Parce que 75 % des Français meurent à l'hôpital, alors qu'ils préféreraient finir leur vie chez eux, Bernard Kouchner annonçait un nouveau plan d'action en faveur des soins palliatifs le 22 février (1). Celui-ci prend appui sur des expériences de terrain, à l'image du réseau de soins palliatifs des Hautes-Pyrénées qui a choisi de conjuguer l'approche médicale et sociale. Une équipe mobile - sept médecins, quatre infirmiers et deux psychologues - se déplace chez les personnes suivies. Le réseau, organisé en bassins de vie sur le département, travaille en coordination avec les soignants des secteurs public et privé. Cha- que fois, il s'agit de créer une équipe médico-sociale (médecins, infirmières, kinésithérapeutes, aides-ménagères, assistantes sociales) qui pourra intervenir au domicile du patient et assurer une veille 24 heures sur 24. Des réunions de coordination permettent de définir les besoins et de préciser les contraintes. Et chaque fois, le médecin traitant peut accepter ou non de participer.
Le projet est né en 1995, de la rencontre des membres de la Société pyrénéenne de soins palliatifs (SP2) (2) et du directeur de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Tarbes, Gilles Arzel. Intervenant depuis deux ans, l'association SP2 est constituée de soignants et de bénévoles qui accompagnent les familles des malades. « A l'époque, le gouvernement avait lancé l'idée d'expérimentation de réseaux de soins et nous avons décidé de monter un projet ensemble, raconte Martine Couderc, médecin, cofondatrice de SP2 et coordinatrice du réseau. Il s'agissait d'une structure de soins virtuelle qui reposerait sur l'ensemble des acteurs locaux. » A la CPAM, quatre assistantes sociales participent au dispositif. La mutualité sociale agricole (MSA) fait également partie du réseau, chaque assistante sociale pouvant être sollicitée suivant le secteur géographique concerné. « Le dispositif correspond à une demande des personnes qui veulent finir leur vie à la maison, souligne Anne-Marie Delasse, responsable de l'action sociale à la MSA. Dans notre société qui a complètement aseptisé l'idée même de la mort et qui ne veut pas entendre parler de douleur, la mise en place de ce réseau permet d'assumer un peu mieux la fin de la vie de ceux que l'on aime. » L'objectif est de favoriser le maintien à domicile des personnes en lien avec l'hôpital. Et de parvenir à l'équilibre entre les souhaits des malades, la disponibilité de l'entourage et la sécurité médicale.
Pendant l'élaboration du projet, la dimension sociale s'est rapidement imposée. Car les soins palliatifs supposent une approche globale des situations. Ce volet a été confié à Monique Dubarry, assistante sociale à la caisse primaire d'assurance maladie de Tarbes. Le soutien doit être psychologique et financier, il faut informer et épauler ceux qui vont accompagner le malade. Et voir, avant de proposer un retour à la maison, qui, dans l'entourage du patient, sera en mesure d'assurer cette fonction et si les ressources sont suffisantes. « Une bonne connaissance du contexte social est nécessaire pour mesurer la faisabilité du maintien à domicile et il faut bien expliquer comment cela va se passer et sur quelles aides il est possible de compter », explique Monique Dubarry. Il s'agit aussi de trouver les moyens de couvrir une partie des frais inhérents au maintien à domicile. Celui-ci implique du matériel médical, des visites régulières de personnels soignants, mais aussi des gardes à domicile. Le service social intervient pour définir les aides nécessaires et sollicite les institutions. Il s'efforce de trouver les associations d'aide à domicile les plus proches du lieu de vie et, éventuellement, de coordonner les plannings d'intervention. Enfin, pendant la période de retour à domicile, les assistantes sociales de la caisse primaire d'assurance maladie ou de la MSA effectuent un suivi et un soutien de l'entourage, en liaison avec les assistantes sociales du département.
« Le réseau touche des publics très différents en âge, en type de régime de protection sociale et en catégorie administrative, précise Monique Dubarry. Or, suivant les personnes, les aides et les régimes sollicités sont différents si elles sont ou non retraitées, au régime général, en groupe iso ressources plus ou moins dépendant... Dans un premier temps, il faut repérer tous les dispositifs que l'on peut solliciter. Ensuite, il faut généralement en empiler différents pour une même situation, car un seul ne suffit pas pour couvrir les frais. » Ce bricolage révèle les lacunes du système qui n'a prévu aucune aide spécifique à la fin de vie. Malgré l'accumulation des prestations légales (allocation personnalisée d'autonomie, allocation compensatrice pour tierce personne...) et extra-légales, il reste souvent une certaine somme à la charge de la famille pour payer une aide-ménagère ou une garde-malade. Par exemple, l'allocation personnalisée d'autonomie versée au taux le plus important ne permet d'assurer que 90 heures de garde malade en journée, soit de 10 à 15 jours par mois au tarif journée et hors week-end. « La faiblesse des prestations pour le maintien à domicile [APA, ACTP...] est une des limites de cette expérience de réseau », affirme Danielle Marracq, responsable du service de la coordination de l'action sociale en faveur des personnes âgées au conseil général des Hautes-Pyrénées. « Sans compter qu'on ne peut jamais dire aux familles combien va leur coûter l'aide- ménagère et de quelle allocation elles peuvent bénéficier, déplore Stéphanie Grimaud, assistante sociale de la caisse régionale d'assurance maladie pour le réseau. Du coup, ces familles déjà fragilisées par la maladie se trouvent dans l'incertitude financière. » Et la création d'une allocation spécifique par la sécurité sociale (voir encadré) n'a pas résolu toutes les difficultés.
Un autre problème tient aux délais. Les soins palliatifs fonctionnent généralement dans l'urgence, certaines maladies se déclarant et évoluant extrêmement vite. Un patient peut passer en phase terminale du jour au lendemain et l'espérance de vie moyenne des malades admis excède rarement deux ou trois mois. Afin d'accélérer les procédures, Monique Dubarry a rencontré les correspondants du conseil général pour présenter le réseau et ses exigences particulières. « Je souhaitais mettre en place des modes de fonctionnement rapides et le conseil général a bien joué le jeu, raconte l'assistante sociale. Sur la prestation spécifique dépendance, il a instauré des procédures d'urgence qui se sont avérées très efficaces. » Mais ces dernières sont aujourd'hui remises en cause par l'allocation personnalisée d'autonomie, qui remplace la prestation spécifique dépendance (PSD). Le traitement d'urgence a été prévu par la loi, mais il ne donne droit qu'au versement d'une partie de l'allocation personnalisée d'autonomie dans des délais rapides, le barème exact devant être défini grâce à l'examen de l'assistante sociale. Du coup, les sommes allouées en urgence ne dépassent pas 540 € par mois et sont souvent complétées après le décès du patient et le travail de collaboration entre le département et le réseau est moins riche. « Avec la PSD, nous passions du temps à étudier chaque situation très précisément et établissions un plan d'aide en lien avec la CPAM ou la MSA, explique Danielle Marracq. Avec l'allocation personnalisée d'autonomie, nous versons automatiquement une aide sans nous investir davantage. »
Au-delà des compétences propres de chacun de ses membres, le succès du dispositif tient au bon fonctionnement du travail collectif, la principale qualité d'un réseau étant d'être homogène et bien organisé. Pour les partenaires médicaux et sociaux, le pari est réussi. Ces deux mondes étrangers l'un à l'autre arrivent aujourd'hui à bien communiquer. « Les informations données par les soignants nous aident à mieux comprendre la situation et à anticiper les périodes de crise dues à l'évolution de la maladie, remarque Monique Dubarry. Tout le monde met un peu du sien pour que les choses marchent bien. » Les soignants peuvent ainsi aider les assistantes sociales à ajuster les aides en fonction de l'état du malade. « Parfois, lorsqu'on sent que la fin est proche, on peut dire au service de mettre le paquet sur les prestations, sans penser à la suite », précise Martine Couderc.
Les soignants apprécient aussi les informations apportées par les travailleurs sociaux. Grâce aux évaluations du contexte social, ils peuvent plus facilement se prononcer pour ou contre le maintien à domicile. Totalement étrangers au travail social, ils pressentaient souvent les besoins à satisfaire sans comprendre pourquoi ce n'était pas fait. En découvrant la complexité du système et la modestie des moyens, ils relativisent leurs récriminations. « Cette dimension est indispensable dans la préparation au retour à la maison, affirme Thierry Godet, médecin référent du réseau. Elle permet d'évaluer les conditions financières du retour à domicile et de voir s'il est possible dans de bonnes conditions. »
Mais les assistantes sociales regrettent que les autres travailleurs sociaux soient insuffisamment sensibilisés aux soins palliatifs. « Il est difficile de faire comprendre l'urgence d'une demande quand l'interlocuteur n'a aucune idée de la situation », remarque Stéphanie Grimaud. Laquelle déplore par ailleurs que les assistantes sociales qui participent au dispositif n'aient pas pu bénéficier d'une formation aux soins palliatifs et d'un suivi psychologique dans le cadre de l'expérimentation. Car les intervenants sont constamment confrontés à la mort et ont souvent à répondre à des questions embarrassantes de l'entourage ou du malade. Il n'empêche : au terme de ses trois ans d'existence, ce réseau de soins palliatifs aura été convaincant. Avec un tiers d'hospitalisation en moins chez les personnes suivies qui se voient proposer un accompagnement à la fin de vie à domicile, il aura prouvé qu'intérêts économique et humain n'étaient pas forcément antinomiques.
Florence Pinaud
Dans le cadre de cette expérimentation, la sécurité sociale a créé, en mai 2000, une nouvelle allocation pour les réseaux de soins palliatifs : l'allocation de garde à domicile réservée aux caisses dont le département dispose d'un tel réseau. Délivrée exclusivement par les caisses primaires d'assurance maladie et d'un montant maximum de 1 264 € (en 2002), elle est attribuée sous condition de ressources et versée pour un trimestre, reconductible une fois. Le bénéficiaire doit justifier de l'emploi d'une garde-malade et que cette dépense dépasse au moins de 20 % l'allocation de garde à domicile.
(1) Voir ASH n° 2252 du 1-03-02.
(2) Société pyrénéenne de soins palliatifs : 4, place du Marché-Brauhauban - 65000 Tarbes - Tél. 05 62 93 90 09.