Le 28 février, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts très attendus par les victimes de maladies professionnelles liées à l'amiante, leur accordant une majoration de leur réparation au titre de la faute de leur employeur, reconnue inexcusable. Elle admet aussi, dans l'un d'entre eux, que les ayants droit de la victime peuvent être indemnisés du préjudice moral de la victime décédée. Une solution dont se réjouissent les associations qui les défendent (1). Et qui semble avoir vocation à s'appliquer à l'ensemble des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle autre que liée à l'amiante.
Selon la Haute Juridiction, l'employeur, en vertu du contrat de travail, est tenu envers le salarié « d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par son entreprise ; [...] le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ».
Pour la première fois, la cour estime que l'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation de sécurité de résultat. L'employeur qui ne parvient pas à l'atteindre, alors qu'il avait - ou aurait dû avoir - conscience du danger auquel il exposait son salarié, et qui n'a pas mis en œuvre les moyens de l'en préserver, se rend, selon la cour, coupable d'une faute inexcusable. Laquelle permet aux victimes d'améliorer leur réparation (forfaitaire) par l'octroi d'une majoration de leur rente (ou de l'indemnité en capital), ou/et par la réparation des préjudices liés aux souffrances physique et morale, à l'esthétique ou l'agrément ainsi que celui résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle...
La faute inexcusable n'est donc plus appréciée comme étant d'une « exceptionnelle gravité » (2). Il faut néanmoins que l'employeur ait - ou aurait dû avoir - conscience du danger. Dans les arrêts du 28 février, la Haute Juridiction a estimé que tel était le cas et rejeté ainsi les arguments des employeurs tirés de la méconnaissance scientifique, à l'époque, des effets néfastes de l'amiante et du fait qu'elle n'a fait l'objet d'une réglementation spécifique qu'en 1977. Il est vrai qu'il existait déjà auparavant des textes protecteurs pour les salariés travaillant en milieu exposé à des poussières industrielles dangereuses pour la santé.
Enfin, la Cour de cassation a, pour la première fois, admis que les ayants droit d'une victime de l'amiante décédée des suites de sa maladie étaient recevables à exercer l'action en réparation du préjudice moral personnel de la victime résultant de sa maladie. Elle accorde ainsi la transmissibilité de l'action en réparation de la victime à ses héritiers. Lesquels peuvent également agir en réparation du préjudice moral qu'ils subissent personnellement du fait du décès de la victime. Selon les conclusions de l'avocat général à l'audience, un tel principe devra, par cohérence, être « le moment venu » étendu « au domaine des accidents du travail ».
La cour a ainsi rendu une décision favorable aux victimes de l'amiante qui, rappelons-le, peuvent s'en prévaloir sans se voir opposer une prescription de leurs droits. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 a permis la réouverture des dossiers de toutes les victimes de l'amiante pour leur permettre d'agir en justice -y compris au titre de la faute inexcusable de leur employeur -dès lors que leur maladie a fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et le 1erdécembre 1998 (3).
A cette occasion, le gouvernement a annoncé l'installation « dans les tous prochains jours » du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Et il envisage également de réformer la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, pour permettre la réparation intégrale des préjudices subis par leurs victimes. Le gouvernement s'appuiera sur les conclusions d'un groupe de travail, créé à cet effet et animé par Michel Yahiel, inspecteur général des affaires sociales, qui devraient être rendues à la fin du mois.
(1) Voir ce numéro.
(2) Jusqu'à présent, et depuis 1941, la faute inexcusable était définie par la jurisprudence comme « une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative mais ne comportant pas d'élément intentionnel ».
(3) Voir ASH n° 2246 du 18-01-02.