraités pour dix actifs en 1995 à sept retraités pour dix actifs en 2040. » Le retournement de situation débutera en 2005, avec le départ à la retraite des premières générations du baby-boom. Conjuguée à l'allongement de la durée de vie- qui grossit les rangs du quatrième âge (1)  -, la fin d'activité de ces nombreuses classes d'âge nées après la Seconde Guerre mondiale va faire croître les dépenses de retraite de 12,6 % du produit intérieur brut, actuellement, à une fourchette comprise entre 16 et 18 % en 2040. Bref, le système est au bord de l'explosion. Le dossier des retraites constitue l'un des angles d'attaque privilégiés des adversaires du Premier ministre, qui fustigent son inaction en ce domaine. De fait, à part la création d'un fonds de réserve (destiné à accumuler 150 milliards d'euros d'ici à 2020), Lionel Jospin a surtout commandé des rapports. Quatre au total : au Conseil d'analyse économique, au Commissariat général du Plan, au Conseil économique et social et au Conseil d'orientation des retraites. Présentant son projet présidentiel le 18 mars, il s'est donc engagé, en cas d'élection, à ce que des décisions soient arrêtées « au plus tard avant juin 2003 ». Souhaitant tous deux « garantir la retraite par répartition » et le « niveau des retraites », Jacques Chirac et Lionel Jospin proposent des solutions assez voisines. Ils évoquent le développement de l'épargne salariale, une contribution de l'Etat, le libre choix de l'âge de départ et une nécessaire équité entre le privé et le public. Le président en exercice se distingue par la création de « fonds de pension à la française ». Pendant ce temps, lors du sommet de Barcelone, le 16 mars, les 15 Etats membres de l'Union européenne se sont donné comme objectif de relever de cinq ans l'âge effectif de cessation d'activité d'ici à 2010... pour le porter à 63 ans.

Notes

(1)  Au crédit du Premier ministre en matière de politique en faveur des personnes âgées, il convient d'inscrire la mise en œuvre, au 1er janvier 2002, de l'allocation personnalisée d'autonomie.

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