A u total, ce sont sans doute plus de trois millions de personnes qui n'ont pas de logement ou pas de logement décent. » Comme chaque année, la Fondation Abbé-Pierre, qui fête son dixième anniversaire, dresse un état des lieux complet du mal-logement en France (1). Celui-ci, en effet, ne concerne pas seulement les 86 000 sans domicile recensés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (2), mais également toutes les personnes hébergées durablement en hôtel, par des parents ou des amis, ou recourant à un habitat de fortune - près de 200 000 -, celles qui sont en habitat temporaire et précaire (sous- location...) - plus de 500 000 - et les deux millions de personnes environ vivant dans un million de logements dépourvus du confort sanitaire de base (sans douche ou W.-C., ou sans les deux).
La faiblesse de la construction locative sociale joue évidemment un rôle dans cette situation. Elle représente moins de 15 % de la construction globale de logements, un niveau qui « demeure inférieur aux besoins, alors que les crédits disponibles ne sont pas consommés ». En 1999, seulement 37 000 logements sociaux neufs ont été mis en location, contre 60 000 en 1995. Et « l'affaiblissement continu du rôle social du parc privé » vient aggraver cette pénurie : la proportion de logements conventionnés - c'est-à-dire dont le loyer est maîtrisé - dans l'ensemble des logements est passé de 8,2 % en 1998 à 7,1 % en 2000. En fait, seuls 10 % des habitations de cette partie du parc privé qui sont réhabilitées conservent leur vocation sociale après les travaux.
Cette tendance est d'autant plus alarmante que la reprise économique et la baisse du chômage « n'ont pas eu d'effets d'entraînement immédiats et systématiques sur la précarité et la pauvreté », rappelle la fondation, qui constate que « le salariat ne protège pas de la pauvreté ceux qui travaillent à temps partiel ou disposent de très faibles rémunérations ». Son rapport met l'accent, cette année, sur les difficultés rencontrées par certaines catégories professionnelles occupant des emplois de services (nettoyage collectif, sécurité, hôtellerie et restauration), pour qui « accéder à un logement décent reste une gageure ». Conditions de travail précaires, horaires décalés, revenu très modeste, ces « soutiers de la ville » cumulent les handicaps. Et pourtant, le problème de logement auquel ils sont confrontés demeure « invisible » à la fois pour les organismes HLM « qui ne peuvent traiter cette demande différemment des autres », pour les collecteurs du 1 % logement « qui ne sont que très rarement sollicités par les employeurs concernés », et pour les services sociaux « qui ont d'autres priorités que le logement de salariés ».
Faute d'une offre locative adaptée suffisante, et devant la saturation du parc d'hébergement d'urgence et d'habitat temporaire - notamment en raison de l'afflux de demandeurs d'asile -, nombreux sont ceux qui « refluent vers le parc hôtelier à bon marché ou vers des formes d'habitat plus précaire encore », comme les campings. Le recours à l'hôtellerie, insiste la fondation, est une « solution particulièrement onéreuse pour la collectivité et souvent inadaptée aux besoins ». Sans compter que la recherche d'une chambre « s'apparente de plus en plus à un parcours du combattant », conséquence de l'augmentation de la demande et de la disparition du parc hôtelier bas de gamme dans les villes. Le nombre de chambres en hôtel meublé à Paris est par exemple passé en une décennie de 31 600 à 18 000. Résultat : une vive concurrence entre les diverses structures qui recourent à cette « soupape de sécurité » (centres d'accueil, centres communaux d'action sociale, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, SAMU sociaux, centres d'accueil de demandeurs d'asile...), ce qui « alimente la spirale inflationniste des tarifs hôteliers ». Quant à l'hébergement dans des campings, il constitue un « phénomène émergent et inquiétant ». Parmi les personnes qui y recourent, certaines, assez aisées, l'ont choisi comme mode de vie alternatif. Mais pour l'immense majorité, il s'agit d'une solution par défaut, « la seule qui s'ouvre pour des personnes seules ou défavorisées à faibles ressources ». Certains attendent d'accéder à une autre forme de logement, voire à la propriété, mais la plupart « n'ont aucune visibilité sur leur devenir ». Tous ont un statut juridique précaire (3) et des droits limités. Les gérants des campings ne sont, par exemple, soumis à aucune des obligations des bailleurs.
Aux termes de son état des lieux, la fondation formule 15 propositions pour combattre le mal-logement. Elle estime notamment indispensable de clarifier les compétences et obligations respectives de l'Etat, des régions, des départements et des communes en matière de droit au logement. Et de créer « un vrai ministère du développement social urbain et des territoires », intégrant les compétences liées au logement, à l'urbanisme, à la politique de la ville et à l'aménagement du territoire. Dans chaque département, un « sous-préfet au développement urbain » devrait « animer les politiques territoriales de l'habitat, de la mixité urbaine et des équilibres territoriaux entre les zones urbaines et rurales ». L'association demande également une coordination au plan territorial et local, « dans le cadre d'une mission de service public », des diverses structures chargées de l'accès au logement. Et préconise d' « avancer résolument vers une couverture logement universelle », financée par la contribution mutualisée des locataires, des employeurs (1 %logement), des fonds de solidarité logement et des bailleurs (4).
C. G.
(1) « L'état du mal-logement en France » - Rapport annuel 2001 - Disp. gratuitement à la Fondation Abbé-Pierre : 53, bd Vincent Auriol - 75013 Paris - Tél. 01 53 82 80 30. A noter, cette année, un coup de projecteur sur la Bretagne et l'Alsace.
(2) Voir ASH n° 2248 du 1-02-02.
(3) D'après la réglementation du tourisme, les résidents permanents dans les campings sont considérés comme des « sans domicile fixe avec commune de rattachement ».
(4) Voir ASH n° 2249 du 8-02-02.