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Un espace pour raccrocher à l'emploi les jeunes les plus fragiles

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Depuis plus d'un an, l'Espace Emergence tente de remettre les jeunes les plus fragiles et les plus éloignés de l'emploi sur le chemin de l'insertion professionnelle. Une démarche innovante et efficace qui allie action sociale et formation et repose sur un travail partenarial.

« Depuis deux ans, je regardais la télé, je glandais », explique doucement Karine. A 22 ans, cette jeune fille raconte qu'elle n'avait plus confiance en elle et pensait que tout ce qu'elle faisait « était nul ». Moins effacé, Olivier, 17 ans et demi,  pris en charge par l'aide sociale à l'enfance  (ASE), habite à l'hôtel depuis sept mois. Jusque-là il était persuadé que tout accès à la formation était impossible, parce qu'il est sans papiers. Arrivé en France au cours de l'année 2000, Siaka avoue qu'avant il ne faisait pas grand-chose... Trois jeunes aux parcours chaotiques où se mêlent échecs scolaires, précarité sociale, ruptures affectives et, parfois, problèmes identitaires. Et que les difficultés ont amenés à la porte de l'Espace Emergence (1).

Un fonctionnement tout en souplesse

Implanté dans le nord-est de la capitale, ce dispositif créé en février 2001 par l'Association nationale de réadaptation sociale constitue le premier espace de socialisation à avoir vu le jour à Paris afin d'accueillir les jeunes les moins qualifiés et les plus fragiles. Un public caractérisé par un bas niveau de qualification : près de 80 % des usagers reçus au cours des huit premiers mois avaient un niveau V, V bis ou étaient dans une situation d'illettrisme ; et des souffrances affectives et sociales importantes : la grande majorité présente des troubles psychologiques, parfois associés à des incarcérations passées.

Face à cette population, l'espace mise sur une grande souplesse, alliant action sociale et formation professionnelle. « L'objectif, c'est de préparer les jeunes à accéder à une formation ou à un emploi tout en essayant de résoudre les difficultés “périphériques” - administratives, de santé, d'hébergement, etc. -, afin qu'ils aient l'esprit plus libre par rapport à leur projet professionnel », précise Brahim Afatach, chargé des relations partenariales et de l'insertion pro-fessionnelle.

L'équipe élabore des actions « sur mesure » mêlant la dimension individuelle (via les entretiens de suivi et un accompagnement social) et la dimension collective, par le biais de neuf ateliers d'insertion :expression théâtrale, médiation par l'écriture, espace multimédia Internet, arts plastiques, culture et citoyenneté, multisports, permanence emploi, groupe de parole, remise à niveau. Orientés essentiellement par les missions locales parisiennes, les centres sociaux et les associations, les jeunes participent à des entretiens préliminaires permettant de faire le point sur leur parcours, leurs difficultés et de présenter le dispositif.

Après une période de un mois, destinée à faire le tour des activités proposées, un contrat renouvelable de deux mois est signé sur la base de la « formule » retenue par chacun des stagiaires. Car ces derniers peuvent choisir de participer à l'ensemble des ateliers, de moduler avec des activités extérieures, telles que les Ateliers pédagogiques personnalisés ou des cours du soir, ou encore d'alterner les activités de l'espace avec des missions d'intérim de quelques jours. « Ces allers et retours, notamment lorsque le jeune obtient des missions d'intérim, sont intéressants. Ils nous apportent des éléments de réflexion sur la façon dont il a découvert tel ou tel secteur d'activité et sur ses facultés d'adaptation au milieu du travail », insiste Farida Yacef-Taleb, directrice de l'Espace Emergence.

24 ESPACES DE SOCIALISATION D'ICI À 2006

Création originale, les « espaces de socialisation » ont vu le jour en 1997 (d'abord en banlieue parisienne) à l'initiative du conseil régional d'Ile-de-France, afin de prendre en charge les jeunes de 16 à 25 ans les plus en difficulté. Il s'agissait alors de répondre aux failles rencontrées par un autre dispositif régional créé en 1996 : les « plates-formes de mobilisation ». « On s'est rendu compte que ces dernières, mises en place pour aider les jeunes très déstructurés à définir un parcours d'insertion et un projet professionnel, présentaient des contraintes trop importantes pour ce public », explique Farida Yacef-Taleb, directrice de l'Espace Emergence. D'où l'instauration d'une formule à la convergence de l'action sociale et de la formation professionnelle, très souple dans sa mise en œuvre et son fonctionnement. Après une période expérimentale, le conseil régional a décidé, en 1999, de créer deux espaces de socialisation par département jusqu'à la fin 2000. Les espaces de socialisation ont pour objectif de recevoir chaque année au minimum 100 jeunes, aussi bien pour un accueil-orientation que pour un suivi plus long qui varie en fonction des besoins de chacun d'eux. La durée moyenne est d'environ quatre à cinq mois. « C'est un public hétérogène, souligne Lætitia Quilichini, chargée de mission au conseil régional, où l'on trouve surtout des jeunes qui ne sont pas armés pour intégrer un travail et s'y maintenir et qui ont besoin de se poser pour faire le point sur leur histoire personnelle, réamorcer une couverture sociale ou un suivi médical et commencer bien sûr à dessiner un projet de vie global. » 16 espaces existent aujourd'hui en Ile-de-France et ils devraient être 24 d'ici à 2006 (trois par département). La région cofinance chaque structure à hauteur de 50 % de son coût de fonctionnement et prend en charge la rémunération des jeunes qui ont le statut de stagiaire de la formation professionnelle. Dispositif partenarial, les espaces bénéficient également d'un cofinancement des conseils généraux et des services déconcentrés de l'Etat. Seule exception : l'Espace Emergence est financé à 50 % par la région et à 50 % par la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé de Paris.

L'importance du réseau

Tout au long du dispositif, le suivi individuel est assuré simultanément par l'éducatrice spécialisée et le responsable de l'insertion professionnelle qui assiste les stagiaires dans l'élaboration de leur projet. Cet accompagnement suppose un important travail en réseau avec les partenaires en charge de l'hébergement (associations, centres d'accueil d'urgence, etc.), de l'emploi et de la formation (missions locales, centres d'initiatives pour l'emploi des jeunes, Agence nationale pour l'emploi), de la santé, du social, de l'aide juridique ou encore de la politique de la ville. « Cette articulation d'actions internes et externes est importante, car elle montre aux jeunes qu'ils ne sont pas ici dans la toute-puissance, qu'on ne peut pas répondre à tout », explique la directrice. Une façon également de montrer à un public déstructuré la nécessité du lien avec l'extérieur.

Cette réflexion autour du lien est aussi présente dans le volet collectif du dispositif : les ateliers d'insertion. Lien avec les autres, travaillé dans le groupe de parole ou l'atelier d'expression théâtrale, mais également ouverture vers le monde extérieur par l'initiation aux nouvelles technologies de l'information. « La plupart des jeunes qui surfent sur Internet, vont sur des sites qui leur permettent de rencontrer d'autres communautés de jeunes, apprennent à communiquer par e-mail, etc. », indique Pascal Hippomene, animateur de l'espace Multimédia- Internet.

Au-delà de l'acquisition de connaissances, ces ateliers visent à développer la socialisation, stimuler la curiosité, travailler la persévérance (en allant par exemple jusqu'au bout d'une recherche sur Internet), accepter les règles de vie dans une collectivité, se confronter à l'autre... Très apprécié par les jeunes, l'atelier Internet permet aussi de s'approprier une technologie favorisant l'intégration dans le monde actuel et de développer l'autonomie et le sens critique. Mais une grande partie du travail des animateurs d'ateliers consiste surtout à aider les jeunes à restaurer l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. « J'ai vu une jeune stagiaire qui n'avait jamais touché un ordinateur changer de façon extraordinaire au bout de trois séances. J'ai senti que cette jeune fille, qui arrivait à s'occuper des autres, avait pu retrouver une image positive d'elle-même », se souvient Pascal Hippomene.

« Je suis étonnée par la richesse intérieure de nombre de jeunes que je vois, mais j'ai l'impression que les histoires extrêmement dures auxquelles ils ont été confrontés les ont enfermés dans un imaginaire, une sorte d'idéal qui les empêche de s'inscrire dans la réalité. La moindre frustration apportée par la réalité extérieure fait barrage au désir, et donc à tout projet vraiment concret », explique la psychologue Aurore Di-Ruzza, qui conduit les groupes de parole. Lesquels permettent également aux jeunes de faire l'expérience de l'altérité et des règles indispensables à l'échange. Certains ateliers visent d'ailleurs à redonner une place centrale à leur parole. « Ce sont souvent des jeunes qui ont l'impression de parler dans le vide. J'ai tendance donc à marquer ce qu'ils disent pour leur montrer que leur pensée compte, qu'on peut parler autour de leur parole, sans jugement. C'est important pour qu'ils puissent ensuite transposer cela à l'extérieur, dans leurs rencontres, leur travail », analyse Aurore Di-Ruzza.

Ce processus de revalorisation de l'image de soi est essentiel, comme en témoignent les bénéficiaires eux-mêmes, Si, Olivier était d'abord très sceptique quant à l'efficacité d'un dispositif qui ne lui permettait pas d'intégrer directement un cycle de scolarisation, il a rapidement changé d'avis : « Dès la première semaine, j'ai aimé les ateliers parce qu'il y avait un respect des uns envers les autres, un engagement des animateurs. Et puis, l'atelier d'écriture, ça fait vraiment ressortir le génie du jeune, de ses pensées. » Un avis partagé par Karine, qui assure « avoir retrouvé confiance en elle ». Aujourd'hui, elle se dit bien décidée à entamer un brevet d'enseignement professionnel  (BEP) d'informatique pour travailler dans ce secteur. Olivier a réalisé, quant à lui, que l'obtention de ses papiers ne constituait plus un préalable entravant toute perspective d'accès à la formation (2). Aussi, va-t- il intégrer une seconde professionnelle en vue d'accéder à un BEP. Tandis que Siaka a passé avec succès les tests d'évaluation du rectorat de Paris pour intégrer en septembre une classe de BEP de mécanique.

Ces parcours, illustrent l'efficacité de la double approche (socialisation et insertion professionnelle) développée par l'équipe de l'Espace Emergence. Au bout des huit premiers mois de fonctionnement, un peu moins de la moitié des 76 stagiaires ont accédé à une formation (ateliers pédagogiques personnalisés, plates-formes linguistiques, apprentissage, etc.), un emploi (contrats emploi-solidarité, chantiers d'insertion, missions d'intérim, centres d'aide par le travail, etc.) ou ont commencé à élaborer un projet professionnel.

C'est encourageant, reconnaissent les responsables, qui pointent toutefois une limite au dispositif : lorsqu'il s'agit de tenter d'intégrer des jeunes présentant des troubles graves de la personnalité qui relèvent davantage d'un hôpital de jour que d'une insertion sociale et professionnelle. D'où la nécessité de sensibiliser davantage les partenaires en amont pour qu'ils puissent effectuer des orientations plus adaptées. Comme le reconnaît Brahim Afatach, « c'est un travail de communication que l'on doit réactualiser en permanence. »

Henri Cormier

Notes

(1)  Espace Emergence : 24, rue Ramponeau - 75020 Paris - Tél. 01 47 97 04 33.

(2)  Des aménagements existent pour les jeunes mineurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance.

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