Ni retour au temps du biniou ou de la djellaba, ni déni de ses origines et illusion d'une existence sans passé : chacun est à la fois le fidèle dépositaire et le recompositeur créatif d'une histoire familiale qu'il s'approprie en lui imprimant son style propre. Mais que peut transmettre de la génération d'avant et comment, celui qui vit déraciné ou comme en exil à l'intérieur même du pays où il est né ? C'est à cette réflexion sur le contenu et les conditions d'exercice de la fonction de « passeurs » - particulièrement lorsqu'elle se trouve mise en difficulté par la migration -, que se livre Jacques Hassoun, psychanalyste décédé en 1999 et dont l'ouvrage vient de paraître. « Il est certain que la question de la transmission ne se pose pas pour toutes les catégories d'une population de la même manière », souligne l'auteur. Quelles que soient toutefois les situations familiales, il semble non moins évident, au fil de la lecture, que le silence à l'endroit d'un passé englouti et d'un présent en devenir constitue, pour l'enfant, un empêchement à entrer et s'insérer dans la vie sociale. Il n'y a pas de « à suivre » possible pour qui n'est pas, tout à la fois, en mesure de « mettre ses pas dans les pas de son père » et de s'en écarter suffisamment pour avoir sa propre marge d'interprétation. « Le gage que la traversée de la passe a réussi, écrit Jacques Hassoun, se trouve dans ce léger déplacement : cela s'appelle subjectiver - “individualiser” - un héritage afin de pouvoir le reconnaître comme sien. »
Les contrebandiers de la mémoire - Jacques Hassoun - Ed. La Découverte - 15 € .