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Les parcours tout en ruptures des personnes exclues

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 Les perso nnes en détresse accueillies dans les structures d'hébergement ou d'insertion ont souvent connu des ruptures au cours de l'enfance ou à l'âge adulte. Les intervenants [...] se sentent souvent désarmés face à ces problèmes, tant ils semblent complexes, voire parfois irrémédiables. » Réalisée par l'Observatoire sociologique du changement, en partenariat avec la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS)   (1), une enquête tente d'éclairer ces ruptures, leur interdépendance et les comportements qu'elles créent à l'égard des institutions (2). C'est la première recherche qui met ainsi le projecteur sur l'ensemble des parcours depuis l'enfance.

Un substrat d'instabilité familiale

Menée durant l'été 2000 et l'hiver suivant auprès de 1 160 personnes interrogées dans 120 organismes et 17 départements, l'enquête se veut représentative des populations sans domicile ou en grande précarité qui fréquentent les services d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Sans surprise, on y relève une surreprésentation des hommes (60 %), des jeunes (25 % de moins de 25 ans contre 15 % dans la population générale), des étrangers (20 %). La distance est plus grande encore avec l'environnement pour ce qui est du statut matrimonial : les personnes mariées ne sont que 14 % (contre 53 % en général), tandis que les célibataires sont en surnombre (52 % contre 38 %), de même que les personnes séparées ou divorcées (23 %contre 7 %). Au total, près de 90 % ont vécu des ruptures de couple. Dans deux cas sur trois, la solitude est vécue comme une souffrance.

L'enquête explore d'abord les difficultés survenues au cours de l'enfance : la famille a connu des problèmes d'argent (33 % contre 17 % dans la population générale), les parents ont souvent eu des problèmes de chômage prolongé (23 %), de santé (33 %), d'alcoolisme (29 %), ils se sont gravement disputés (38 %) ou se sont séparés (33 %). Les personnes interrogées ont aussi été personnellement victimes de troubles de santé (25 %), de mauvais traitements (28 %), d'abus sexuels (11 % au total et 18 % pour les femmes) ou ont connu un placement par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales  (DDASS) (20 % et même 24 % si l'on considère les seuls Français, contre 2 % pour l'ensemble de la population). « Ce constat d'une forte instabilité familiale a jusqu'à présent été peu pris en compte dans l'analyse des inégalités, plus souvent regardées sous l'angle économique ou sous celui de la catégorie socio-professionnelle », notent les deux responsables de l'enquête, Serge Paugam, directeur de recherches au CNRS, et Mireille Clémençon, sociolo-gue. Autre indicateur : les perturbations de la scolarité. 40 % des personnes interrogées n'ont aucun diplôme et plus de 80 % ont un niveau inférieur au bac. Mais, comme pour empêcher toute généralisation, 10 % se situent à bac + 2 et au-delà.

Des interventions multiples

Les difficultés rencontrées à l'âge adulte frappent aussi par leur importance : 33 % ont connu des problèmes d'endettement, 25 % ont eu affaire à la justice et 20 % à la prison, 59 % ont été affectés par le décès d'un proche, 55 % connaissent « une souffrance occasionnée par un tiers », 34 % ont été victimes de violences, 21 % sont passés par l'hôpital psychiatrique, 23 % ont fait une tentative de suicide et 27 % ont eu des problèmes liés à l'alcoolisme. Ces chiffres révèlent l'intensité des obstacles rencontrés, mais aussi la multiplicité des interventions dont ces personnes ont déjà fait l'objet (DDASS, justice, hôpital, etc.), remarquent les auteurs.

Interrogées sur les difficultés facilement surmontées, les personnes citent les problèmes d'alcool et de drogue, la condamnation par la justice, le séjour en hôpital psychiatrique ou encore le fait d'avoir un enfant non désiré. Parmi les épreuves qui, au contraire, marquent durablement figurent l'endettement, les accrocs de santé, le placement des enfants, la souffrance infligée par un tiers, les abus sexuels et les problèmes affectifs. Dans ce classement parfois surprenant comme sur toutes les questions qu'ils examinent- du manque d'estime de soi à l'isolement social -, les auteurs vérifient, par recoupement, l'influence « des difficultés rencontrées dans l'enfance, qui peuvent se maintenir durablement, voire s'aggraver, à l'âge adulte ». Serge Paugam s'étonne encore de constater à quel point cette corrélation est systématique.

Un engrenage inattendu

Questionné sur les difficultés les plus souvent rencontrées, le public de l'enquête évoque la chute des ressources (62 %), la perte du logement (55 %) et de l'emploi (53 %) et la rupture du couple (52,5 %). Mais quand ces mêmes personnes sont interrogées sur l'ordre d'apparition de leurs problèmes, hommes et femmes citent en premier la rupture du couple (19 %), puis les difficultés dans l'enfance (11 %), la perte d'emploi (10 %), le décès d'un proche (9 %), avant la perte du logement et l'alcoolisme (6 %). Selon leur ordre de survenance, certaines difficultés apparaissent comme des causes (rupture du couple, ennuis de santé, alcoolisme), d'autres comme des conséquences (chute de ressources), la perte de l'emploi ou du logement ne venant souvent qu'en deuxième position après les problèmes personnels. Cet ordre « remet en question la représentation habituelle » de l'engrenage de la pauvreté qu'ont les travailleurs sociaux et les acteurs de l'insertion « qui ont tendance à classer en premier le domaine d'action qui est le leur », jugent les auteurs.

Quel est le rapport des personnes interrogées aux institutions ? Elles se considèrent plutôt bien accueillies par les médecins et pharmaciens (à 94 %), les foyers et centres d'hébergement (90 %), les hôpitaux (86 %), la sécurité sociale (85 %), les caisses d'allocations familiales (78 %), les services de l'emploi et les entreprises (77 %), les services municipaux (76 %) et les banques (75 %). Par contre, l'avis est moins favorable pour l'accueil de la police et de la justice (52 et 48 %). 74 % des personnes estiment que les personnels des services sociaux ne manifestent pas de comportements désobligeants à leur égard et la majorité juge aussi plutôt positivement les aides apportées. Un sentiment de confiance est exprimé envers les associations d'aide (67 %), la famille (64 %), les travailleurs sociaux (63 %). Beaucoup moins envers l'Agence nationale pour l'emploi (40 %) les syndicats (29 %) et les hommes politiques (15 %). « La confiance dans les institutions décroît fortement en fonction du nombre de difficultés rencontrées dans la jeunesse et des ruptures intervenues dans les apprentissages sociaux, précisent à nouveau les enquêteurs. Lorsque le lien de filiation et le lien d'intégration sont rompus ou fragilisés depuis l'enfance, il existe donc une forte probabilité que le lien de citoyenneté soit également rompu ou à la limite de l'être. »

Si les sociologues se proposent de poursuivre l'exploitation de cette enquête, les associations et les pouvoirs publics ont aussi « beaucoup de leçons à en tirer », estime Jean-Paul Péneau, directeur général de la FNARS. « Car si elle confirme ou démontre des résultats que l'on avait déjà, elle contredit aussi des présupposés ou des idées très répandues sur le terrain. » Les politiques centrées sur l'accompagnement vers le logement ou vers l'emploi ne peuvent suffire dans la lutte contre l'exclusion, il faut une action moins cloisonnée et sans doute un accompagnement plus personnalisé des individus. Jean-Paul Péneau détecte d'ailleurs des « débuts de réponse » en ce sens avec le développement de la médiation familiale ou les coopérations, ici et là, entre les structures d'accueil et le système de soins psychiatriques. Un optimisme également affiché par les personnes, qui gardent « confiance dans leur possibilité de s'en sortir ». Ce qui constitue « un puissant levier pour leur réinsertion ».

 M.-J. M.

Notes

(1)  Avec le soutien des ministères chargés des Affaires sociales, de la Justice et du Logement, de la Fondation Abbé-Pierre et l'aide de nombreuses institutions.

(2)  Détresse et ruptures sociales - La synthèse (30 pages) est disponible gratuitement à la FNARS : 76,  rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 48 01 82 00.

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