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A travers les mailles du filet de la protection sociale

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Malgré des textes ambitieux, la question de l'accès à un logement, aux soins et à l'autonomie des jeunes demeure. Regard sur les trous des différents dispositifs et les ébauches de remaillage.

Faut-il le répéter ? La vigoureuse croissance économique entre 1997 et 2000, accompagnée d'une diminution importante du chômage n'a eu que peu d'effets sur la situation des plus démunis. 7 % des ménages, soit 4,5 millions de personnes, ont toujours des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, soulignait en février le dernier rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, insistant sur la complexité des liens entre pauvreté et emploi. Car le chômage n'est pas la seule cause de la pauvreté. Pas plus que le travail ne règle tous les problèmes : on compte en France environ 1,3 million de travailleurs pauvres, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques. L'emploi, en outre, n'a pas crû uniformément. Certes, les moins de 30 ans ont été les premiers bénéficiaires de l'embellie. Mais les disparités d'insertion professionnelle entre les jeunes diplômés et les autres se sont creusées au cours de la dernière décennie. D'une façon générale, la situation économique des jeunes ménages s'est dégradée dans les années 90. Dans ce contexte, la question de l'accès au logement, aux soins et, pour les jeunes, à l'autonomie se pose toujours de façon aussi aiguë.

Les textes, on le sait, ne garantissent pas l'effectivité des droits. La « loi Besson », en 1990, ne disposait-elle pas, dans son premier article, que « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité [...] pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir »  ? Ce qui n'a pas empêché la montée de l'exclusion du logement. La loi de juillet 1998 a beau avoir renforcé le droit au logement en clarifiant les règles d'accès au parc locatif social, en instaurant des accords collectifs départementaux définissant des objectifs annuels chiffrés d'attribution de logements sociaux, ou encore en réformant les procédures d'expulsion et en mettant l'accent sur la prévention, les réformes sont longues à se mettre en œuvre. Parfois, la volonté des acteurs ne suit pas... Le rapport du Haut Comité pour le logement des défavorisés, en octobre dernier, dénonçait le « manque d'ambition » des bailleurs, des services de l'Etat et des collectivités locales dans l'application des accords départementaux. Quant aux nombre de jugements d'expulsion et de commandements à quitter les lieux, il est reparti à la hausse, alors qu'il baissait depuis 1997... Le second programme de lutte contre les exclusions, présenté l'été dernier, vise à améliorer l'efficacité du dispositif. Mais restent en suspens la dispersion et la complexité invraisemblables des nombreuses aides au logement, fonds de solidarité logement, fonds énergie, dispositif Loca-pass, aides sociales... Mal articulées entre elles, elles ne garantissent ni la continuité des droits, ni leur égalité sur l'ensemble du territoire...

Couverture logement universelle : des contours à préciser

D'où l'idée, portée notamment par la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, d'une couverture logement universelle. Le Conseil national de l'habitat a proposé fin janvier, avec le soutien affirmé de Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, l'ébauche d'un dispositif global, visant à la fois à améliorer, coordonner et simplifier les mesures existantes. Axe phare : un système de garantie, pendant trois ans, des dettes locatives (dégradations et impayés de loyer), financé partiellement par le Fonds de solidarité pour le logement  (FSL) et le 1 %logement, qui supprimerait les actuelles cautions. S'y ajoute un système de prévoyance, fondé sur une cotisation partagée entre locataires et bailleurs, qui prendrait en charge, au-delà des trois premières années et pendant une période limitée, le loyer et les charges en cas d' « accident de la vie ». Ce double mécanisme - pour certains, une « usine à gaz » de plus - a pour objet, à la fois, de sécuriser l'entrée et le maintien des locataires dans le logement et de couvrir les risques des propriétaires. De quoi, peut-être, rendre ces derniers moins réfractaires à l'idée de louer à des personnes en emploi précaire et au revenu très modeste, ces « soutiers de la ville » évoqués par le rapport de la Fondation Abbé-Pierre. Les contours de cette couverture - dont l'idée a été reprise par le candidat Jospin - restent cependant à préciser :serait-elle réservée aux ménages les plus en difficulté ou a-t-elle une vocation plus large ?

En matière d'accès aux soins également, on retrouve cette difficulté d'application des textes, liée en partie aux carences originelles de leur élaboration. Un récent rapport de l'Inserm sur les discriminations dont sont victimes les étrangers dans ce domaine met en cause la « perversité » du double système ; articulé autour de la couverture maladie universelle  (CMU), pour les personnes résidant en France de façon stable et régulière, et de l'aide médicale d'Etat (AME), pour les autres, terreau de la suspicion à l'égard de toutes les personnes étrangères ou d'origine étrangère. L'association Médecins du monde réclame d'ailleurs depuis le début l'instauration de la même couverture santé pour toutes les personnes résidant en France. D'autant plus que, autre source de complexité, l'AME est elle-même à deux vitesses, puisque les étrangers pouvant justifier de trois années au moins de séjour sur le territoire peuvent accéder aux soins de ville, les autres étant cantonnés aux établissements de santé. La mission d'évaluation de l'inspection générale des affaires sociales  (IGAS) de la CMU et de l'AME, rendue publique en février, affirmait, pince-sans-rire, ne pas croire que la suppression de cette distinction « aurait un effet inflationniste ni une incidence sur les flux migratoires »...

Autre lacune de fond de la couverture maladie universelle :le fameux effet de seuil dénoncé par les associations. Certes, la réforme a amélioré considérablement la protection sociale en France :1,2 million de personnes sont couvertes par la CMU de base et 4,7 millions bénéficient de la complémentaire, soit près de 7 % de la population. Il n'empêche, l'effet couperet de la loi était dès l'origine redoutable, conduisant, pour quelques francs de revenu en trop, non seulement à acquitter le coût d'une complémentaire, mais aussi à faire l'avance des frais. Pour l'adoucir, le législateur a prévu qu'une protection à tarif préférentiel soit proposée pendant un an aux sortants du dispositif. La loi de financement de la sécurité sociale 2002 est allée dans le même sens en leur maintenant, pour une durée similaire, le bénéfice du tiers payant. Les fonds d'action sociale des caisses primaires d'assurance maladie devaient, quant à eux, aider les personnes situées légèrement au- dessus du seuil à acquérir une mutuelle. Beaucoup l'ont d'ailleurs fait, souvent en partenariat avec les collectivités locales... recréant ainsi les disparités territoriales observées avec l'aide médicale départementale et que la CMU avait justement voulu gommer.

Le dispositif national harmonisé d'aide à la mutualisation, pour les personnes dont les revenus dépassent le plafond dans la limite de 10 %, présenté en décembre par le gouvernement, vise à remédier à cette situation. Il laisse cependant une marge de manœuvre aux caisses locales, pouvant induire de nouvelles inégalités. Autre question : cette contribution, financée par les fonds d'action sanitaire et sociale des caisses, sera-t-elle suffisante (1), les organismes complémentaires ayant refusé de voir encadrer leurs tarifs ? Quoi qu'il en soit, une augmentation significative du plafond de ressources (2) n'est pas à l'ordre du jour. Il est vrai que l'IGAS, dans son rapport, estimait que cette stratégie, « présenterait le double inconvénient de ne couvrir qu'une fraction des allocataires du minimum vieillesse et de l'allocation aux adultes handicapés et de déplacer vers un niveau supérieur les effets de seuil sans les supprimer pour l'avenir ». Ce qui est aussi le cas du nouveau dispositif, qui les transfère au niveau du plafond de la CMU majoré de 10 %.

Environ deux millions de personnes pourraient en théorie y être éligibles. C'est- à-dire beaucoup moins que les 15 à 20 % de Français recensés par la Fédération nationale de la Mutualité française qui ne disposent d'aucune complémentaire ou alors d'une couverture d'une qualité inférieure à la CMU. Ce qui a conduit cette fédération à proposer un « crédit d'impôt pour tous », sous la forme, pour les personnes imposables, d'une déduction correspondant à une partie du montant de leur cotisation, et pour les autres, au versement d'une prime par l'Etat. Cet aménagement de la fiscalité recueille l'approbation du candidat Chirac.

L'autonomie des jeunes en débat

En direction des jeunes, il a aussi fallu combler certaines failles. Ainsi le programme TRACE, créé par la loi de lutte contre les exclusions et instituant un parcours d'accès à l'emploi de 18 mois pour les jeunes qui en sont les plus éloignés, a,  dès sa création, fait l'objet de critiques ; notamment sur la trop grande brièveté de ce trajet pour les publics les plus destructurés ou l'absence de sécurisation des ressources durant les périodes où le jeune n'est ni en emploi, ni en formation. Le second programme de lutte contre l'exclusion a, en partie, rectifié le tir. D'une part en instaurant, pour 10 000 jeunes en rupture sociale, un accompagnement de 24 mois, dont six pour un travail de « restauration de l'image de soi » et de stabilisation dans un hébergement. D'autre part, par la création d'une bourse d'insertion de 75  € par semaine non couverte par une rémunération ou une allocation, attribuée « en fonction de la participation active du jeune aux demandes et actions concrètes d'insertion qui lui sont proposées ».

Ce refus de l'assistanat, qui a conduit jusqu'à présent à écarter l'extension du RMI aux moins de 25 ans, perdure donc dans cette nouvelle disposition de TRACE. Mais la logique de la contrepartie - un engagement, quel qu'il soit, en échange d'une allocation -prévaut également dans les réflexions portant sur l'autonomie des jeunes en général. On compte en France environ 6,5 millions de 18-25 ans, parmi lesquels 4 millions ne sont pas insérés dans la vie active. La commission nationale présidée par Jean-Baptiste de Foucauld devrait présenter d'un jour à l'autre son bilan des aides existant en leur direction- pléthoriques : allocations familiales, allocations logement, exonérations fiscales, bourses de l'Education nationale... - et ses propositions pour favoriser leur autonomie. Ses travaux ont été alimentés, notamment, par ceux du Conseil économique et social  (CES) et du Commissariat au Plan, rendus publics il y a un an. Le premier préconisait, pour les jeunes engagés dans un projet d'entrée dans la vie professionnelle (formation, études, recherche d'emploi, réinsertion sociale...), des prêts à taux 0 associés, pour les plus faibles revenus, à une « allocation formation- insertion ». Le Plan souhaitait, de son côté, rompre avec l'idée d'un « renvoi de la gestion de l'allongement de la jeunesse aux familles, accentuant leurs charges tout comme la dépendance financière des jeunes vis-à-vis de leurs parents », et prônait une allocation de 183 à 259  € pour tout jeune se consacrant à sa formation. Il proposait également que le jeune devienne le destinataire des aides publiques et constitue un foyer fiscal distinct de celui de ses parents.

Le débat est ouvert. Les prêts suscitent des interrogations sur l'opportunité de l'endettement précoce. Et le versement d'une aide directe fait craindre à certains une déresponsabilisation des familles. Une chose est sûre : notre société ne peut se désintéresser des jeunes qui ne peuvent compter sur leur entourage (3). Plus préoccupant encore, selon l'INSEE, est le sort des jeunes ménages au chômage ou inactifs non étudiants, peu indemnisés par l'Unedic et moins fréquemment aidés par leur famille, dont le taux de pauvreté est de 50 %. Est-il acceptable qu'une société riche maintienne sa jeunesse dans une telle précarité ? La réponse va d'elle-même. Certains candidats - notamment Jacques Chirac, Lionel Jospin, Noël Mamère et Robert Hue -proposent des mesures pour améliorer les ressources des jeunes. Vaines promesses ?

Céline Gargoly

Notes

(1)  Elle est de 115  € pour une personne seule. Voir ASH n° 2255 du 22-03-02.

(2)  Le collectif Alerte souhaitait par exemple l'élévation du plafond au niveau du seuil de pauvreté, soit environ 360  € par mois pour une personne seule, couplée à une prise en charge des frais de mutualisation jusqu'au SMIC.

(3)  Lors de l'année universitaire 2000-2001, 475 000 étudiants, soit environ 28 % d'entre eux, ont bénéficié d'une aide financière du ministère de l'Education nationale.

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