Alors que les prises de position des candidats se multiplient sur la délinquance des mineurs, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) se trouve interpellée sur la façon dont elle gère leur prise en charge. Brutalement par Le Figaro, au travers d'une « fuite » qui, en ne permettant guère le recul critique, se prête à toutes les polémiques ; de façon beaucoup plus constructive par le cabinet Cirese qui a le mérite de replacer le débat dans le cadre plus général de la politique de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs.
C'est d'abord Le Figaro qui a fait la une de son édition du 21 mars en révélant le contenu d'un « pré-rapport confidentiel » de la Cour des comptes sur le traitement des mineurs délinquants. Lequel dresserait « l'état de sinistre » de la protection judiciaire de la jeunesse, fustigeant notamment des « effectifs imprécis », « des emplois fictifs » et « la gabegie budgétaire » de cette administration.
Réaction immédiate du ministère de la Justice : « Ce document, soumis à la contradiction, est le support des 43 questions transmises, en décembre 2001, à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. » Accusé par Le Figaro de ne pas avoir répondu aux observations de la Haute Juridiction, le ministère indique avoir fait parvenir ses réponses le 4 mars 2002, suivies d'une lettre d'observation adressée le 20 mars. « L'élaboration du rapport n'est donc pas encore achevée et la directrice de la PJJ n'a pas encore été entendue. » Sur le fond, la chancellerie précise que le contrôle de la Cour des comptes porte sur les deux années de démarrage des centres de placement immédiat et des centres éducatifs renforcés (CER) et ne prend pas en compte les changements intervenus depuis ; notamment l'augmentation significative en 2001 des mineurs pris en charge par l'ensemble des foyers. « L'évolution des publics [...] et les difficultés rencontrées ont conduit à engager des réformes concernant l'encadrement des structures particulièrement exposées. »
« Les professionnels qui font leur travail se sentent meurtris par toutes ces attaques », déplore Régis Lemierre, membre du conseil syndical du Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse (SPJJ) - UNSA, qui critique l'exploitation médiatique d'informations non disponibles. Ce qui ne l'empêche pas de reconnaître le manque de pilotage de la direction de la PJJ, faute de moyens logistiques et d'articulation entre ses services au niveau du siège. « Du coup, rien n'a été prévu pour former et encadrer les 1 000 emplois qui ont été créés. » Si le syndicat ne conteste pas sur le fond les orientations de la direction, il reproche les nombreux obstacles à leur bonne mise en œuvre. Son de cloche que ne partage pas le Syndicat national des personnels de l'Education surveillée (SNPES) -PJJ-FSU qui rappelle son opposition catégorique aux orientations prises ces dernières années. Lesquelles « privilégient la prise en charge coercitive des mineurs, la sanction pénale au détriment de la réponse éducative ». Le syndicat dénonce la pression exercée sur les structures et les personnels, d'autant plus forte qu'elle s'accompagne d'une dégradation des conditions de travail.
Dans ce contexte, la lecture de la « note de synthèse et d'orientation stratégique », tirée de l'évaluation des dispositifs PJJ deprise en charge des mineurs multirécidivistes ou en grande difficulté effectuée par le cabinet Cirese (1) est assez éclairante. « La balle n'est plus seulement dans le camp de la PJJ car - même dotée de moyens supplémentaires - celle-ci ne peut à elle seule prétendre tout régler », concluent les auteurs. Qui rappellent que la délinquance des mineurs interpelle aussi la police, l'Education nationale, les conseils généraux...
Le rapport reconnaît, même s'il y a encore des progrès à faire, « les profondes mutations » engagées par l'administration de la PJJ face à l'évolution des mineurs délinquants. Et les multiples innovations « réussies » (CER, classes- relais, dispositifs d'insertion...), malgré les pesanteurs institutionnelles et la pauvreté des moyens. A côté du renforcement de la cohérence interinstitutionnelle, il invite à mettre en œuvre « une refonte plus radicale » des politiques de prévention et de traitement de la délinquance afin d'offrir une réponse pertinente qui « ait à la fois des effets structurants et soit en même temps porteuse d'avenir ».
Réalisée pendant l'été 2001, sur 10 des 26 départements « prioritaires », l'évaluation dresse ainsi un bilan positif des CER, « un dispositif efficace, proche de la maturité ». Organisés comme des séjours de rupture, structurés autour d'activités impliquantes, réalisées conjointement par un petit groupe de mineurs délinquants (entre cinq et neuf) et d'adultes qui « font avec », ces centres seraient même « peut-être l'innovation la plus marquante de ces dernières années ». Le jugement est plus mitigé sur les centres de placement immédiat sachant qu'il est « trop tôt pour tirer une leçon définitive ». Ils sont encore « les victimes d'une commande politique ambiguë, sinon ambivalente, qui les met en demeure de faire droit à des demandes sociales contradictoires, souvent bien au-delà de ce que prévoit leur cahier des charges ».
Mais le document ne s'arrête pas au constat. Il formule une série de propositions. A commencer par la nécessité de se doter d'une instance indépendante d'observation et d'analyse de la délinquance des mineurs pour pouvoir disposer de données fiables qui manquent aujourd'hui cruellement et sortir des analyses idéologiques. Autre lacune : alors que l'on constate l'augmentation des moins de 13 ans chez les mineurs qui se livrent à des actes de délinquance collective ou de violence urbaine, la plupart des dispositifs éducatifs sont conçus pour les plus de 16 ans. Il y a donc urgence, défendent les auteurs, à ce que ces pré-adolescents deviennent le « coeur de cible » de l'action éducative renforcée. Et que les moyens soient mis pour les comprendre (par le biais de recherches) et développer des expérimentations éducatives.
La formation n'est pas non plus oubliée : le rapport suggère ainsi de spécialiser la PJJ dans la formation à « l'éducation sous décision de justice » et de généraliser dans ce cadre les principes de l'éducation renforcée. Et, parallèlement, de revoir les règles de gestion des ressources humaines et d'affectation des personnels afin que les professionnels les moins expérimentés ne se retrouvent pas face aux situations les plus violentes. Par ailleurs, le rapport souhaite que les réponses interviennent plus sur les territoires de la délinquance plutôt que dans les institutions et formule des pistes pour instaurer une réelle coordination territoriale. Par exemple, la création d'une « cellule coordination Justice » départementale, de comités de suivi des établissements d'éducation renforcée dans lesquels seraient davantage impliqués les magistrats prescripteurs ou l'élaboration des schémas conjoints (Etat- collectivités locales) de « protection de l'enfance et de traitement de la délinquance juvénile ».
Certaines de ces pistes ont été reprises dans le cadre de la circulaire du 8 mars 2002 (2). En outre, une réforme du recrutement des éducateurs a été décidée lors du comité interministériel de réforme de l'Etat du 15 novembre 2001, indique la DPJJ. Celle-ci « doit permettre une plus grande diversité des modalités de recrutement :reconnaissance de l'expérience professionnelle à équivalence de diplôme, troisième voie qui permet de recruter sur des parcours personnels et professionnels plus divers ». Enfin, la réforme de la formation a été engagée « pour une mise en œuvre en septembre 2002 ».
I. S.
(1) Sous la direction de Guy Cauquil - Cabinet Cirese : 13, rue des Arcs-Saint-Cyprien - 31300 Toulouse - Tél. 05 34 51 28 60.
(2) Voir ce numéro.