(Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 et décision du Conseil constitutionnel n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, J.O. du 18-01-02)
Un certain nombre d'éléments attestent aujourd'hui de pratiques discriminatoires en matière d'accès au logement locatif.
En mai 2001, le Groupe d'étude et de lutte contre les discriminations se faisait l'écho de traitements défavorables réservés aux familles issues de l'immigration candidates à un logement social (1). De son côté, après avoir mis en évidence dans son dernier rapport annuel, « un certain nombre de maladresses fort fâcheuses » de la part des organismes HLM dans la collecte de l'information sur les candidats à un logement, la Commission nationale de l'informatique et des libertés jugeait bon, en janvier dernier, de rappeler qu'aucune information faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales des personnes concernées ne devait être collectée par les bailleurs sociaux auprès des demandeurs de logement (2). Quant aux témoignages recueillis par le numéro d'appel gratuit anti-discriminations - le 114 - (3), ils placent les discriminations en matière de logement au troisième rang après celles en matière d'emploi et les inégalités de traitement par la police et la gendarmerie.
Autant de raisons qui ont poussé le législateur à s'attaquer à ce phénomène dans le cadre de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002. Laquelle comporte, par ailleurs, tout un ensemble de mesures très diverses ayant trait au logement mais sans rapport direct avec le problème de la discrimination.
La protection organisée par la loi de modernisation sociale contre les discriminations dans la location de logement est exprimée en des termes assez proches de ceux prévus en matière d'emploi par la loi de lutte contre les discriminations du 16 novembre 2001 (4).
Le nouveau texte prévoit également deux mesures plus spécifiques aux problématiques rencontrées dans le secteur du logement. Le législateur s'est ainsi intéressé aux refus opposés aux candidats à la location dont les cautions sont de nationalité étrangère. Et il interdit, par ailleurs, aux bailleurs de demander un certain nombre de documents aux locataires potentiels, l'idée étant de limiter les risques de discriminations et d'atteintes à la vie privée.
La loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, dite « loi Mermaz », pose le principe du droit au logement. Une disposition complétée aujourd'hui, avec l'affirmation d'un principe général d'interdiction des discriminations dans la location de logements.
Ainsi, nul ne peut se voir refuser la location d'un logement en raison de (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art.1 er , al. 3 nouveau) :
son origine ;
son patronyme ;
son apparence physique ;
son sexe ;
sa situation de famille ;
son état de santé ;
son handicap ;
ses mœurs ;
son orientation sexuelle ;
ses opinions politiques ;
ses activités syndicales ;
ou son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Comme en matière d'emploi, le législateur a de nouveau eu à trancher la question de la charge de la preuve de la discrimination. Et a logiquement opté pour un aménagement comparable à celui prévu par l'article L. 122-45 du code du travail.
Ainsi, en cas de litige à la suite d'un refus de location d'un logement, la victime présumée doit présenter des « éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination » (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art. 1 er , al. 4 nouveau). A charge ensuite pour la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée. Le juge forme, en dernier lieu, sa conviction, après avoir éventuellement ordonné toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Une réserve a toutefois été émise par le Conseil constitutionnel. Les neuf sages ont ainsi souligné la nécessité pour le demandeur de présenter devant le juge civil (5) des éléments de présomption précis et concordants laissant supposer la discrimination. Ce faisant, les juges ont voulu faire prévaloir le caractère juste, équitable et contradictoire de la procédure. Et garantir, ainsi, le respect du principe des droits de la défense et d'un « équilibre des armes » acceptable entre parties.
Autre nouveauté introduite par la loi :l'interdiction de refuser une caution « au motif qu'elle ne possède pas la nationalité française » (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art. 22-1 al. 1 nouveau).
Au cours des débats, les sénateurs ont fait remarquer que la rédaction de la nouvelle disposition soulevait une ambiguïté et pouvait être sujette à deux interprétations.
Au sens étroit, il s'agirait d'interdire le refus d'une caution au seul motif que celle-ci, alors même qu'elle réside régulièrement et perçoit des revenus en France, n'aurait pas la nationalité française.
Au sens large, cette interdiction couvrirait l'ensemble des ressortissants étrangers, y compris couramment établis à l'étranger.
Une différence considérable aux yeux de la commission des affaires sociales du Sénat. En effet, « la plupart des bailleurs - ou leurs mandataires - refusent des cautions de nationalité étrangère résidant à l'étranger pour des raisons évidentes : les voies de recours contre ces cautions sont infiniment plus difficiles à mettre en œuvre - voire impossibles » (Rap. Sén. n° 404, juin 2001, Huriet, Seillier, Gournac et Bocandé).
Un faux problème, pour le député Gérard Terrier (PS) : si la nouvelle disposition vise bien à interdire que le critère de nationalité soit le seul fondement d'un refus de caution, elle laisse toujours le bailleur libre d'un tel refus pour des raisons objectives, qu'il pourra exposer devant le juge en cas de contentieux (Rap. A.N., n° 3385, novembre 2001, Terrier).
En règle générale, lorsqu'il met son bien en location, le bailleur cherche à s'entourer de garanties et demande au candidat à la location divers justificatifs relatifs notamment à son identité, à la composition de sa famille ou à ses ressources. Au risque parfois de porter atteinte à la vie privée des intéressés ou de constituer des éléments pouvant entraîner une discrimination à l'accès au logement.
C'est pour éviter de telles dérives que le législateur à prévu que le bailleur ne peut désormais plus réclamer à un locataire potentiel les documents suivants (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art. 22-2 nouveau) :
photographie d'identité ;
carte d'assuré social ;
copie de relevé de compte ;
attestation de bonne tenue de compte bancaire ou postal.
Pour le député Gérard Terrier (PS), l'exigence d'un relevé de compte constituait une intrusion « inacceptable » dans la vie privée du locataire, sans fournir pour autant la moindre assurance de paiement au bailleur. « Qui dit que le locataire paiera même s'il en a les moyens, qu'il les conservera ou encore qu'il n'a pas d'autres comptes en moins bonne santé ? », souligne le parlementaire (Rap. A.N. n° 3385, novembre 2001, Terrier).
De même pour l'exigence d'une attestation de bonne tenue du compte, qui pénalisait des locataires solvables mais ayant connu des difficultés temporaires, comme les anciens chômeurs, par exemple.
Possibilité pour les préfets de se substituer aux propriétaires pour expulser les occupants d'un immeuble insalubre, réduction de la durée de préavis de rupture du contrat de bail en faveur d'un locataire obtenant un premier emploi, possibilité pour les associations de représenter des locataires en cas de litiges individuels avec leur bailleur... Autant de mesures sans rapport direct avec le problème de la discrimination mais contenues néanmoins dans le volet logement de la loi de modernisation sociale.
La loi de modernisation sociale permet aux préfets de se substituer aux propriétaires pour l'expulsion des occupants d'un immeuble en cas d'insalubrité.
L'ancien article L. 1331-29 du code de la santé publique prévoyait que, lorsque le propriétaire ne se conformait pas aux prescriptions de l'arrêté d'insalubrité du préfet, ce dernier pouvait :
se substituer au propriétaire pour engager l'action aux fins d'expulsion des occupants lorsque la libération des lieux avait été ordonnée ;
se faire autoriser en justice à procéder d'office, et aux frais du propriétaire, aux travaux prescrits.
La loi de solidarité et de renouvellement urbains a modifié cet article pour permettre la réalisation d'office des travaux, passé un certain délai après une mise en demeure (6). Elle n'a toutefois pas repris la faculté de substitution du préfet au propriétaire pour faire expulser les occupants. Conséquence : la procédure pouvait être complètement paralysée, puisqu'en cas de carence du propriétaire pour faire expulser les occupants, le préfet ne disposait d'aucun moyen pour forcer le bailleur à engager l'action judiciaire, ni pour faire partir les occupants. D'où la modification introduite par la loi de modernisation sociale : si à l'expiration du délai imparti pour le départ des occupants, les locaux ne sont pas libérés, et en cas d'inaction de la part du propriétaire pour faire expulser les locataires, le préfet est dorénavant recevable à exercer une action aux fins d'expulsion, aux frais du bailleur (code de la santé publique, art. L. 1 331-29, al. 1 nouveau).
Le délai de préavis qu'un locataire doit respecter s'il souhaite rompre son bail est en principe de 3 mois. Il est toutefois réduit à un mois dans un certain nombre de cas :
locataire âgés de plus de 60 ans dont l'état de santé justifie un changement de domicile ;
bénéficiaires du revenu minimum d'insertion.
Il en est de même pour le locataire qui fait l'objet d'une mutation, perd son emploi ou obtient un nouvel emploi consécutivement à une perte d'emploi.
La loi de modernisation sociale ajoute à cette liste le cas du locataire obtenant un premier emploi (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art. 15, I, al. 2 modifié).
L'objectif est de favoriser la mobilité géographique des jeunes actifs afin de ne pas les handicaper dans l'accès à l'emploi.
La loi de solidarité et de renouvellement urbains a prévu que lorsque plusieurs locataires ont, avec un même bailleur, un litige ayant une origine commune, ils peuvent donner mandat à une association siégeant à la Commission nationale de concertation (7) et agréée à cette fin, d'agir en justice en leur nom et pour leur compte (6). Et si le litige porte sur la notion de « décence » du logement, le mandat peut être donné à une association agréée de défense des personnes en situation d'exclusion par le logement.
La loi de modernisation sociale va aujourd'hui plus loin en permettant à un locataire unique de donner mandat à une des associations précitées, pour agir à sa place dans le cadre d'un litige individuel (loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, art. 24-1, al. 1 modifié). L'idée étant de protéger les locataires les moins aptes à se défendre seuls.
L'obligation faite aux organismes HLM et aux sociétés d'économie mixte de procéder tous les 3 ans à une enquête sur l'occupation sociale de leur patrimoine est étendue à l'ensemble des bailleurs aidés (associations, collectivités territoriales...) (code de la construction et de l'habitation, art. L. 442-5 modifié).
Le locataire qui n'aurait pas répondu à cette enquête s'expose, en outre, à une pénalité de 7,62 €, majorée de 7,62 € par mois entier de retard, sauf s'il est établi que des difficultés particulières ne lui ont pas permis de répondre. Auquel cas l'organisme d'HLM doit mettre en œuvre les moyens adaptés pour que le locataire puisse s'acquitter de cette obligation.
La loi de modernisation sociale a aussi été l'occasion pour le législateur d'encadrer, de manière précise, le prix de location des meubles en cas de location ou de sous-location meublée. L'objectif : éviter que ce prix ne soit fixé à un niveau excessif et qu'une charge de logement trop lourde ne soit imposée au locataire ou sous-locataire concerné.
Ce prix ne sera ainsi plus fixé par le propriétaire mais par arrêté du ministre chargé du logement, en tenant compte du prix des meubles et de la durée de leur amortissement (code de la construction et de l'habitation, art. L. 442-8-3-1 et art. L. 353-20, al. 5 nouveaux). Et comme auparavant, il ne pourra excéder le montant du loyer.
Olivier Songoro
(1) « Les discriminations raciales et ethniques dans l'accès au logement social » - Note de synthèse n° 3 du GELD - Mai 2001 - Voir ASH n° 2215 du 18-05-01.
(2) Délibération CNIL n° 01-061 du 20 décembre 2001 - Voir ASH n° 2247 du 25-01-02.
(3) Voir ASH n° 2223 du 13-07-01.
(4) Voir ASH n° 2238 du 23-11-01.
(5) L'aménagement de la charge de la preuve introduit par la loi de modernisation sociale ne s'applique pas devant le juge pénal.
(6) Voir ASH n° 2195 du 29-12-00.
(7) Cinq organisations siègent actuellement à cette commission : Confédération nationale du logement (CNL), Confédération générale du logement (CGL), Confédération syndicale des familles (CSF), Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV), association Force ouvrière consommateurs.